Irradiation UV d'un échantillon de glace cométaire artificielle à l'Institut d'astrophysique d'Orsay. On reproduit ainsi l'exposition des glaces d'une comète au rayonnement solaire. | LOOK AT SCIENCES

Comment la vie est-elle apparue sur Terre ? La question taraude les chimistes : quels ingrédients mettre dans le chaudron originel pour parvenir à faire émerger du vivant ? Ils n’imaginent évidemment pas que jaillissent de leurs éprouvettes de petites bestioles, mais au moins de recueillir, au fond de la gamelle, des molécules-clés : acides aminés, lipides, sucres, voire les polymères portant, dans les cellules, l’information génétique – ADN en tête ou ARN, sa cousine.

Un pas important dans cette quête vient d’être franchi : pour la première fois, des sucres complexes ont été fabriqués dans des conditions analogues à celles régnant dans le vide interstellaire, avant même l’apparition des planètes, il y a quatre milliards et demi d’années environ. La recette, exposée dans Science du 8 avril par une équipe des universités de Nice et de Paris-Sud, du CNRS et du synchrotron Soleil, à Gif-sur-Yvette, est la suivante : prendre des grains de sable, d’un dixième de micromètre, analogues à ceux des comètes ; les entourer de glace d’eau, de méthanol et d’ammoniac, puis éclairer aux ultraviolets et à très basse température, – 195 degrés Celsius. Enfin, chauffer légèrement pour volatiliser les produits obtenus afin de mieux les identifier.

Différents pics correspondants à la présence de sucres, dont le ribose, suite à l'irradiation aux ultraviolets de grains de poussières entourés de glace | C. MEINERT (CNRS)

Là, surprise, dans la récolte se trouvent des sucres, assemblage de plusieurs atomes de carbone et d’oxygène. « C’était inattendu, car nous ne les cherchions pas ! », explique Uwe Meierhenrich, chimiste et professeur à l’université de Nice. Son équipe voulait augmenter son tableau de chasse en acides aminés, qu’elle avait synthétisés pour la première fois avec ce protocole en 2002. Mais aussi obtenir une forme particulière d’une molécule apparentée aux sucres, décrite en 2015.

« Quelque chose de nouveau »

C’est la technique d’analyse utilisée, dite « chromatographie multidimensionnelle », qui a permis cette moisson inédite. « Nous nous en servons pour étudier la composition des huiles essentielles pour les parfumeurs, précise Uwe Meierhenrich. Sans elle, nous ne repérons, par exemple, que 300 composés, contre 4 000 avec ! »

Idem pour les sucres, restés invisibles jusqu’alors, mais qui représentent 3,5 % de la masse des poussières recueillies. Parmi eux, on trouve celui de 2015 mais aussi des espèces à quatre et surtout cinq atomes de carbone, jamais fabriquées jusqu’à présent. L’un d’eux, le ribose, est particulièrement important. Il est vendu comme complément alimentaire énergétique, mais c’est surtout le maillon essentiel du squelette de l’ARN (le « R » signifiant « ribonucléique »), véritable copie de l’ADN, servant notamment à la transcription des gènes en protéines. « La qualité des analyses est excellente. Ce travail apporte quelque chose de nouveau », salue André Brack, directeur de recherche honoraire du CNRS, spécialiste de l’origine chimique de la vie sur Terre.

Cependant, des questions restent en suspens. D’abord, il faut s’assurer que ce qui s’est produit en laboratoire existe bel et bien dans la nature. Or, jusqu’à présent, aucun sucre complexe n’a été trouvé sur une météorite ou une comète. Seuls des acides aminés y ont été détectés.

Pont entre le non-vivant et le vivant

Ensuite, l’analyse, aussi précise soit-elle, n’arrive pas à distinguer si les riboses obtenus sont bien les mêmes que ceux servant à construire de l’ARN. En outre, la recette fournit presque trop de sucres. Les chimistes souhaiteraient en effet moins de diversité, grâce à des réactions plus sélectives, pour mieux coller à la nature, qui utilise moins de molécules. Par exemple, les chercheurs sont capables de synthétiser des dizaines d’acides aminés différents quand le vivant n’en utilise que vingt.

De plus, personne n’a encore réussi à assembler ce sucre avec des phosphates et des composés azotés pour créer un ARN complet. « Des chercheurs imaginent une vie sans ARN faite d’autres molécules, dont nous avons aussi trouvé des précurseurs », indique néanmoins Uwe Meierhenrich. Ces briques élémentaires pourraient donc servir à des échafaudages moins complexes que l’ARN.

Enfin, le mécanisme ayant permis l’assemblage de plusieurs atomes de carbone reste mystérieux. Uwe Meierhenrich aimerait bien que ce soit une réaction connue depuis les années 1980, la réaction dite « de formose », car elle possède une propriété autocatalytique : ses produits augmentent les synthèses futures et ainsi de suite… Une sorte de système qui se reproduirait tout seul. « Cette réaction crée des molécules qui favorisent leur propre formation. C’est un exemple de pont entre le non-vivant et le vivant, en somme », précise le chercheur.

« Cela ne suffit pas »

« La richesse chimique ainsi produite est impressionnante. Cela renforce l’idée d’une certaine universalité de ces processus dans les milieux interstellaires. Mais, pour résoudre la question de l’apparition de la vie sur Terre, cela ne suffit pas », ajoute Grégoire Danger, enseignant-chercheur à l’université Aix-Marseille.

Personne ne songe, en effet, que la vie soit arrivée toute cuite sur Terre, préparée dans les premiers âges glacés du Système solaire. Le scénario général est qu’une avalanche de matière organique, très ancienne, est tombée en pluie de météorites sur notre planète. « Si on extrapole, c’est près de 30 mètres d’épaisseur qui auraient été déposés au total », rappelle André Brack. Là, il y a plus de trois milliards d’années, la vie a émergé grâce à des conditions particulières : de l’eau, des minéraux, du rayonnement solaire, de la chaleur… Reste à trouver les voies chimiques qui transforment cette matière riche et inerte en molécules complexes, capables de se reproduire.