Luc Julia, vice-président de Samsung, chargé de l’innovation et de la stratégie. | DR

Luc Julia a été nommé en 2012 vice-président chargé de l’innovation et de la stratégie chez Samsung, le sud-coréen installé à Menlo Park, au cœur de la Silicon Valley, en Californie. Ce passionné de recherche dirige une équipe d’une cinquantaine d’ingénieurs qui inventent les technologies de demain, particulièrement dans l’Internet des objets, des données et de l’intelligence artificielle.

En 2015, il a également contribué à ouvrir un centre de recherche de Samsung à Paris et a y embaucher une dizaine d’ingénieurs pour bénéficier de l’écosystème du Silicon Sentier.

Avant de travailler pour Samsung, Luc Julia a passé un an chez Apple, où il a contribué, en 2011, à développer le système de reconnaissance vocale Siri, tout en dirigeant une équipe passée en quelques mois de 40 à 85 ingénieurs. Toulousain d’origine, Luc Julia est installé dans la Silicon Valley depuis vingt-deux ans. A 50 ans tout juste, il résume ainsi sa vie professionnelle : « Dix ans à faire de la recherche, dix ans à créer et développer cinq start-up qui existent toutes encore, sauf une et dix ans à travailler dans des grosses boîtes. »

Quelles études avez-vous suivies ?

Une fois mon bac scientifique en poche, je me suis dirigé vers un DEUG de mathématiques à l’université ­Pierre-et-Marie-Curie (UPMC) de Paris. J’y ai obtenu une maîtrise en mathématiques et informatique, puis un DEA d’informatique. J’ai ensuite décroché un doctorat d’informatique à ce qui était alors l’Ecole nationale supérieure des télécommunications, devenue Télécom ParisTech.

Pourquoi êtes-vous parti aux Etats-Unis ?

J’appartenais à une unité de recherche du CNRS rattachée à Télécom ParisTech. Le travail était beaucoup trop administratif pour moi. J’ai sauté sur l’occasion qui m’a été offerte de partir au soleil de Californie, pour travailler à l’Institut de recherche de l’université Stanford. J’y ai créé le Computer Human Interaction Center, le CHIC !

« Dans les années qui viennent, nous allons moins chercher des ingénieurs ayant des connais­sances pratiques que des mathématiciens »

Quels sont les profils actuellement ­recrutés par Samsung ?

Principalement des ingénieurs, quel que soit leur pays d’origine, capables d’apporter leur contribution aux projets de recherche que nous menons. Actuellement, nos efforts portent en particulier sur la santé digitale, le traitement des données, l’interface homme-machine, l’Internet des objets ou l’éclairage intelligent. Nous n’avons pas de profils prédéfinis, nous recherchons des personnalités créatives, ­capables d’avoir une vraie vision. A mon niveau, je n’embauche que trois ou quatre personnes par an, principalement à l’issue de leur stage.

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Dans un secteur très innovant comme le vôtre, quels sont les profils qui ­seront privilégiés demain ?

Le grand domaine qui s’ouvre ­devant nous, c’est l’intelligence artificielle. Et la vérité, c’est que dans cette discipline, ce sont les maths qui dominent tout. Dans les années qui viennent, nous allons moins chercher des ingénieurs ayant des connais­sances pratiques que des mathématiciens. De même, le foisonnement extraordinaire qui a lieu autour des objets connectés a besoin de personnes compétentes en maths. Le niveau des Français en mathématiques est excellent.

Les Américains commencent à être bons quand ils arrivent au niveau du PhD [doctorat]. Tout le monde croit qu’ils sont très bons parce qu’ils sont meilleurs que les Français en marketing ! Les bases théoriques françaises en mathématiques vont être excessivement recherchées, alors que les savoirs pratiques comme ceux des ingénieurs américains seront moins valorisés. Les Sud-Coréens créent des entreprises intéressantes parce qu’ils ont poussé l’enseignement des mathématiques.

Comment recrutez-vous ?

J’ai embauché une centaine d’ingénieurs français dans ma carrière, et chez Samsung la moitié environ sont français. Ils sortent des grandes écoles de premier rang comme Epitech, Supinfo, Epita, Télécom ParisTech, plus rarement de Normale-Sup ou des Ponts. Chez moi, les entretiens durent six mois : je les prends en stage pour mesurer leur niveau réel. A la fin, j’en garde la moitié.

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Que recommanderiez-vous à un jeune de 17 ans qui veut être sûr d’avoir un travail dans quelques années, à la fin de ses études ?

Je ne vois pas comment on peut se détacher des maths. Même la médecine va changer et devenir un métier d’intelligence artificielle. Je conseille à mes enfants de devenir ingénieurs : c’est super-rigolo parce qu’il y a plein de choses à faire, dans tous les secteurs.

Faut-il privilégier les grandes ­écoles ou l’université ?

Depuis quelque temps, j’ai pris en stage des étudiants de l’UPMC et j’ai pu constater que les meilleurs étudiants sont au moins aussi bons que ceux des grandes écoles d’ingénieurs. Et puis ils n’ont pas le défaut de bon nombre de diplômés des grandes écoles : la grosse tête. C’est d’ailleurs l’un des problèmes essentiels de ces jeunes ingénieurs qui débarquent ici : ils ont un peu l’impression qu’ils ­savent tout. Quand on arrive dans la ­Silicon Valley, ça peut poser quelques problèmes…

Est-ce une bonne idée ­que d’envisager de poursuivre ses études aux Etats-Unis ou au Royaume-Uni ?

Non, je n’en vois pas l’intérêt. Il suffit de faire un stage de six mois pour apprendre à parler correctement ­l’anglais. Curieusement, depuis des années qu’on le déplore, cela n’a pas changé : les jeunes Français parlent mal l’anglais. C’est pourquoi il faut faire des stages à l’étranger. Mieux vaut rester en France. D’ailleurs, mes deux enfants, qui sont encore col­légiens, sont revenus y faire leurs ­études, parce que c’est l’excellence.