La députée du Calvados Isabelle Attard (apparentée écologiste) a parcouru sa circonscription à pied, du 9 au 24 avril. | Enora Ollivier / Le Monde

La députée Isabelle Attard est passablement agacée. Mercredi 4 mai au matin, Manuel Valls vient d’annoncer une nouvelle prolongation de l’état d’urgence. Elle avait déjà voté contre la première prolongation, et cette nouvelle annonce ne passe pas. Elle peste contre le manque de moyens chroniques de la police, les longueurs que cette situation exceptionnelle entraîne sur les dossiers judiciaires en cours… Bref, une scène digne de la salle des Quatre-Colonnes de l’Assemblée nationale, où les élus se plaisent à égrener devant les journalistes leurs coups de gueule et coups de com’.

Mais ce jour-là, tout se passe sur un sentier, à travers champs, entre les communes de Rosel et du Fresne-Camilly, dans ce coin rural du Calvados où Mme Attard a été élue en 2012. L’élue (ex-EELV) a eu l’idée de parcourir sa circonscription à pied. « Les réunions publiques, ça gonfle tout le monde », estime-t-elle. Cette déambulation champêtre appelée « la démocratie en marche » a pour objectif de nourrir une réflexion sur les aspirations et les inquiétudes des citoyens, à un an de la présidentielle et des législatives.

Aux origines de cette initiative, des constats qui sonnent déjà comme des lieux communs : la « déconnexion généralisée » entre les élus et ceux qui les élisent, la « défiance » envers la politique et ses représentants, l’exercice peu transparent du pouvoir… Autant de signaux nourrissant une abstention toujours plus forte. La députée elle-même confie d’ailleurs comprendre ceux qui délaissent les urnes. « Si je n’étais pas élue, souffle-t-elle, je ne suis pas sûre que j’irais voter. »

« Est-ce que vous avez un garde du corps ? »

Alors, « j’essaie de me rapprocher des gens en venant à leur rencontre », explique-t-elle dans un legging en élasthanne, coupe-vent bleu fluo sur le dos et écharpe bleu-blanc-rouge en bandoulière. Chez la famille Deslandes, qui a ouvert les portes de sa maison à l’élue pour le déjeuner, la discussion va bon train. Les hôtes s’offusquent des séances de questions au gouvernement « où tout le monde s’invective », questionnent la députée sur la crise de l’agriculture – « on ne comprend pas que les agriculteurs soient malheureux avec toutes les subventions qu’ils touchent de l’Europe ! » –, la vente des terres agricoles dans le secteur… Mme Attard est aussi appelée à défendre son propre cheminement politique, son passage par deux partis, Europe-Ecologie puis Nouvelle Donne, pour finalement faire cavalier seul. « Je ne me sens bien nulle part », répond-elle, jugeant le fonctionnement des partis « franchement sclérosant, étouffant, sans éthique ».

Le lendemain, la déambulation se fait en compagnie des élèves du lycée horticole de Saint-Gabriel-Brécy. « Est-ce que vous vous perdez à l’Assemblée nationale ? Est-ce que vous avez un garde du corps ? », interroge Lorenzo, un grand ado qui a soigneusement consigné ses questions sur des feuilles à carreaux. « Non, je n’en ai pas encore besoin, répond l’intéressée non sans plaisir, je sais me défendre toute seule. »

Les « interventions de merde » de certains députés

A des marcheurs venus par curiosité avaler quelques kilomètres avec elle et qui la questionnent, eux aussi, sur le fonctionnement de l’Assemblée, la députée persifle sur certains de ses collègues de l’Hémicycle au « faible QI », qui « ânonnent des discours » sans les comprendre, raconte « les interventions de merde », en commission, d’un député qui bénéficiera pourtant d’une promotion, s’emporte contre les votes importants qui ont lieu la nuit. Le Palais-Bourbon, tranche-t-elle, est le théâtre d’une « pseudo-démocratie ».

Dans ces conditions, pourquoi rester élue ? La députée, candidate à un deuxième mandat en 2017, balaie toute contradiction et se voit comme une « infiltrée » au Parlement, qu’elle promet de « hacker » de l’intérieur.

L’élue n’est pas la première à avoir eu l’idée d’aller au plus près des Français pour recueillir la parole de ses concitoyens. En 2013, Jean Lassalle avait, lui, parcouru 5 000 km pendant huit mois, à travers la France. Avec le recul, le député centriste des Pyrénées-Atlantiques explique retirer de son expérience la certitude que les Français « sont plus instruits de la chose politique que nous le croyons ». Il fait aussi le constat « d’une colère totale, qui se manifeste soit par la résignation, soit par la rébellion ». Mais « ce que je n’avais pas perçu, complète-t-il, c’est que partout il y a le même espoir », celui d’une démocratie plus juste.

« Démocratie compassionnelle »

M. Lassalle félicite sa collègue d’avoir entrepris trois ans plus tard une expérience similaire, bien que plus limitée dans le temps et dans l’espace. Ce type d’initiative est pour lui « un signe avant-coureur d’une autre manière de s’acquitter de la tâche confiée » aux élus par les citoyens, une façon de « revenir à l’expression de la représentation dans ce qu’elle a de plus noble ». Sans pour autant faire de ces marches un passage désormais obligé pour élus désireux de connaître leurs électeurs :

« C’est davantage un cap à passer pour trouver une nouvelle manière de retrouver le citoyen et, ce faisant, redonner une cohésion au peuple qui est le grand absent de ces trente dernières années. »

Pour Christian Le Bart, professeur de sciences politiques à Sciences Po Rennes, cela traduit surtout « une crise de la représentation politique ». En partant du constat que « le lien électoral est devenu très ténu, qu’il y a une forte abstention, etc. », les politiques sont ainsi désormais « obligés de fonder leur légitimité à parler pour les autres par une posture de proximité » et doivent mettre en avant le fait qu’ils « connaissent personnellement, presque un par un », leurs électeurs.

« La modernité politique, c’est la mise en scène de l’authenticité davantage que des rôles, poursuit-il. C’en est fini du politique exemplaire et neutre dont on ne sait rien. » Evoquant une « démocratie compassionnelle », M. Le Bart est circonspect sur l’efficacité de telles initiatives : « Se déplace-t-on le dimanche pour voter pour quelqu’un qui fait de la marche à pied ? »