Logo Apple . 28 avril 2016 | DADO RUVIC / REUTERS

Les multinationales face à l’Etat ­américain, le feuilleton continue. Il y a quelques semaines, Apple se préparait à un combat judiciaire titanesque face au FBI, qui voulait contraindre l’entreprise à « cracker » un iPhone récupéré dans le cadre de l’enquête sur les attentats terroristes de San Bernardino. La police fédérale, ayant entre-temps obtenu l’aide d’un tiers, n’a plus eu besoin de la firme et a abandonné la bataille judiciaire.

Mais voilà que, le 14 avril, Microsoft attaque le ministère américain de la justice devant les tribunaux. Microsoft souhaiterait pouvoir contourner plus souvent l’obligation de secret que lui imposent les juges lorsqu’ils ­ordonnent une perquisition dans le « cloud », afin d’avertir ses clients mis en cause.

Apple se défendait, Microsoft attaque. Si la firme à la pomme ne voulait pas être obligée de casser les mécanismes de protection qu’elle a elle-même installés, Microsoft veut pouvoir avertir ses internautes qui lui confient leurs données lorsqu’ils font l’objet d’une enquête. Ces deux dossiers sont révélateurs d’une ­tendance troublante : les deux entreprises sont montées au front judiciaire pour ­protéger les droits de leurs utilisateurs. Des entreprises privées, plus connues pour leur opacité et leurs pratiques contestables en ­matière de liberté d’expression, se retrouvent donc à défendre des millions de citoyens.

Bien sûr, ne pas laisser le FBI se ménager une porte d’entrée dans ses produits était dans l’intérêt bien compris d’Apple, tout comme l’exigence d’être plus transparent envers ses clients est dans celui de Microsoft. Il en va de leurs colossaux marchés à l’étranger, où les consommateurs n’apprécient guère de savoir que le gouvernement américain est en ­mesure d’accéder à leurs données ­personnelles et à leurs secrets commerciaux.

Données sans frontières

Cependant, même si les démarches des ­multinationales ne sont pas désintéressées, elles n’en sont pas moins essentielles, tant ­elles contribuent à déterminer les limites de l’emprise de la puissance publique sur nos vies numériques. Les données numérisées n’ont en effet plus de frontières, et les ­téléphones ­d’Apple se vendent par millions dans le monde entier, alors même que les ­limites à l’intervention de la justice se ­dessinent devant les tribunaux américains. Les citoyens ­connectés sont donc contraints d’observer, à distance, ces combats qui les concernent au premier chef.

Et ce n’est que le début. Facebook a indiqué, à la suite de la fuite d’un débat interne pour ­ savoir si le réseau social devait ou non contrer l’ascension de Donald Trump, que l’entreprise n’interférerait pas dans la présidentielle. La question du rôle démocratique du premier ­ réseau social du monde, qui filtre ce que lisent et voient plus d’un milliard d’êtres humains, est cependant loin d’être ­évacuée.

Cette importance des grandes entreprises dans le débat public n’est pas chose neuve. Aux Etats-Unis, la fin du XIXe siècle a été ­marquée par l’influence philanthropique des Rockefeller et autres Carnegie. Si l’on en croit le biographe de ce dernier, les capitaines ­d’industrie du XXIe siècle disposent d’encore plus d’influence. « Carnegie n’aurait même pas pu imaginer le pouvoir qu’a Mark ­Zuckerberg aujourd’hui. La force du ­changement social n’est plus l’apanage des gouvernements », ­explique David Nasaw au Guardian. ­Problème : quelles que soient leurs turpitudes, c’est aux Etats et aux ­gouvernements ­de protéger les citoyens. A la différence des entreprises, qui n’ont que des clients.