Faut-il rétablir le jour de carence dans la fonction publique territoriale ? Ce débat, très sensible politiquement, est relancé par un rapport commandé par l’Association nationale des directeurs des ressources humaines (ANDRH) des grandes collectivités et rendu public, jeudi 28 avril. Ce document d’une cinquantaine de pages est consacré à « l’absentéisme » des agents qui travaillent dans les municipalités, les intercommunalités, les départements et les régions. Le but de cette étude est de recenser certaines des mesures prises par des employeurs publics pour combattre un phénomène complexe – « multifactoriel », selon la formule des auteurs du rapport – sur lequel circulent beaucoup d’idées reçues.

En février 2013, le gouvernement Ayrault avait abrogé le jour de carence, mis en place un an auparavant par la droite dans l’ensemble de la fonction publique. Ce dispositif avait pour effet de priver d’un jour de salaire un agent qui s’arrêtait pour raisons de santé. Il avait été institué dans le but de lutter contre l’absentéisme, de contenir la progression des indemnités journalières (versées en cas d’arrêt maladie) et de réduire les disparités avec le secteur privé qui recense trois jours de carence. Les syndicats de fonctionnaires, qui réclamaient la suppression d’une telle mesure – vexatoire, à leurs yeux –, avaient obtenu gain de cause. Mais de nombreux élus, responsables d’exécutifs locaux, et des dirigeants d’hôpitaux publics s’en étaient émus car ils considéraient que le jour de carence avait permis de faire baisser le nombre d’absences.

Des appréciations loin d’être univoques

Le rapport publié jeudi, qui repose entre autres sur un questionnaire auquel ont répondu 36 collectivités, se penche à nouveau sur cette problématique. Il révèle que « plus de 50 % des participants au questionnaire et un nombre important de DRH rencontrés ont préconisé le rétablissement du jour de carence » car ce dispositif a, d’après eux, un impact « notable sur le nombre de jours d’absences ». « La fréquence des arrêts courts avait eu fortement tendance à baisser », relatent les auteurs de l’étude.

Toutefois, les appréciations sont loin d’être univoques. Ainsi, d’autres collectivités ont constaté qu’une telle mesure engendrait des effets pervers, avec « une augmentation des arrêts plus longs ». Comme si « certains agents “maximisaient” leurs absences en les prolongeant autant que possible afin de “compenser” au maximum la perte » d’un jour de traitement. Plusieurs DRH ont, de leur côté, insisté sur « le manque de recul » nécessaire pour juger ce dispositif.

Constatant qu’il n’y a pas de diagnostic consensuel, les auteurs du rapport pensent qu’il serait judicieux de faire « un état des lieux » et « un bilan objectivé qui pourraient être réalisés par le Conseil supérieur de la fonction publique [territoriale] ». Prudents dans leurs recommandations, ils mettent en exergue les difficultés soulevées par cette mesure : elle revient, dans certains cas, à « sanctionner tout à la fois les éventuels arrêts abusifs et ceux justifiés ». Il faut aussi veiller, écrivent-ils, à « ne pas pénaliser les agents victimes de pathologies lourdes ».

Systématiser les « contre-visites médicales »

D’autres pistes de solutions pour résorber l’absentéisme sont passées en revue. L’une d’elles consisterait à systématiser les « contre-visites médicales » afin d’identifier « d’éventuels arrêts injustifiés » reposant sur des certificats médicaux « de complaisance ». Ces contrôles produisent « des résultats directs mitigés », souligne le rapport, car bien souvent, ils se soldent « par une confirmation de l’arrêt prononcé par le médecin de ville ». Pour autant, il n’est pas inutile d’y recourir car ils permettent aux collectivités d’envoyer « un message fort » aux agents.

La « modulation du régime indemnitaire » (c’est-à-dire des primes) peut aussi constituer une option. Elle impliquerait de faire varier le montant de la gratification accordée aux fonctionnaires selon le « nombre de jours d’absences qu’ils ont eus durant l’année ». Certaines collectivités ont adopté des mesures de ce type. Par exemple, le conseil départemental de Moselle ou la communauté urbaine de Bordeaux. Mais là encore, il convient d’être vigilant, en particulier au sujet des fonctionnaires contraints de s’arrêter longtemps à cause de « pathologies lourdes » : cela « pourrait être perçu comme injuste financièrement et inefficace au regard des objectifs poursuivis » – à savoir « favoriser la présence ». De même, il n’est pas exclu que ces coups de pouce financiers perdent de leur efficacité, au fil du temps, « jusqu’à ne plus avoir d’impact significatif ».

Pour lutter contre l’absentéisme, concluent les auteurs de l’étude, il n’existe pas de solution toute faite ni transposable à l’ensemble des employeurs publics : les mesures retenues doivent tenir compte des singularités locales et de « la ligne politique impulsée au sein de la collectivité » tout en s’inscrivant « dans une démarche de long terme ».