Raphael Halet, le 26 avril à à Luxembourg. | JOHN THYS / AFP

Au sein du géant de l’audit PricewaterhouseCoopers (Pwc), il n’était qu’une petite main anonyme. Un rouage que personne ne remarque, bien loin des auditeurs ou des associés, ces surdiplômés qui ne comptent pas leurs heures et détiennent le pouvoir. De sa position, Raphaël Halet voyait pourtant passer tous les documents, y compris les plus confidentiels. Responsable du « tax process support », il était à la tête d’une équipe de cinq personnes chargée de scanner toute la journée des centaines et des centaines de page. Et notamment ces fameux rescrits fiscaux, les accords secrets négociés avec le fisc luxembourgeois par PwC pour le compte de grandes multinationales.

Vendredi 29 avril, Raphaël Halet a témoigné pour la première fois au procès LuxLeaks, où il est jugé au côté de l’ex-auditeur Antoine Deltour pour avoir fourni au journaliste de « Cash Investigation », Edouard Perrin – également inculpé –, certains des documents qui ont déclenché le vaste scandale LuxLeaks après leur publication en novembre 2014.

A la différence d’Antoine Deltour, l’ancien chargé du « scanning » chez PwC était jusqu’ici resté très discret sur ses motivations, refusant de répondre à la presse. Après avoir été identifié fin 2014 par PwC, il avait en effet accepté un licenciement à l’amiable et signé un accord de confidentialité avec le cabinet, qui le menaçait sinon de réclamer 10 millions d’euros de dommages et intérêts.

« J’ai découvert des pratiques qui me choquent »

Son témoignage était d’autant plus attendu. Rentré en 2006 comme simple secrétaire chez PwC, ce Mosellan de 40 ans, a assuré devant le tribunal avoir découvert lors de la diffusion de « Cash Investigation », en 2012, le sens des documents qu’il scannait toute la journée. « Avant le reportage, ce n’était que du travail administratif, a déclaré Raphaël Halet, qui est au chômage depuis un an. J’ai découvert des pratiques qui me choquent, qui vont à l’encontre de mes valeurs. »

Ce premier reportage avait pu être réalisé grâce aux documents fournis par Antoine Deltour en 2011. Il décide peu après de prendre lui aussi contact avec Edouard Perrin pour lui proposer de fournir des nouveaux documents. Après plusieurs échanges d’email et une rencontre, Raphaël Halet accepte d’envoyer, au moyen du brouillon d’une adresse gmail, seize déclarations fiscales, complétant ainsi les centaines de rescrits déjà en possession du journaliste.

Les débats se sont longuement attardés sur la question de savoir si c’est Edouard Perrin qui a demandé des documents ou Raphaël Halet qui les lui a proposés, une question cruciale pour justifier l’inculpation du journaliste pour « complicité de violation du secret des affaires ». Si Raphaël Halet avait évoqué une responsabilité du journaliste devant la juge d’instruction, il est revenu sur sa déclaration à la barre vendredi. « Je ne cherche pas à le mettre en cause, il a fait son travail. Point », a déclaré l’ancien secrétaire dont les véritables motivations sont toutefois restées un peu floues.

Psychologiquement fragile, l’homme a, par ailleurs, été soumis à une pression énorme par PwC. Après l’avoir repéré, le cabinet avait envoyé un huissier accompagné de gendarmes à son domicile en France pour inspecter son matériel informatique et fouiller sa messagerie afin de s’assurer qu’il ne disposait pas d’autres documents.

Des millions d’euros en jeu

Mais la salle d’audience était surtout intéressée, vendredi, par le récit des conditions dans lesquelles PwC négociait les accords fiscaux avec les autorités luxembourgeoises. Cités à comparaître par la défense, les responsables du fisc s’étaient auparavant murés dans le silence. Marius Kohl, l’ex-fonctionnaire qui dirigeait le « bureau 6 », la section chargée d’approuver les rescrits, avait envoyé mercredi une attestation médicale pour ne pas venir témoigner. Convoqué à son tour vendredi, son supérieur, Guy Heintz, le directeur du fisc luxembourgeois, s’est lui abrité derrière le « secret fiscal », le « code pénal », et le « statut des fonctionnaires » pour refuser de répondre à toute question sur le fonctionnement de ses services.

Comparé à ce silence, le témoignage de Raphaël Halet était, lui, édifiant. L’ancien employé a ainsi assuré que les rescrits fiscaux, entièrement préparés par PwC, étaient soumis pour simple approbation à Marius Kohl, qui les tamponnait ensuite en à peine quelques heures, avant de les lui retourner. Les documents, qui faisaient chacun plusieurs centaines de pages, étaient toujours présentés le mercredi. A chaque fois, « autour de 40 ou 50 ATA [Advance Tax Agreement, le terme anglais pour rescrit fiscal] en moyenne, ça commençait à 13 h 30 et le dernier associé passait vers 16 h 30 ». Les rescrits revenaient ensuite tamponnés le soir même ou le lendemain. « Je me suis amusé à calculer : ça faisait trois minutes d’examen par document. »

Derrière, des millions d’euros sont pourtant en jeu pour les multinationales qui comptaient transférer leurs bénéfices au Luxembourg. « Les jours où on avait un rendez-vous, les clients appelaient le soir même pour avoir leur ATA. » Mais les règles de discrétion étaient là encore très strictes. « Les clients disaient “je veux mon ATA, je veux mon ATA”, mais on n’avait pas le droit de leur donner. S’ils voulaient le voir, il fallait faire une demande pour le consulter, on ne faisait pas de copie », a expliqué Raphaël Halet. Pourtant, PwC procédait aussi parfois avec des méthodes étonnement artisanales : une fois scannés par les services de Raphaël Halet, les accords étaient souvent retournés au fisc par simple clef USB. Surtout, le cabinet n’a pas pu empêcher deux de ses rouages de s’indigner de ces pratiques et de s’emparer de documents pour les révéler.

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