Le ministre de la ville, de la jeunesse et des sports s’est félicité de « la prise en charge du secteur associatif » par le gouvernement, alors que les associations voient leurs moyens diminuer depuis plusieurs années. | Capture d'écran/France inter

C’est un vaste programme que le projet de loi égalité et citoyenneté, présenté mercredi 13 avril par le gouvernement : il va de la réserve citoyenne à la prévention de la radicalisation, en passant par la lutte contre le décrochage scolaire. Selon le ministère de la ville, de la jeunesse et des sports, il s’agit de lutter contre les ségrégations géographiques sur le territoire français et de favoriser l’engagement des jeunes.

Le ministre de la ville, de la jeunesse et des sports, chargé de cette loi, était interrogé sur France Inter mardi, à la veille de sa présentation. Patrick Kanner a fait plusieurs déclarations sur les aides aux associations, sur le sort des Maisons des jeunes et de la culture (MJC)… Loin d’être toutes exactes. Vérifications.

1. « J’ai rétabli 100 millions d’euros de crédits associatifs »

« La première décision que j’ai prise, ça a été de rétablir les crédits associatifs qui avaient été supprimés entre 2009 et 2012. 100 millions de crédits avaient disparu, entraînant une fragilisation des 7 500 associations qui travaillent aujourd’hui dans le secteur de la politique de la ville. »

Flou

De quoi M. Kanner parle-t-il exactement ? Contacté par Le Monde, le cabinet du ministre évoque l’utilisation de 50 millions d’euros en 2015 et 70 millions d’euros en 2016, puisés dans les budgets de plusieurs de ses programmes, pour financer la politique d’intervention territoriale dans les quartiers prioritaires, la politique du sport et le soutien aux associations de la jeunesse. Ces crédits seront alloués aux engagements suivants : « Formation d’éducateurs sportifs, formation à la laïcité, ouverture de places au sein de l’Epide (établissement pour l’insertion dans l’emploi), soutien aux associations locales et nationales notamment sur le champ de la réussite scolaire et l’éducation populaire », précise-t-on au ministère.

Peut-on pour autant dire qu’ils remplacent précisément des crédits supprimés par les gouvernements antérieurs ? Difficilement : la complexité des allocations de crédits budgétaires d’une année sur l’autre (utilisation de crédits à l’intérieur de lignes de budget, changement d’intitulé des programmes, etc.) nous empêche, pour l’heure, de le confirmer. Toutefois, si l’on s’en tient uniquement aux crédits alloués depuis 2008 à la mission Jeunesse et vie associative dans les différentes lois de finances, on constate une relative stabilité des fonds destinés au développement de la vie associative, tandis que les « actions particulières en direction de la jeunesse » subissent une augmentation continue depuis 2010. Sous la présidence de Nicolas Sarkozy, donc.

La vie associative déjà soutenue sous Sarkozy
Crédits alloués à la mission "Jeunesse et vie associative" dans les lois de finance de 2008 à 2016

Le pic observé en 2016 correspond, lui, au plan du gouvernement pour le développement du service civique, prévu dans la loi égalité et citoyenneté, avec pour objectif de voir 350 000 jeunes engagés dans une mission en 2018.

2. Les MJC sont fragilisées, en particulier dans les villes FN

Ce qu’il a dit :

« Les MJC et centres sociaux sont encore bien présents, mais certains sont fragilisés. Je ne vous cache pas que j’ai un regard particulier dans les villes qui sont pilotées par le FN. »

Oui, mais pas seulement

Si certaines des villes dirigées par le Front national depuis mars 2014 ont effectivement connu une mise en danger de leurs structures associatives (chute, voire suppression des subventions des centres sociaux de Fréjus et de Beaucaire, menaces de fermeture d’un centre de vie sociale à Mantes-la-Ville, etc.), elles ne sont pas les seules.

Pour l’unique cas des MJC d’Ile-de-France, leur fédération régionale a, par exemple, recensé un certain nombre de cas de Maisons mises en danger par des suppressions de subvention depuis deux ans. Il ne s’agit toutefois pas de villes Front national, mais de mairies ravies par la droite lors des dernières élections municipales (Viry-Châtillon, Chilly-Mazarin, Savigny-sur-Orge, etc.). Un schéma que l’on retrouve dans de nombreuses communes ailleurs en France, comme pour la MJC d’Aubagne, celle de Chambéry, celles de Toulouse, ou encore le centre social de Montauban.

3. « Il y a une prise en charge du secteur associatif à travers notre intervention »

Ce qu’il a dit :

« La fermeture de ces structures pour des raisons financières ne représente pas, pour moi, une menace totale, parce que, vraiment, il y a une prise en charge du secteur associatif à travers notre intervention, et j’en suis très heureux. »

Pourquoi c’est contestable

Difficile de savoir à quoi fait référence le ministre lorsqu’il parle de « prise en charge du secteur associatif ». En outre, les acteurs de ce dernier se plaignent depuis de nombreuses années de voir la réduction progressive de leurs subventions. Toutes s’estiment victimes de la chute des dotations de l’Etat, qui fragilise les finances des collectivités et les rend plus vulnérables aux changements de majorités politiques. Le ministre le reconnaît d’ailleurs plus tard dans l’interview :

« Les collectivités sont amenées à faire les mêmes efforts que l’Etat pour réduire la dette publique et les déficits publics (…). Nous demandons aux collectivités elles-mêmes de faire des choix. J’espère qu’elles ne renonceront pas à ce qui est le cœur du métier d’une ville, à savoir l’enseignement, l’éducation, le secteur associatif, ce sont des choix politiques… Pour moi, une MJC, un centre social, c’est un élément majeur de la vie en société. Si un maire fait ce choix-là pour d’autres priorités, je le regretterai. (…) Je remarque que les basculements politiques de 2014 et en 2015 n’ont pas été très positifs pour le secteur associatif. »

A l’échelon national, le budget consacré au sport, à la jeunesse et à la vie associative a augmenté de près de 65 % en 2016. Mais c’est avant tout à la faveur du développement du service civique, évoqué ci-dessus. Le développement de la vie associative a certes vu les crédits qui lui sont alloués augmenter de près de 9 millions d’euros en 2016 par rapport au budget 2015, à comparer aux 153 millions supplémentaires alloués pour les services civiques.

  • Les Fabriques d’initiatives citoyennes, de « nouvelles structures » ?

Ce qu’il a dit :

« Là où il n’y a pas de réponse associative, mon objectif est, par des Fabriques d’initiatives citoyennes, de permettre la création de nouvelles structures là où il en manque. »

Pourquoi c’est faux

Lancées lors du comité interministériel égalité et citoyenneté du 6 mars 2015, consécutif aux attentats de janvier, les vingt-trois premières Fabriques d’initiatives citoyennes (FIC), labellisées à l’automne, ne sont en rien des « nouvelles structures » telles que les présente le ministre.

Il s’agit de centres sociaux, de MJC, ou d’autres structures issues de fédérations d’éducation populaire, qui, labellisées « FIC », reçoivent une enveloppe pour accompagner des initiatives portées par des citoyens. Les premières labellisées étaient d’ailleurs pour la plupart déjà emblématiques d’une action en faveur de la citoyenneté. Une vingtaine d’autres devraient recevoir ce label d’ici au début de l’été.

On notera toutefois que, parmi les structures choisies en fin d’année dernière, deux ont été directement visées par des baisses de subvention après des changements de majorité en 2014 (Viry-Châtillon et Colombes) et les régions les plus dotées en FIC sont Nord-Pas-de-Calais-Picardie et Provence-Alpes-Côte-d’Azur, soit les deux principales régions où le Front national faisait figure de favori en vue des élections régionales de décembre 2015. Manière, peut-être, de limiter les risques de casse dans un secteur déjà en partie sinistré.