Depuis la mi-février, les marchés ont fortement rebondi. | KAI PFAFFENBACH / REUTERS

Les bons mots ne manquent pas pour commenter la part d’irrationalité inhérente aux marchés financiers. Warren Buffet faisait remarquer il y a quelques années que pour un investisseur, parier sur un retour des marchés à la rationalité suppose de pouvoir rester solvable plus longtemps que les marchés demeureront irrationnels.

D’autres grands classiques de la « sagesse des marchés » consistent à faire remarquer que s’obstiner à rester rationnel dans un monde de fous est pure folie, ou que les marchés ont toujours raison, ou encore que seul le résultat compte. Il y a toujours une part de vérité dans les adages. On sent bien qu’il y a derrière leur persistance à travers les années la force de l’expérience, acquise probablement dans la douleur. Quiconque s’est fait piétiner en essayant de résister à un mouvement de foule en panique en conviendra.

Faut-il donc considérer que le rebond des marchés actions depuis le 11 février ne doit pas être analysé, ni évalué, mais seulement savouré ? Evidemment non. Sauf à se contenter de rire innocemment d’un autre bon mot, de l’humoriste Coluche celui-là : « Je ne suis pas idiot : bien sûr que si j’avais réfléchi avant de signer, je n’aurais pas signé. »

Donc comment s’explique ce fameux rebond ? Le soutien inébranlable aux marchés, de nouveau affiché par la Banque centrale européenne (BCE) en mars, peut être évoqué. Le rebond du prix du pétrole, et la pause annoncée par la Fed dans son cycle de resserrement monétaire, aussi. Mais s’il n’y avait que ces raisons à proposer, le rebond aurait été beaucoup plus modeste. Concernant le prix du pétrole, on peut ainsi comprendre que sa remontée, hors de la zone de panique en deçà de 30 dollars le baril, ait constitué un fort soulagement. Mais pourquoi, au-delà de cette zone de confort, la hausse du prix du pétrole constituerait-elle en soi une bonne nouvelle pour la zone euro et le Japon, importateurs nets de pétrole ?

Les marchés ont pris la main sur les banques centrales

Quant à la posture très accommodante des banquiers centraux, comment croire qu’elle justifie encore d’être saluée comme une initiative prometteuse ? Une banque américaine a calculé que depuis 2008, les banques centrales dans le monde ont procédé à 637 baisses de taux, et acquis pour 12 000 milliards d’actifs financiers.

Si elles ne sont pas encore parvenues après cela à redonner à l’économie mondiale son rythme d’avant-crise, devrait-on compter sur la 638e baisse pour faire la différence ? Par ailleurs, « grâce à » cet activisme forcené, plus de 40 % des emprunts d’Etat en Europe « offrent » désormais des taux d’intérêts négatifs, forçant les épargnants à prendre toujours plus de risque pour espérer toucher un rendement positif, écrasant la capacité bénéficiaire des banques, et donnant l’impression aux Etats que s’endetter, c’est s’enrichir.

En fait, ce qui met les marchés de bonne humeur est plutôt qu’ils réalisent avec délice qu’ils ont pris la main sur les banques centrales : devant la chute des Bourses en début d’année, la Fed comme la BCE ont rapidement assoupli leur posture de décembre, pour tenir un discours beaucoup plus « accommodant » en effet.

Mais la cause décisive du spectaculaire rebond des marchés vient en réalité de Chine. La frayeur qu’avaient causée les rumeurs de « hard landing » de l’économie chinoise en début d’année avait compté pour beaucoup dans la forte chute des Bourses. La découverte de sa « stabilisation » au premier trimestre a symétriquement enclenché un large mouvement de reprise. D’autant qu’il ne s’agit pas d’une stabilisation, mais d’un véritable feu d’artifice. Le gouvernement chinois a décidé de revenir à la recette utilisée pour la dernière fois en 2009 : réactiver par le crédit les leviers de l’immobilier et de l’activité industrielle.

Fuite en avant de la Chine

Les effets sont déjà extrêmement visibles. Au premier trimestre 2016, le rythme de croissance des ventes d’immobilier est passé de 5 % à 35 %. Autre mesure de la pyrotechnique de ce début d’année : les ventes de machines excavatrices, qui baissaient en 2015 au rythme d’environ 30 % chaque trimestre, ont soudainement crû de 15 %. La production de ciment, qui était encore en baisse de 12 % en janvier et février, a augmenté de 5 % en mars. Pour prix de ce sursaut, le taux d’endettement du secteur privé chinois, qui est déjà passé de moins de 100 % du PIB avant 2008 au record mondial absolu de 160 % en 2015 (un taux plus élevé que celui qu’avait atteint le Japon au plus fort de sa bulle immobilière) va donc continuer d’augmenter.

La Chine, au lieu de continuer de se réformer, de restructurer son secteur bancaire et de réduire ses surcapacités industrielles, fait soudainement le choix de la fuite en avant, en aggravant le problème plutôt que de le traiter. Par conséquent, il est rationnel que le prix des matières premières rebondisse à court terme, par l’effet mécanique de l’augmentation de la demande. Il l’est également de reporter à plus tard les craintes sur le ralentissement économique chinois.

Mais est-il rationnel que, du même coup, les marchés actions rebondissent violemment ? Pour répondre par l’affirmative, il faudrait considérer que l’aggravation des risques économiques et financiers à moyen terme ne justifie pas l’application aux marchés actions d’une prime de risque plus élevée. Ou, pour le dire plus simplement, il faudrait considérer que les marchés ont bien réfléchi avant de signer. A chacun de juger.

Didier Saint-Georges, membre du comité d’investissement de Carmignac