En Gambie, en 2006. | Finbarr O'Reilly/REUTERS

Après six heures de route, Hamdallaye, village frontalier entre le Sénégal et la Gambie, apparaît sous les lueurs du jour. Des deux côtés de la route, des colonnes de camions, à perte de vue. Côté sénégalais, certains ont leur citerne remplie de fioul. « Ces camions, qui doivent approvisionner la Gambie en électricité sont stationnés depuis bientôt trois semaines, confie un membre de la sécurité sénégalaise. Ce matin, le directeur des hôpitaux de la Gambie a fait une demande pour laisser passer une commande de bonbonnes d’oxygène qui commencent à manquer dans son pays. Mais nous n’avons rien pu faire pour lui, les ordres nous viennent d’en haut. »

Ici, aucun camion n’entre en Gambie, petit pays enclavé dans le Sénégal, et aucun n’en sort non plus. Le blocus dure depuis le 10 février, date à laquelle le président Yahya Jammeh a pris un décret fixant le prix du passage d’un camion de marchandises en territoire gambien à 400 000 francs CFA (610 euros) au lieu de 4 000 francs CFA (environ 6 euros) précédemment.

Du côté de Farafenni et de Karang

Cette mesure, accompagnée de la fermeture de la frontière gambienne le 13 février, a poussé le Sénégal à réagir en bouclant ses deux frontières : du côté de Farafenni et, deux jours après, à Karang.

Le bras de fer n’aura pas duré longtemps côté gambien puisque le président Yahya Jammeh a rouvert les frontières de son pays le 29 février. Mais la fermeture de la frontière gambienne n’a pas été appréciée par les autorités sénégalaises qui ont maintenu les leurs fermées. « Le blocus est réel mais rien n’est officiel. C’est ce qui explique d’ailleurs que les forces de défense et de sécurité ne se soient pas déployées le long des frontières », confie un responsable de la sécurité sénégalais.

La situation a contraint les camionneurs sénégalais à emprunter la voie de contournement de la Gambie. Longue de plus de 750 km, cette voie – qui part de la région de Kaolack (centre du Sénégal) – passe par la région orientale de Tambacounda et débouche sur les régions de Kolda, puis Ziguinchor en Casamance.

« Ça en vaut la peine »

Gonflés à bloc, les transporteurs sénégalais ont préféré arpenter cet axe malgré les difficultés de la route. « Nous en avons marre que le président Jammeh ferme de façon unilatérale les frontières de son pays. Il agit ainsi depuis qu’il est au pouvoir pour faire chanter le Sénégal. Cette fois-ci, nous avons décidé d’agir en contournant son territoire. C’est dur, mais ça en vaut la peine et nous avons le feu vert de Dakar », souligne le chargé des relations publiques de l’Union des routiers du pays de la Teranga.

Cette exaspération des transporteurs sénégalais et de certains commerçants n’est rien en comparaison de la souffrance que le peuple gambien endure à cause de ce blocus. Car la Gambie ne partageant de frontières qu’avec le Sénégal voit aujourd’hui son économie quasiment asphyxiée.

Dans le port de Banjul, des conteneurs s’entassent en attente d’embarquement. Plus loin, au marché central, les commerçants font grise mine en se tournant les pouces, faute de clients. « Le blocus n’arrange personne, car nous tirons nos revenus des grands commerçants sénégalais usagers du ferry. Ils ne viennent plus parce que la libre circulation des biens est désormais interdite », soupire Abdoul Diop, un commerçant gambien. Même constat chez les cuisinières du marché qui déplorent la raréfaction de la clientèle.

« Les pots cassés »

« L’Etat a de plus en plus du mal à payer les salaires. Au mois de mars, j’ai reçu la moitié du mien. Le président Jammeh n’en fait qu’à sa tête et, malheureusement, c’est le peuple qui paie les pots cassés », confie un policier gambien rencontré à l’hôtel Kaïraba où se déroule jusqu’au 20 avril la 58e session de la Commission africaine des droits de l’homme et des peuples.

Le gouvernement gambien s’est plaint, fin mars, auprès de la commission de la Communauté économique des Etats d’Afrique de l’Ouest (Cédéao), en soutenant que le Sénégal asphyxiait son économie par ce blocus. « Mais l’attitude de l’Etat du Sénégal peut se comprendre, explique l’analyste politique Mamadou Wane, ancien haut cadre des Nations unies. Le président Macky Sall est le président en exercice de la Cédéao, organe qui prône la libre circulation des personnes et des biens. Ce serait donc très mal vu s’il venait à fermer officiellement ses propres frontières et cela créerait un dangereux précédent. »

Les transporteurs sénégalais, qui continuent à contourner la Gambie, posent comme préalable à un retour à la transgambienne l’engagement avec garanties du président Jammeh de ne plus utiliser ses frontières comme un « moyen de pression » sur le Sénégal. Reste à savoir si l’idée fera son chemin. Et vite.