Clémentine Autain, © PJ8-7

Par Clémentine Autain

Non contents de détruire la gauche et de mener une politique misérable, les hérauts du gouvernement tentent de jeter l’anathème sur ceux qui les contestent. Seraient-ils aux abois ? Après Julien Dray et Manuel Valls, c’est au tour de Jean-Marie Le Guen de s’en prendre à moi, non sur le cœur de mon projet politique mais sur une question, aussi brûlante qu’épineuse par les temps qui courent, l’une de ces questions avec lesquelles on ne devrait pas jouer en méprisant les faits et les arguments. Me voilà donc promue porte-drapeau improbable d’un « islamo-gauchisme », prête à « céder totalement au différentialisme culturel » en acceptant – tenez-vous bien - « de substituer des normes religieuses et communautaires à nos droits et nos règles républicaines » (sic). Cette charge, aussi violente que délirante, est indigne. Elle mérite de porter plainte politiquement.

Je voudrais en premier lieu dire à quel point je n’accepte pas les leçons de ceux qui n’ont pas su balayer devant leur porte. A-t-on entendu Jean-Marie Le Guen critiquer la remise de la légion d’honneur à un prince-héritier d’Arabie Saoudite ? Non. A-t-on entendu Jean-Marie Le Guen au sujet de la main que n’a pas voulu serrer un ministre israélien orthodoxe à la ministre Marisol Touraine ? Non. A-t-on entendu Jean-Marie Le Guen s’interroger sur la légitimité d’Elisabeth Badinter quant à ses prises de position contre Daesh et l’Islam alors qu’elle figure parmi les actionnaires principaux de Publicis qui vient de signer un contrat pour redorer l’image de l’Arabie Saoudite ? Non. Est-ce moi qui vends des armes au Qatar et à l’Arabie Saoudite ? Évidemment non. Enfin, qui a cédé aux pressions de la sainte alliance de la Manif-pour-tous et des intégristes islamiques en retirant l’ABCD de l’égalité, outil qui devait permettre de lutter contre les stéréotypes sexistes à l’école ? Ce n’est pas moi non plus mais le gouvernement.

Comme tout le monde peut le vérifier aisément s’il s’en donne la peine, je n’ai cessé de lutter contre les fondamentalismes religieux, d’où qu’ils viennent. Féministe, je sais ce qu’il en coûte à l’émancipation des femmes. Attachée à la laïcité et à la paix, je sais aussi ce que les intégrismes peuvent détruire sur les terrains décisifs du vivre ensemble et de la liberté. Une rumeur, relayée par certains dirigeants socialistes, a conduit à ce que de nombreuses personnes me demandent pourquoi j’avais organisé un meeting avec Tariq Ramadan ! Non seulement je n’ai jamais organisé de meeting avec Tariq Ramadan, mais je n’ai même jamais partagé de tribune avec lui. Pourquoi ? Parce que Tariq Ramadan est un orthodoxe conservateur, lié aux frères musulmans : il n’est pas mon « camarade », comme a osé le sous-entendre Jean-Marie Le Guen sur Tweeter. J’aimerais donc que l’on débatte à partir des positions réelles des uns et des autres. Je constate que le nom de Tariq Ramadan suscite des réactions hyperviolentes qu’aucune autre personnalité religieuse à orthodoxie équivalente dans d’autres Églises ne suscite. Je comprends que le contexte de Daesh conduise à un regard précautionneux mais j’appelle à la vigilance sur le deux poids, deux mesures qui peut générer des replis identitaires que nous voulons précisément éviter. En outre, il peut arriver qu’avec des religieux conservateurs, on partage un combat. J’ai applaudi quand le pape François a porté le fer sur la question des réfugiés à l’échelle européenne. Est-ce pour autant que le pape François est mon allié ? Bien sûr que non.

Où Jean-Marie Le Guen a-t-il vu que je souhaite remplacer nos règles républicaines par des normes religieuses ? Jamais je n’ai défendu une telle ineptie. Je tiens à la laïcité, j’en revendique le principe dans la lignée de la conception de Jaurès. Ce que je n’accepte pas, c’est que la laïcité, comme l’égalité hommes/femmes, soit instrumentalisée au service d’une chasse aux musulmans. Et pour ma part, contrairement à un certain nombre de leaders du PS, je n’ai pas l’intention de redéfinir la laïcité et la République avec Causeur et leurs amis de la droite extrême au sein d’un curieux « Printemps républicain ». À mon sens, les conditions de l’apaisement supposent de tenir deux bouts : combattre sans faiblir Daesh et les réseaux de recruteurs djihadistes d’une part, lutter contre ce racisme qui prend la forme d’un rejet des musulmans d’autre part. Laisser penser que l’Islam n’a qu’une seule lecture possible, intégriste, conservatrice, mortifère, est de nature à nourrir le projet djihadiste. L’insulte ne me fera pas taire. Je suis et resterai à la fois aux côtés des victimes de Charlie, de l’Hyper Casher, des tueries de novembre, et de tous ceux qui refusent d’en faire payer le prix à tous les musulmans, qui se trouvent être d’ailleurs les premières victimes de Daesh à l’échelle mondiale. Ma conviction est que c’est aussi sur la base de cette cohérence que nous pourrons combattre efficacement le Front national.

Que signifie donc ce qualificatif « islamo-gauchiste » ? Il vise à jeter un anathème, à discréditer sans autre forme de procès argumenté. Je suis élue de Sevran et donc bien placée pour connaître les drames en cours des recrutements djihadistes comme les méfaits d’un islam intégriste qui progresse. Jean-Marie Le Guen ne sait sans doute pas que c’est mon groupe politique qui est intervenu au conseil municipal pour que notre ville affiche sur son site Internet et dans les lieux publics le numéro vert « Stop djihadisme ». Un minimum. La majorité de Stéphane Gatignon, avec le PS, n’y avait pas encore songé. Ce que je sais également, c’est la violence des préjugés contre les musulmans qui se trouvent aujourd’hui stigmatisés et les dégâts profonds des inégalités sociales et territoriales, décombres sur lesquels se dressent aujourd’hui les murs du repli et du racisme. Jamais je n’ai défendu le « différentialisme culturel ». Universaliste même si j’en conteste le caractère souvent abstrait ou ses déclinaisons impérialistes, je suis opposée à toute forme d’essentialisme, comme l’attestent notamment mes positions féministes depuis vingt ans. Je défends la mixité culturelle, comme une richesse.

Politique à la petite semaine

Avec Manuel Valls ou Jean-Marie Le Guen, j’ai de nombreux désaccords. Leur politique au gouvernement, qui déploie libéralisme économique et contrôle social, est aux antipodes de celle que j’appelle de mes vœux. Pour masquer leurs partis pris qui ne sont ni de gauche, ni de gauche, et éviter de discuter de leur bilan comme du vide de leur projet, ils tentent de polariser le débat politique sur la question de l’identité au détriment de l’égalité. C’est un piège dans lequel une gauche digne de ce nom a le devoir de ne pas tomber.

Nous avons besoin de muscler notre vision du monde et de reconstituer un idéal international. Ce n’est pas avec de la politique à la petite semaine avec des « Eh oh » que nous bâtirons à nouveau l’espérance. L’intégrisme religieux se nourrit de la panne politique, de la chute des grandes idéologies. L’humain a besoin de transcendance.

Le moins que l’on puisse dire, c’est que l’horizon gouvernemental n’est pas transcendant… Tout au long de son dernier livre (La gauche qui vient, Fondation Jean-Jaurès 92 pages, gratuit), Jean-Marie Le Guen annonce qu’il faut rassembler la gauche pour mieux gouverner demain avec la droite : « J’en appelle donc à un double dépassement simultané : celui du clivage droite-gauche dans le camp républicain, et celui des deux gauches dans une gauche rassemblée ». La dialectique est osée, le projet sans avenir. Ce n’est pas une raison pour disqualifier par des mots-valises insultants celles et ceux qui n’ont pas renoncé à rêver d’un monde meilleur et à rechercher les moyens de le construire.

Clémentine Autain est conseillère régionale Ensemble-Front de Gauche