Des membres du mouvement Nuit debout sont venus soutenir l'occupation du théâtre parisien par des intermittents du spectacle. | PHILIPPE LOPEZ / AFP

Stéphane Braunschweig a des tas de raisons d’être anxieux : la première de Britannicus qu’il répète à la Comédie Française est dans dix jours et voilà que l’Odéon-Théâtre de l’Europe dont il vient d’être nommé directeur en remplacement de Luc Bondy, a été investi par les intermittents du spectacle réclamant d’y tenir leur assemblée générale ce lundi 25 avril.

L’occupation est le moyen de faire pression sur les négociations qui se déroulent au même moment au ministère du travail sur le régime d’assurance-chômage des travailleurs du spectacle. « À La Colline plusieurs fois j’ai ouvert la salle aux intermittents pour une assemblée générale, explique le metteur en scène. Là, ils sont plus dans une logique d’occupation, ce qui rend la chose difficile. Occuper un lieu n’est pas anodin, même s’ils l’ont fait de manière responsable et pas agressive. »

Ils sont arrivés à 18 heures, dimanche soir, après la représentation de Phèdre, avec Isabelle Huppert, pour occuper les locaux jusqu’à mardi, gentiment : le lundi, à l’Odéon, c’est relâche. Une trentaine de personnes, « intermittents, étudiants, précaires et nuitdeboutistes », comme ils se désignent eux-mêmes dans le communiqué de presse, lu au mégaphone ce lundi matin depuis la terrasse du théâtre. « De l’argent il y en a, construisons de nouveaux droits », hurle en lettres rouges la grande banderole qu’ils y ont déployée.

La journée de lundi s’annonce longue. À 10 heures, seule une poignée de militants les soutiennent sur la place. « Ce n’est que par le blocage des institutions qu’on obtient le dialogue », explique Jade, intermittente régie à Alain, « autonome » en 1979, aujourd’hui à la tête d’une société d’aide au développement d’entreprises. « C’est étonnant de vouloir casser ce régime dont de plus en plus de gens ont besoin », s’indigne Guy Nicolas, un ancien. « Tiens, s’exclame-t-il en montrant un homme au grand galure noir sur le balcon, c’est Michel, le fondateur de la compagnie Jolie Môme. » Celle qu’on retrouve dans le film Merci Patron, de François Ruffin, le blockbuster de Nuit debout.

Reprise des négociations mercredi

De là-haut, on s’évertue pour lutter contre le froid de haranguer au mégaphone une foule qu’on espérait plus nombreuse. Lieux des débats lors de son occupation en 1968, victoire des intermittents en 1992 lorsqu’ils l’investirent, l’Odéon aurait-il perdu de sa force symbolique ? « Les gens vont venir ce soir, assure au téléphone, Claire, qui fait partie des occupants. On appelle à un rassemblement à 17 heures devant le ministère du travail, qui doit ensuite rallier l’Odéon. »

Vœu exaucé. Devant le ministère du travail, 300 personnes écoutent le compte-rendu des négociateurs qui – « dans la salle des accords de Grenelle », comme le dit fièrement le représentant CGT – affrontent l’ennemi de classe : le patronat. « Séparation du Medef et de l’Etat », résume la pancarte du maigre et longiligne Jean-Baptiste, alias Voltuan, instituteur à la retraite qui est depuis des lustres de toutes les manifs avec ses habits fluo et ses slogans peints. L’antienne est partout répétée. « Pends, pends ton patron, tu auras sa galette. Pends, pends ton patron, tu auras son pognon », chante une militante.

Ils sont un bon millier lorsque le cortège finalement se met en route pour l’Odéon. Nuit debout a en effet décidé de déserter la place de la République pour tenir son assemblée générale à l’Odéon. Seulement voilà, laisser entrer les manifestants dans le théâtre serait prendre le risque qu’ils n’en sortent plus. La préfecture préfère les contenir sur la place. En sous-nombre au début, les CRS commencent à se faire chahuter. Lâchage de gaz lacrymogènes. Les renforts arrivent. Un déploiement impressionnant qui bloque toutes les rues et un dégagement manu militari du parvis qui finit de casser l’ambiance. La pluie fera le reste.

Sur le toit du théâtre, le néon installé par Claude Lévêque en janvier dans le cadre d’un parcours d’art contemporain, sonne comme un clin d’œil à double sens : « The World is yours » (« Le monde est à vous »). Du haut de leur balcon, les occupants qui avaient annoncé qu’ils plieraient bagage mardi, menacent, devant la charge policière et le refus d’ouvrir les portes du théâtre, d’empêcher la tenue des prochains spectacles. Stéphane Braunschweig le sait, l’occupation en 1968 avait coûté sa place à Jean-Louis Barrault. La journée de mercredi aussi risque d’être longue, les négociations avec le ministère n’ayant pas abouti mardi.