Une scène de la pièce "Djihad", mise en scène par Ismaël Saïdi, vendredi 15 avril, à Trappes. | MIGUEL MEDINA / AFP

« Le Coran ne parle que d’amour (...), pas de guerre, pas de sang. (...) On a été manipulés mon frère, mais pas seulement par le système, par les nôtres aussi ». Dernière scène de « Djihad », la pièce du metteur en scène belge Ismaël Saïdi, 39 ans. Rideau. Les lycéens de Trappes (Yvelines) applaudissent à tout rompre. Pendant plus d’une heure, vendredi 15 avril, ils ont suivi avec passion et éclats de rires les aventures tragi-comiques de Reda, Ben et Ismaël, trois jeunes belges musulmans un peu paumés qui décident de partir faire le djihad en Syrie, sans qu’aucun d’eux n’ait lu le Coran.

Dans la salle encore plongée dans la pénombre, Anissa*, 17 ans, tunique colorée et Nike aux pieds, a les larmes aux yeux. « Quand Reda il meurt, tué par un drone... Et ce qu’il dit à la fin sur l’islam, c’est tellement la vérité, l’islam c’est une religion de paix. Et pour vraiment la connaitre, il faut toujours se poser des questions ». C’est aussi la fin de la pièce qui a le plus marqué Amir*, 16 ans, parce qu’elle « raconte ce qu’on vit, nous les Musulmans, et la façon dont on nous traite ».

« Libérer la parole »

Après un succès inespéré en Belgique depuis sa première en décembre 2014, c’est la première fois depuis les attentats de Paris et Bruxelles que la pièce d’Ismaël Saïdi était proposée à des scolaires en France.

Lire le portrait d’Ismaël Saïdi  : Le djihad mis en pièce

Les 300 élèves du lycée général de la Plaine de Neauphle, classé en Réseau d’éducation prioritaire – comme l’ensemble de la ville de Trappes –, semblent conquis. Les comédiens reviennent sur scène pour un débat, accompagné de l’islamologue Rachid Benzine. Un moment de dialogue précieux qui suit chacune des représentations et vise à « libérer la parole » sur des sujets pas toujours faciles à aborder : la radicalisation, la rupture identitaire, la perte de repères, mais aussi « la pression que peuvent mettre les communautés musulmanes sur leurs propres adeptes », thème que tenait à aborder Ismaël Saïdi dans sa pièce.

Originaire de Schaerbeek, Ismaël Saïdi, fils d'immigré marocain, a d'abord été policier 15 ans avant d'oser sauter le pas et vivre de sa passion : le théâtre. | MIGUEL MEDINA / AFP

Aucune question n’est taboue, insiste le metteur en scène. « L’idée est de permettre aux jeunes de dire ce qu’ils ont sur le coeur, dans la foulée de la pièce, même si c’est parfois choquant. Après, à nous de déconstuire les préjugés ». Déjà, les bras se bousculent pour réclamer le micro : « Finalement vous savez vraiment ce que c’est le djihad ? », demande Marwa, 16 ans, large survêtement Adidas. Une autre : « Les personnages disent que dessiner et écouter de la musique c’est mal, c’est vrai ? ». Un garçon : « Est-ce que pour votre pièce vous avez utilisé les témoignages de djihadistes qui sont revenus ? Que pensez-vous de ceux qui partent faire le djihad ? ».

Aucune question provocante, le débat reste apaisé et consensuel. Il faut dire qu’Ismaël Saïdi, sait se faire apprécier. Et il n’hésite pas à se dévoiler : il se présente d’emblée comme musulman pratiquant, confie qu’il a lui-même failli se radicaliser quand il était jeune et en perte de repères. Plusieurs de ses camarades d’école sont d’ailleurs partis.

« On connait tous ici des gens qui sont partis »

Anissa pose une question qui lui tient à coeur : « Est-ce que vous êtes venu à Trappes parce qu’on dit qu’ici on est un Molenbeek français ? ». La question reviendra plusieurs fois : à force d’entendre la comparaison, les lycéens ont fini par l’intégrer. Ismaël Saïdi tient à dissiper tout malentendu : non il n’est pas venu parce que Trappes est comparée à Molenbeek – « utiliser cette commune comme un adjectif et un label d’insulte est scandaleux », s’indigne d’ailleurs celui qui a grandi à Schaerbeek, commune voisine. Ni parce que Trappes, 30 000 habitants, a vu plusieurs de ses jeunes partir faire le djihad ces dernières années – une trentaine, selon le maire –, ce qu’il a appris seulement en arrivant.

Anissa déteste que les médias comparent Molenbeek et Trappes et ne se déplacent que pour raconter « ce qui ne va pas », alors qu’il se passe « plein de choses bien ici ». Mais elle a conscience que si la pièce l’a touchée, c’est aussi parce qu’elle fait écho à une réalité qu’elle côtoie. Et dont elle entend parler malgré elle. « On connait tous ici des gens qui sont partis. »

Une connaissance d’Anissa est revenue quelques jours après son départ, avant même d’avoir franchi la frontière turco-syrienne. « Dès que j’ai appris son départ, je n’ai pas pu m’empêcher de lui écrire sur Facebook pour lui dire qu’il faisait n’importe quoi, que notre religion c’était pas ça, que le djihad ça sert à rien », raconte l’adolescente, encore bouleversée. Elle a vu des familles « détruites » par ses départs. Et ici, les questions identitaires se posent d’autant plus fortement. « A la mosquée, l’imam insiste sur le fait que ceux qui partent n’ont rien compris. Et il dit “plutôt que d’aller tuer des femmes et des enfants, occupez-vous ici de vos femmes et vos enfants” ». La jeune fille assure n’avoir jamais été elle-même approchée par des recruteurs. « Dès que je vois des gens qui partagent des vidéos ou des messages suspects sur Facebook, je bloque direct ! ».

"Djihad" raconte l'histoire de Reda, Ben et Ismaël, trois jeunes belges musulmans un peu paumés qui décident de partir faire le djihad en Syrie, sans qu’aucun d’eux n’ait lu le Coran. | MIGUEL MEDINA / AFP

Malgré les résonances quelquefois douloureuses avec son quotidien, « Djihad » a fait rire la lycéenne. « Quand le prof nous a dit qu’on allait voir une pièce qui s’appelait comme ça, j’me suis dit merde, qu’est ce qu’ils vont encore nous raconter ». Finalement, ça lui a fait du bien. « C’est à la fois drôle et tragique ». Tragique quand on sait que la réalité dépasse la fiction, explique-t-elle avec ses mots. « Et ça pose les bonnes questions ». La pièce ne lui a pas appris grand chose toutefois : « ça a juste renforcé ce que je savais déjà », affirme-t-elle. Le terme djihad, par exemple, pas besoin des explications de l’islamologue, elle sait ce qu’il veut dire : « Le Coran nous dit que le premier djihad c’est envers soi-même, c’est-à-dire combattre notre colère et notre haine et être quelqu’un de meilleur ». Elle soupire : ça la « met mal » qu’on ait assimilé ce terme à ce que certains font en Syrie en son nom.

En Belgique, la pièce d’Ismaël Saïdi est devenue un véritable outil pédagogique et a été déclarée « d’utilité publique » par le ministère de l’éducation francophone, permettant son accès gratuit aux scolaires. À ce jour, quelque 50 000 personnes l’ont vu, dont 27 000 collégiens et lycéens. Après les attentats du 13 novembre, certains enseignants ont proposé à l’auteur d’écrire un livret pédagogique pour accompagner la pièce. « Il y a un dialogue avec les élèves mais aussi avec les enseignants, qui sont en train de se l’approprier », se félicite Ismaël Saïdi, qui espère que « Djihad » pourra continuer à essaimer en France.

Si la pièce peut aussi être vue comme un outil de prévention à la radicalisation, Ismaël Saïdi explique ne pas l’avoir pensée dans ce but. « Pour moi, c’est plutôt un objet exutoire qui permet de parler d’un sujet tabou et sert à libérer la parole ».

Ismaël Saïdi : « Rire d’un sujet tabou, c’est déjà un pied-de-nez à ceux qui refusent toute forme de discussion »
Durée : 04:22
Images : Le Monde.fr / Sylvie Chayette

* Les prénoms ont été modifiés.