« Vous êtes les bienvenus. » La phrase est finalement arrivée, mais elle a beaucoup tardé. Ponctuant une longue « mise au point » que la maigre assistance de la première Nuit debout organisée dans les quartiers nord de Marseille ce samedi 23 avril – une centaine de personnes au plus fort de la soirée – a encaissée sans broncher. Fatima Mostefaoui, 50 ans, figure militante de la cité des Flamants (14e), joue le rôle de la puissance accueillante et tient à « dire les choses » en introduction. « Même si certains vont faire une dépression après… » s’amuse-t-elle.

Juchée sur les petits gradins en bois de palette qui font face au public, cette membre du collectif Pas sans nous cogne :

« Ici, cela fait trente ans qu’on est debout. On n’a pas attendu pour combattre la précarité, les violences policières, les injustices sociales… Vous venez libérer notre parole ? Mais notre parole est libre. Personne ne l’entend parce qu’elle est censurée et stigmatisée »

Face à elle, l’auditoire est presque exclusivement composé de militants associatifs, d’étudiants et de journalistes… Des habitués des Nuits Debout marseillaises, qui, depuis le 31 mars, se déroulent au cours Julien, en plein cœur du quartier populaire et culturel de La Plaine (6e), réunissant chaque semaine quelques centaines de personnes.

« Les gens se foutent de la réforme du code du travail »

Comme Félix, 31 ans, ils arrivent du centre-ville et découvrent pour la plupart cet ensemble immobilier d’un millier d’habitants, fraîchement chamboulé par le chantier de la rénovation urbaine. « Quand j’ai vu que la Nuit debout se déplaçait dans les quartiers nord, j’étais ravi, explique cet enseignant-chercheur. J’ai pris mon métro, mon bus… Ça a duré une demi-heure. »

Ce soir, la distance entre centre-ville et quartiers défavorisés de Marseille ne se mesure pas qu’en durée de trajet. « Où sont les habitants des Flamants ? Ceux des quartiers nord ? », prend à témoin Kader Atia, en pointant le public. « Il y a une telle relégation sociale dans nos cités que les gens se foutent de la réforme du code du travail, de la loi El-Khomri, poursuit cet ancien du centre social de la cité de la Castellane (15e), acteur reconnu de la lutte contre le mal-logement. Ils ont d’autres priorités. »

Certains participants ont beau rappeler, au cours des débats, qu’à Marseille, « la précarité ne touche pas que les cités », Zoubida Meguenni voit une déchirure plus grande : « Quand on est dans la merde dans nos quartiers, personne ne vient, souligne la fondatrice de l’association Sheba, trente ans de combats pour les femmes issues de l’immigration. Alors aujourd’hui, face à cette bienveillance, il y a une haine, c’est sûr. »

Incompréhensions et maladresses

Les organisateurs de la Nuit Debout marseillaise pressentaient une première difficile. Tout au long de la semaine, le dialogue avec les associations et les personnalités des quartiers nord qui ont accepté de collaborer, s’est ponctué d’incompréhensions, de maladresses. La diffusion du film emblématique du mouvement, Merci Patron !, a été abandonnée au dernier moment. « Pour converger, il faut un sens, souffle Fatima Mostefaoui. Tu ne vas pas passer Merci Patron ! à des gens qui, en majorité, n’ont pas de travail. » « On ne nous a pas donné le temps de préparer, de prévenir les habitants », regrette Rachida Tir, membre, elle aussi, des Pas sans nous.

Sur la place des Flamants, le centre social, inauguré la veille, a fermé ses lourds rideaux de fer, ignorant l’événement. Pour l’électricité de la sono, les organisateurs ont dû faire fléchir le gardien de l’école d’infirmières voisine… « Le lieu choisi n’était peut-être pas le bon », s’interroge Gérald, l’une des chevilles ouvrières de la Nuit debout à Marseille, avant de glisser, irrité par les critiques et les problèmes du soir : « Je ne suis pas sûr qu’on réédite l’expérience. »

Elu Front de gauche du secteur, figure de l’opposition au maire FN Stéphane Ravier, Samy Johsua veut quand même y croire : « L’idée est excellente. Le résultat montre que la construction du tous ensemble n’est pas si facile. Mais le bilan reste bon parce qu’on a essayé de le faire. »