Dans l'unité d'enseignement pour autiste à l'école maternelle rue Surmelin, à Paris. | GIL RIGOULET POUR "LE MONDE"

Dans la classe de Camille Schneider, on trouve, comme dans n’importe quelle maternelle, un coin jeux et un coin bibliothèque, des espaces aménagés pour le goûter ou le repos, et un « lieu de regroupement » – avec son tableau noir et ses petits bancs – où ont pris place, lundi 11 avril, Wael, Mohamed, Mael et Jaswanth. Tous ont entre 4 et 5 ans. Assis autour de leur maîtresse, ils sacrifient au rituel de « l’accueil du matin » : se présenter aux « copains » – un mot que répète en chantonnant Mael –, saluer, attendre son tour, dater le jour…

Ce sont quelques détails disséminés dans la pièce, au sous-sol du 16-18 rue de Surmelin, à Paris dans le 20e arrondissement, qui viennent rappeler au visiteur qu’il n’est pas tout à fait dans une classe lambda. Ici sont posés des casques antibruit ; là, des minuteurs qui sonnent tous les quarts d’heure. Au fond de la pièce, des sortes de box cloisonnés pour les échanges en tête-à-tête. Et, un peu partout, des pictogrammes laissés à la libre disposition des enfants associant, chacun, un mot à un dessin : une main pour dire « je veux », 2 points pour le chiffre « deux », une Granny-Smith bien verte pour « pomme »…

Ces images pourraient, ailleurs, servir à poser les bases de la lecture. Mais dans l’« unité d’enseignement en maternelle » (UEM) pour très jeunes autistes – la seule ouverte à Paris –, elles aident les élèves à formuler leurs demandes. Mohamed, sans ouvrir la bouche, aligne trois pictogrammes : « Je veux/deux/morceaux de pomme », déchiffre à sa place Rosaline Nagau, agent territorial spécialisé des écoles maternelles (ATSEM), en détachant bien chaque syllabe, avant de tendre au petit garçon le snack qu’il convoitait.

Rencontre de deux univers : le médico-social et le scolaire

« La plupart des enfants ne communiquaient pas il y a encore quelques mois, explique Camille Schneider, l’enseignante spécialisée qui fait vivre, depuis dix-huit mois, ce dispositif appliquant les méthodes éducatives et comportementales recommandées par la Haute Autorité de santé. Même si leurs troubles du comportement demeurent, ils sont aujourd’hui capables d’échanger avec des images ou des gestes… quand ce n’est pas avec des mots. »

Dans le petit groupe de garçons (la seule fille était absente ce lundi), deux verbalisent déjà ; un garde le silence. Le quatrième a besoin d’une « guidance » quasi permanente, autrement dit qu’un adulte accompagne chacun de ses gestes, pour ne pas s’isoler. Tous ont le regard ailleurs, les mouvements répétitifs propres aux troubles autistiques qui concernent, à des degrés divers, une naissance sur cent en France. Quelque 250 000 enfants dont les familles attendaient avec impatience, jeudi 21 avril, la réunion à Paris du Comité national autisme censé dresser un bilan et donner les perspectives du 3e plan autisme (2013-2017). Avec, à la clé, des annonces promises par la secrétaire d’Etat chargée des personnes handicapées, Ségolène Neuville.

Autour de Wael, Mohamed, Mael et Jaswanth, une dizaine de référents : l’enseignante et l’ATSEM, une assistante de vie scolaire (AVS), mais aussi trois éducatrices, une psychologue, une orthophoniste… Certaines sont là à plein-temps, d’autres non. Trop d’adultes ? C’est ainsi qu’on favorise la rencontre de deux univers souvent éloignés, le médico-social et le scolaire, défend-on au rectorat. « Bien sûr que j’ai déjà entendu la petite remarque sur le coût du dispositif – 280 000 euros par an –, alors qu’on n’y accueille que 7 enfants, témoigne l’enseignante ; qu’ailleurs il manque des profs, des remplaçants… Mais au regard du coût d’une personne qui passera sa vie en psychiatrie, ça me semble un investissement juste pour des enfants qu’on enracine dans l’école ».

Au moins quatre de ses élèves trouveront leur place au CP, estime-t-elle. Si la « scolarisation précoce », affichée dans le 3e plan autisme (2013-2017), lui semble un net progrès, Camille Schneider se défend de promouvoir un « modèle valable pour tous ». « Certains enfants trouveront mieux leur place en institut médico-éducatif, fait également valoir la directrice de l’école, Stéphanie Labia-Dospital, d’autres dans une classe normale accompagnés par une assistante de vie scolaire. » Et après, quand vient l’heure de la « grande » école ? « Certains seront inclus dans une classe classique, si possible avec un accompagnement, d’autres dans une UEE [unité d’enseignement en élémentaire, au nombre de quatre à Paris], quelques-uns iront dans le privé ou des structures médicalisées. »

Dans l'unité d'enseignement pour autiste à l'école maternelle rue Surmelin, à Paris. | GIL RIGOULET POUR "LE MONDE"

Rituels et apprentissages se mêlent

Beaucoup n’auront jamais la chance d’être scolarisés : le gouvernement a beau se féliciter d’avoir augmenté, en quatre ans, de 30 % l’accueil des enfants présentant des troubles du comportement, ou d’avoir ouvert 60 UEM – 110 d’ici à la fin du quinquennat, promet-il –, 80 % de ces enfants échappent à la scolarisation ordinaire. Une situation condamnée par le Conseil de l’Europe. « Au-delà de l’aspect mesurette, c’est une expérimentation qui, sur le fond, ne nous convient pas, fait valoir le président de l’association Vaincre l’autisme, M’Hammed Sajidi. A l’âge de la maternelle, l’inclusion dans une classe normale, avec une assistante de vie scolaire correctement formée, devrait prévaloir. Il faut que la logique éducative prime sur la gestion médico-sociale… et pas l’inverse ! »

Ce débat n’a pas lieu à l’école Surmelin, où dix dossiers d’inscription sont à l’examen pour deux places restées vacantes après le départ de deux bambins. Dans son classeur nominatif relevant de la méthode anglo-saxonne PECS (pour « Picture Exchange Communication System »), Jaswanth, en séance avec Clémence Ponsin, orthophoniste, scratche deux pictos. La jeune femme lit pour lui : « Je veux/Steevy » – l’un des élèves ayant quitté l’UEM. « Ils y étaient bien mais sans progrès perceptibles », explique la jeune femme. Le reste du groupe progresse.

Pour Mohamed, la petite victoire de cette journée consiste à tracer les lettres de son prénom. Pour Wael, c’est de participer à une séance de gym avec une autre classe de petite et moyenne sections – « des moments d’inclusion qu’on essaie de rendre quotidien », explique Mme Labia-Dospital. Quant à Mael, c’est devant un ordinateur que ses progrès – et sa joie de vivre – sautent aux yeux : l’enfant écrit sous la dictée son prénom, celui des « copains », mais aussi une suite de chiffres – « 5, 9, 12 », lui demande Camille Schneider. « Quarante-trois ? » Il hésite mais y parvient. L’enseignante en profite pour lui apprendre le chiffre 100. Mael trépigne ; il a déjà le niveau CP en numération.

Dans cette classe où rituels et apprentissages se mêlent, les adultes aussi jouent avec les chiffres. On y compte chaque demande – qu’elle soit verbalisée ou relève d’un geste, d’un regard. « Et on se félicite quand un élève en exprime soixante par jour, relève Estelle Koawo, éducatrice, en sachant qu’un enfant de 2 ans et demi peut en exprimer… deux cents. » Chaque progrès, chaque repli sur soi aboutit à ce que l’on colle (ou que l’on décolle) des jetons sur des réglettes. Toutes les quinze minutes, le minuteur sonne : les éducatrices font les comptes. L’élève y gagne un bonbon, quelques minutes de jeu sur tablette… « Il fixe lui-même la récompense, explique Florence May, AVS ; à terme, il pourra mieux se gérer seul. »