L’aventure nucléaire prend désormais des proportions bibliques pour EDF, façon plaies d’Egypte. Après l’explosion des coûts de fabrication du réacteur EPR, puis la tempête des prix de l’électricité qui ravage son modèle économique, voici le poison de la méfiance qui se diffuse dans toute la filière. En avril, l’Autorité de sûreté ­nucléaire (ASN) prévenait les entreprises du secteur d’un risque sur des pièces fabriquées par un sous-traitant de la Loire. Des documents de certification ont été falsifiés.

Vendredi 29 avril, c’est au tour d’Areva de reconnaître avoir détecté des anomalies sur des dossiers de fabrication de pièces dans son usine du Creusot. Le PDG, Philippe Knoche, n’exclut pas, lui aussi, une falsification de documents pour « faire passer » des pièces litigieuses. Bien sûr, dans les deux cas, les entreprises soulignent que ces tromperies ne mettaient pas en cause la sécurité et que les procédures ont été changées. Promis, cela ne se reproduira plus.

Le mal est fait

Trop tard, le mal est fait. Confiance et transparence sont les deux ingrédients indispensables d’un développement maîtrisé du nucléaire dans un pays développé. Comment, sinon, convaincre des populations facilement inquiètes d’accepter dans leur jardin l’installation d’une usine dont le risque ne semble plus maîtrisé ?

L’Autorité de sûreté nucléaire est donc condamnée à appuyer plus fort à chaque défaut décelé, comme elle l’a fait pour les imperfections de fabrication de la cuve géante de l’EPR de Flamanville, qui ont indirectement abouti à la détection des anomalies dans l’usine du Creusot. Cette usine raconte à elle seule les vicissitudes d’une filière en permanente recomposition. Héritage de l’empire Creusot-Loire des Schneider, elle a été vendue à Arcelor qui l’a cédée en 2003 à Michel-Yves Bolloré, lequel l’a vendue en 2006 à Areva, lui-même issu de la fusion des activités de la Cogema et de Framatome, autre lointain héritier des Schneider. A chaque étape, les hommes et les organisations changent, les procédures qualité aussi.

Il faut espérer que la filière française sorte renforcée de l’épreuve qu’elle traverse. Mais ce n’est pas sûr. L’EPR, fleuron français du nucléaire, est le symbole d’une conception centralisée à l’extrême de l’énergie. Pour des raisons d’efficacité, de sécurité et d’acceptation dans l’opinion, le choix a été fait d’installations très lourdes et concentrées sur le moins de sites possible. Mais cette centralisation induit des difficultés de fabrication dont on mesure aujourd’hui les conséquences.

Finalement, l’autre électricien français, Engie, qui n’a jamais réussi à percer dans le nucléaire en dehors de la Belgique, ne peut que se féliciter de son échec dans ce domaine. C’est probablement pour cela que sa nouvelle patronne, Isabelle Kocher, intronisée aujourd’hui, préfère regarder vers le solaire décentralisé et la transition énergétique, plutôt que vers les grandes tours des centrales atomiques.