Dans les annales des Nations unies, le 22 avril 2016 restera sans doute comme une journée record en nombre de signatures d’un accord international, 175 délégations ayant fait le déplacement à New York pour approuver le texte destiné à ralentir le réchauffement de la planète. On se souviendra aussi que la France, qui assure la présidence de la conférence climat (COP21) jusqu’en novembre, fut le premier pays à parapher le registre, par la main de François Hollande. On saluera sans doute la jeune Tanzanienne de 16 ans qui introduit les discours par son propre témoignage, et l’oscar du meilleur acteur Leonardo DiCaprio, qui conclut les prises de parole en implorant « cette assemblée à agir et à nous protéger ».

Mais les historiens de l’ONU pointeront-ils cette évidence ? La cérémonie protocolaire du 22 avril fut d’abord et avant tout la confirmation de la mobilisation des deux principaux protagonistes du changement climatique, la Chine et les Etats-Unis, dans la lutte contre le réchauffement. « La Chine parachèvera toutes les procédures nécessaires [à la ratification de l’accord] avant le sommet du G20 en septembre », a assuré le vice-premier ministre Zhang Gaoli à la tribune de la salle plénière. Pékin promet de pousser les vingt pays les plus riches à avancer dans cette voie lors du sommet des 4 et 5 septembre à Hangzhou, et souhaite renforcer la coopération internationale « pour améliorer les capacités de financement des pays en développement ».

Calendrier compliqué

Les Etats-Unis se sont engagés eux aussi à ratifier « dans l’année » l’accord du 12 décembre 2015, confirmant la déclaration conjointe sino-américaine rédigée récemment dans le même sens. Avant de parapher le registre de signature, sa petite-fille blottie dans ses bras, le secrétaire d’Etat John Kerry – palliant l’absence du président Barack Obama, en visite officielle à Londres – a tenu à rappeler : « Le texte de Paris est le plus solide et le plus ambitieux jamais conclu sur le climat, mais il ne garantit pas de rester dans une hausse des températures limitée à 2°C. »

Pour les deux plus gros émetteurs mondiaux de gaz à effet de serre, une mise en œuvre rapide des engagements adoptés fin 2015 s’impose à la communauté internationale. Signé à New York par la majeure partie des Etats membres de la Convention-cadre des Nations unies sur les changements climatiques (CCNUCC), le texte doit désormais être ratifié par 55 pays représentant au moins 55 % des émissions de gaz à effet de serre pour pouvoir entrer en vigueur. Dans la bataille de la ratification qui s’ouvre, les pays avancent en ordre dispersé.

Le 22 avril, quinze Etats, de petites nations insulaires pour la plupart, mais aussi la Somalie et la Palestine (197e partie de la CCNUCC depuis mi-mars), ont à la fois signé et apporté la preuve de leur ratification de l’accord. Dix autres pays se sont prononcés pour une ratification rapide, parmi lesquels la Chine et les Etats-Unis, mais également le Canada, l’Australie ou les Philippines qui président le groupe des 43 pays les plus vulnérables au dérèglement climatique. Selon les calculs du think tank américain World Resources Institute, ces vingt-cinq Etats représenteraient près de 45 % des émissions mondiales, une valeur pas si éloignée du critère de 55 % défini par les négociateurs.

« Il se pourrait qu’on atteigne ce seuil assez vite, estimait vendredi Laurent Fabius, croisant dans les couloirs des Nations unies les dirigeants étrangers qu’il côtoyait lorsqu’il assurait la présidence de la COP21, une mission dévolue aujourd’hui à la ministre de l’environnement Ségolène Royal. Cela pose un vrai problème pour l’Europe, qui ne doit pas rester en retrait. » L’Union européenne (UE) est confrontée à un calendrier compliqué puisqu’elle ne pourra déposer ses instruments de ratification qu’une fois que ses 28 Etats membres auront bouclé leur procédure. La perspective ne devrait pas se réaliser avant fin 2017. « La volonté politique fait défaut et certains pays de l’UE sont encore engoncés dans leur dépendance au charbon », observe Célia Gautier du Réseau action climat (RAC).

« Le rapport de force s’est inversé »

Les 28 devront donc d’abord s’entendre sur le partage de l’effort permettant d’atteindre l’objectif commun de réduction d’au moins 40 % des émissions en 2030. Une première proposition de la Commission, attendue cet été, risque de donner lieu à plusieurs mois d’âpres négociations. Face à cette machine européenne grippée, la Chine confirme sa volonté d’infléchir son modèle économique vers une croissance économe en carbone. Le 13e plan quinquennal, formellement adopté en mars, reprend les deux points d’articulation de sa stratégie climatique : atteindre en 2030 au plus tard son pic d’émissions et porter à cette même date à 20 % la part des énergies non fossiles dans le mix énergétique chinois.

Pour la chef négociatrice française Laurence Tubiana, la mise en œuvre du 13e plan quinquennal chinois est l’un des « signes positifs » clairement envoyés depuis la COP21. « Le dialogue sino-américain est une force d’entraînement considérable, qui pousse le système multilatéral vers le haut », confirme l’ambassadrice.

« Le rapport de force s’est inversé, le cœur du leadership n’est plus en Europe mais en Chine et aux Etats-Unis », analyse Célia Gautier. Pour la représentante du RAC, Pékin a compris que la transition énergétique était une opportunité économique majeure. Le régime chinois a réalisé aussi qu’il ne pouvait ignorer la montée des revendications citoyennes liées au fléau de la pollution de l’air. « Aux Etats-Unis, Barack Obama a certes les mains liées par la Cour suprême [qui a suspendu en février son plan pour une énergie propre] mais les Etats avancent » ajoute la responsable du RAC.

« Nous ne devons pas être simplement notaires de l’accord de Paris, nous devons être des promoteurs, des accélérateurs » de cet engagement, a affirmé François Hollande en conférence de presse aux Nations unies. Un peu plus tôt à la tribune de l’assemblée, il indiquait qu’il demanderait au Parlement français d’autoriser la ratification de l’accord d’ici l’été. « Je m’engage pour que le plus vite possible, un prix du carbone puisse être fixé en France, en Europe et dans le monde », a dit encore le chef de l’Etat.

Des dispositifs existent déjà – une taxe carbone française d’un montant de 22 euros la tonne et un marché carbone européen dont le quota ne dépasse pas les 6 euros la tonne – mais leurs niveaux sont trop bas pour inciter les entreprises et les ménages à privilégier des énergies décarbonées. Lundi 25 avril s’ouvre à l’Elysée la conférence environnementale. Les ONG devraient y demander une revalorisation de la taxe carbone à 40 euros la tonne. « Il faut que nos déclarations deviennent des actes », a insisté François Hollande, vendredi, pendant son allocution devant la communauté internationale.