Le président du conseil de surveillance de Vivendi, Vincent Bolloré, le 21 avril 2016 à Paris. | CHARLES PLATIAU / REUTERS

C’est un dossier dans lequel il n’y a que des démentis. Officiellement, la chaîne d’information i-Télé n’est pas à vendre. Et, toujours officiellement, parmi les médias français, aucun acquéreur potentiel n’est intéressé. Signe que la rumeur qui circule depuis plusieurs semaines est infondée ? Ou symptôme d’un jeu classique entre acheteurs et vendeurs, où personne n’a intérêt à déclarer ses intentions ?

Des acteurs du secteur assurent que les dirigeants de Vivendi ont récemment fait comprendre qu’une vente de leur chaîne n’était pas taboue. Le premier actionnaire du groupe, Vincent Bolloré, et le propriétaire de SFR, Patrick Drahi, ont évoqué i-Télé quand ils se sont rencontrés il y a quelques mois. Mais c’était parmi d’autres sujets comme le sport – des dossiers actuellement plus brûlants dans l’esprit des deux magnats des médias et des télécoms.

« Nous n’avons pas de projet de cession d’i-Télé ni aucune négociation avec qui que ce soit », assure-t-on chez Vivendi. Tout en reconnaissant : « C’est vrai que la situation est difficile, comme pour toutes les chaînes d’information. Il y a un excès de concurrence. »

Insistance sur les pertes

C’est d’ailleurs cette situation qui a relancé les spéculations. Le 21 avril, à l’occasion de l’assemblée générale du groupe, M. Bolloré a envoyé un message qui a frappé : « i-Télé a perdu 16 millions d’euros en 2014, 20 en 2015 et probablement 25 en 2016. Et c’est avant l’arrivée d’une nouvelle concurrence : LCI, filiale de TF1, qui ne sont pas des manchots, et la chaîne publique, payée par l’Etat, donc nous. »

Ces sombres perspectives ne sont pas de celles qu’un vendeur met habituellement en avant, souligne un cadre d’une grande chaîne : « Pourquoi dire publiquement que la chaîne va mal et gonfler ses pertes artificiellement ? », s’interroge-t-il, en référence au fait que les chiffres énoncés par M. Bolloré ne tiennent pas compte de la part de l’activité d’i-Télé dédiée aux journaux de Canal+ et évaluée à dix millions d’euros.

Autre constat de cette source : il n’est pas évident de vendre une chaîne d’information à un groupe qui en possède déjà une, comme TF1 (LCI) et SFR (BFM-TV via NextRadioTV). Parmi les groupes audiovisuels, M6, dont l’actionnaire Bertelsmann détient également la radio RTL, pourrait faire figure de candidat, mais son président, Nicolas de Tavernost, n’a jamais beaucoup misé sur l’information.

Parmi les acteurs issus de la presse, les actionnaires du Monde (Pierre Bergé, Xavier Niel et Matthieu Pigasse) s’étaient déclarés intéressés par LCI, en 2014, au même titre que le Groupe Le Figaro. Depuis cette initiative, M. Pigasse a répété à GQ en novembre 2015 : « Si LCI nous intéresse, vous pouvez considérer qu’i-Télé nous intéresse. » Il a aussi levé des fonds récemment, avec M. Niel, dans le cadre de la société Mediawan, dont l’objet est d’acquérir des contenus en Europe.

Projet différé

Au-delà de ces intérêts réels ou putatifs, reste la question de la valeur d’i-Télé. Un cadre de groupe audiovisuel estime qu’« acquérir une chaîne d’information n’est pas forcément très intéressant, vu la concurrence renforcée. Sauf si elle était vendue à un prix très faible ou nul, car il y a des pertes voire un plan social à assumer. » Cette option serait-elle acceptable pour M. Bolloré ?

Dans les couloirs de la chaîne, la lettre adressée par le président du conseil de surveillance de Vivendi, le 21 avril, a été perçue comme un signe de désengagement. A la rentrée 2015, Vincent Bolloré avait assuré qu’il avait l’ambition de concurrencer BFM-TV. Mais depuis, i-Télé est confrontée à des économies et reste encore dans l’attente d’un projet. « La rumeur prend corps car s’installe l’idée que Bolloré ne sait pas quoi faire de cette chaîne », décrit Olivier Ravanello, président de la Société des journalistes d’i-Télé - Canal+. « Il y aura des développements en 2016 », a promis l’actionnaire.

La définition d’un scénario de relance pour i-Télé est compliquée par la multiplication récente des chaînes d’info. Avril a été marqué par l’arrivée en gratuit de LCI, qui a conquis 0,3 point d’audience sur le mois. La chaîne leader, BFM-TV, a elle reculé à 1,8 %, en baisse de 0,1 point par rapport à l’an dernier. L’audience d’i-Télé s’est maintenue, à 1 %. Dès septembre, il faudra compter avec France Info, la chaîne que prépare le service public.

BFM-TV en recul, LCI loin de l’équilibre

Cette concurrence fait craindre à certains un scénario où toutes les chaînes connaîtraient des difficultés, même si BFM-TV, rentable, a de la marge. LCI, passée de 0,5 point début avril à 0,2 ces derniers jours, occasionne des pertes significatives pour TF1 et n’espère pas atteindre l’équilibre avant trois ans.

Sur le terrain, les journalistes voient le renforcement de la concurrence avec une certaine appréhension. Fin mars, des rédacteurs de BFM-TV se sont plaints de problèmes dans les « pools », le système par lequel les chaînes, lors d’un déplacement, confient pour tous la prise d’images à un seul cameraman, traditionnellement de TF1 ou France 2. « Avec la présidentielle de 2017, il y aura encore plus de journalistes autour des candidats, ça va être compliqué », anticipe Hervé Béroud, directeur de la rédaction de BFM-TV.

« A quatre chaînes d’info, cela ne va pas le faire », pense-t-on toujours à BFM-TV, en attente de son recours au fond devant le Conseil d’Etat contre le passage de LCI en gratuit. Y a-t-il une chaîne de trop ? Les spéculations en cours évoquent celles du secteur des télécoms, où certains espèrent que le marché passe à trois opérateurs avec le rachat de Bouygues Télécom. Sans succès jusqu’ici, malgré deux phases de négociations très avancées entre des acteurs aux intérêts à la fois convergents et divergents.