Coriolis, le bâtiment avant-gardiste à énergie positive conçu par l’agence d’architecture Atelier Thierry Roche et associés, héberge la d-school parisienne, à l'Ecole des Ponts ParisTech de Champs-sur-Marne (Seine-et-Marne). | DR

Il est conseillé de ne pas négliger ses jambes quand on veut utiliser toute sa tête à l’Ecole des Ponts ParisTech de Champs-sur-Marne (Seine-et-Marne). Au rez-de-chaussée du bâtiment avant-gardiste à énergie positive baptisé Coriolis, une pancarte incite à préférer les escaliers à l’ascenseur pour atteindre le troisième étage – ce qui équivaut à brûler, précise l’écriteau, les calories contenues dans un verre d’une célèbre boisson à la pulpe d’orange.

L’exercice accompli, on pénètre dans un étonnant loft qui n’a rien à envier aux start-up californiennes : des espaces de travail côtoient une… cuisine ; un fauteuil poire invite à paresser ; un baby-foot attend ses joueurs.

« Privilégier le pragmatisme »

La Paris d.school, créée en 2012 sur le modèle de celle de Stanford (Californie), associe l’Ecole des Ponts, l’Ecole supérieure d’ingénieurs en électrotechnique et électronique (Esiee Paris), l’Ecole nationale supérieure d’architecture de la ville et des territoires (Ensavt), l’Ecole des ingénieurs de la Ville de Paris (EIVP) et l’université Paris-Est Marne-la-Vallée (UPEMLV).

Financée par le mécénat et par l’Agence nationale de la recherche (ANR), la d.school francilienne « vise à enseigner à des étudiants multidisciplinaires une approche de l’innovation centrée sur l’utilisateur, explique Florence Mathieu, chef de projet. Dans un monde de plus en plus complexe, il s’agit de privilégier le pragmatisme ».

Ce matin-là, fauteuil poire et baby-foot resteront inoccupés. Les étudiants du programme « ME310 Design Innovation », mis au point par le département mécanique de l’université Stanford – un an à plein temps sur un même projet –, exposent les résultats de leurs travaux prospectifs aux représentants de Lapeyre, groupe français d’équipement de la maison.

Deux équipes – l’une, française, composée d’une Colombienne, d’une Ukrainienne et d’un Français ; l’autre réunissant trois Finlandais inscrits à la d.school d’Aalto (Helsinki) – ont eu à imaginer une cuisine futuriste pour seniors. Leur présentation se fait en anglais, tout comme les cours qu’ils ont suivis.

« Se confronter à l’épreuve du réel »

Avec les outils de l’ethnographie, les étudiants ont analysé les habitudes des personnes âgées. Ils exposent les différents types de déplacements de leurs « cobayes », qu’il s’agisse de couples de sexagénaires alertes ou d’octogénaires ayant des problèmes de mobilité. Les Post-it et les photos qui couvrent les murs de la zone de travail témoignent des nombreuses idées qui ont surgi.

Ils ont pu les concrétiser dans la « protothèque » voisine, dotée des matériaux et machines nécessaires à la réalisation de prototypes. « Nous offrons la possibilité de dépasser le stade du projet sur papier. Il faut que les étudiants se confrontent rapidement à l’épreuve du réel », indique Véronique Hillen, fondatrice et doyenne de la d.school française.

Diplômé de l’école d’architecture de Marne-la-Vallée, Benoît Christophe, 24 ans, a travaillé un an dans une agence avant de reprendre ses études à la d.school et de plancher sur ce projet de cuisine ­futuriste. « La dynamique d’apprentissage est très différente de celle de l’école d’architecture, commente-t-il. Ici, j’ai le sentiment de m’exprimer avec mes mains. Nous conceptualisons les choses en les voyant faire et en les faisant. Nous apprenons à naviguer entre le désir d’innover, la faisabilité du projet et les besoins de l’utilisateur. Je crois que ma génération a envie de travailler comme ça. »

Les étudiants présentent leurs propositions finales. Impossible de les dévoiler, secret industriel oblige. Mais l’inventivité et le pragmatisme dont ils ont fait preuve épatent les spécialistes de chez Lapeyre, qu’on imagine pourtant rompus à ce genre d’exercices.

« Vous avez remis l’humain au centre de la démarche », admire l’un. « Votre projet est très abouti ! », s’exclame l’autre. Le groupe se congratule avec un petit temps de retard, celui de la traduction en anglais des compliments reçus, à l’adresse des étudiants finlandais.