A proximité du Bataclan, le 13 novembre 2015. | OLIVIER LABAN MATTEI / MYOP POUR LE MONDE

Le ministre de l’intérieur, Bernard Cazeneuve présente mardi 19 avril le schéma national des forces d’intervention (GIGN, RAID, BRI) en cas d’attentat. C’est l’une des conséquences des attentats de Paris et Saint-Denis le 13 novembre 2015 : pour muscler l’arsenal contre-terroriste déployable en cas de tuerie de masse, M. Cazeneuve a décidé une remise à plat du schéma d’emploi des forces d’assaut en France. Une entreprise délicate tant les luttes de pouvoir affleurent entre les différentes unités.

Le 18 janvier, lors d’un déplacement à Saint-Astier (Dordogne), le ministre de l’intérieur avait fait part de sa volonté que « les forces d’intervention rapide, celles du GIGN en ce qui concerne la gendarmerie, du RAID et de la BRI en ce qui concerne la police nationale, soient réparties (…) de manière à ce que la totalité du territoire national soit couvert par la présence de ces forces », avec, en ligne de mire, un délai d’intervention de vingt minutes maximum.

Ce schéma viendra chapeauter la montée en puissance déjà entamée des forces de proximité – les brigades anti-criminalité (BAC) et leurs équivalents chez les gendarmes, les pelotons de surveillance et d’intervention (PSIG).

« En 2015, on a essuyé les plâtres »

Des mesures ont d’ores et déjà été engagées depuis les attentats de novembre 2015. Le RAID et le GIGN disposent d’équipes de permanence prêtes à partir, respectivement à Bièvres (Essonne) et à Satory (Yvelines), ce qui n’était pas le cas avant le 13 novembre. La BRI, qui relève de la préfecture de police de Paris, consolide l’autonomie de sa formation anti-commando. Elle a entamé des recrutements pour porter ses effectifs de 45 à 120 hommes. En janvier, Bernard Cazeneuve avait aussi annoncé la création de quatre nouvelles antennes régionales du GIGN.

Le ministre de l’intérieur a surtout demandé aux maisons-mères, les directions de la gendarmerie, de la police et la Préfecture de police de Paris, de se mettre autour de la table pour faire un inventaire de leurs compétences : « Sur l’affaire de Saint-Denis comme sur les événements récents, il y a des compétences qu’ont un certain nombre de forces d’intervention rapide et que n’ont pas d’autres », a explicité le ministre de l’intérieur lundi 7 mars. Il souhaite « qu’en fonction de l’analyse de la situation et des compétences de chaque force, on fasse intervenir telle force plutôt que telle autre ou certaines forces en même temps ».

L’exercice est sensible. Mais nécessaire. « On avait déjà eu des réflexions avant mais on était dans le virtuel, estime un commissaire de la préfecture de police de Paris. En 2015, on a essuyé les plâtres. » Il s’agit par exemple d’éviter que la BRI ne débarque en zone gendarmerie alors que le GIGN et le RAID y sont déjà, comme ce fut le cas le 9 janvier 2015 à Dammartin-en-Goële (Seine-et-Marne), où étaient retranchés les frères Kouachi ; ou que le GIGN ne se positionne sur une zone police, comme c’est arrivé le soir du 13 novembre 2015, à la caserne des Célestins, à Paris ; ou encore que le RAID ne se montre au Bataclan ou à l’Hyper Cacher, deux lieux où la BRI est compétente et déjà présente. « Ça pose des difficultés de coordination. Le temps qu’on passe à faire la symbiose, c’est du temps perdu », explique le même commissaire, qui estime que le RAID a pu être de trop.

« Une question de chefs et d’ego »

Au lendemain des attaques du 13 novembre, des tensions sont apparues. Pas seulement entre gendarmerie et police, qui se sont de tout temps disputé des prérogatives. Même au sein de la police, les attributions du RAID et de la BRI auraient prêté le flanc à des jalousies. « C’est une question de chefs et d’ego, commente Nicolas Comte, porte-parole du syndicat Unité SGP Police-FO. Les intervenants, eux, se connaissent tous. »

Les différentes maisons seraient toutefois parvenues à se mettre d’accord sur le principe d’interventions complémentaires, sur le modèle de ce qui s’est passé à Dammartin-en-Goële, avec une force « menante » (GIGN) et une force « concourante » (RAID). Tout le monde a en tête les scénarios de plusieurs attentats simultanés ou d’une prise d’otages qui dure. « En cas de crise aiguë, ce serait de bon sens, si une force était trop accaparée, que l’unité de la maison cousine soit en capacité d’intervenir », juge un responsable local de la police. Cette complémentarité peut aussi se traduire par des prêts de « modules » tels que des négociateurs, des tireurs d’élite ou des véhicules. Elle prend enfin tout son sens « dans des villes de petites et moyennes préfectures ou dans des zones rurales où ni la police ni la gendarmerie n’ont les moyens d’assurer les vingt minutes de délai d’intervention sur une amplitude horaire de vingt-quatre heures », dit Philippe Capon, de l’UNSA.

« Pour les tueries planifiées, on doit s’asseoir sur les zones de compétences », estime un haut responsable de la gendarmerie. Côté police, on appelle au contraire à respecter les territoires de chacun et on s’inquiète des appétits du voisin, notamment dans des localités comme Rouen ou Toulouse, qui ne disposent pas d’antennes du RAID. Ainsi, dans la quatrième ville de France, où le GIGN détient depuis 2004 une antenne régionale, la police verrait bien un nouveau RAID.

« Chaque unité est dans son corporatisme »

En attendant les arbitrages définitifs, les gendarmes ne se privent pas de revendiquer une meilleure expertise en matière d’explosifs, alors que ceux disposés par le RAID sur la porte de l’appartement de Saint-Denis n’ont pas fonctionné le 18 novembre 2015. Le patron du RAID, Jean-Michel Fauvergue, apparaît en outre fragilisé depuis qu’il a relayé un récit erroné de cet assaut dans les médias, auprès du ministre de l’intérieur et du procureur de Paris. Il y mentionnait des tirs nourris de kalachnikov essuyés par ses troupes, alors que seul un pistolet automatique a été retrouvé dans l’appartement où s’étaient retranchés Abdelhamid Abaaoud et ses complices. La situation n’est pas sans rappeler les critiques qui avaient suivi l’assaut du RAID à Toulouse en 2012 contre Mohamed Merah. Un an plus tard, le chef du RAID avait été limogé.

Sous couvert d’anonymat, la BRI se voit elle aussi contestée dans son rôle d’unité parisienne de contre-terrorisme, malgré ses interventions au Bataclan et à l’Hyper Cacher. Les mauvaises langues considèrent qu’elle ne peut pas jouer sur plusieurs tableaux alors que ses équipes partagent leur temps avec des missions de police judiciaire. La rançon de la gloire ?

« Chaque unité est dans son corporatisme, regrette un ancien du RAID. Mais elles ont les mêmes capacités à faire valoir. Le RAID sait faire sauter une porte, il essaye simplement de ne pas mettre trop d’explosif pour ne pas détruire un appartement voisin. Les gars du RAID suivent la même formation que ceux du GIGN. » A la Préfecture de police de Paris, on rappelle aussi que les piégeurs d’assaut de la BRI sont des anciens militaires du GIGN ou du commandement des opérations spéciales.

Pas étonnant, dans ce contexte, que la commande du ministre de l’intérieur n’ait pas permis une remise à plat ambitieuse : « Il n’y a pas de bilan réel de compétences », reconnaît un policier. Et encore moins l’amorce d’une fusion. « Une seule unité, ça règle tous les problèmes », croit pourtant l’ancien du RAID.