Le président de l'IAAF, Sebastian Coe, avec le Norvégien Rune Andersen, vendredi 11 mars, à Monaco. | Bruno Bebert / AP

Et si la seule athlète russe à participer aux Jeux olympiques de Rio, dans cinq mois, s’appelait Ioulia Stepanova, lanceuse d’alerte ayant permis la mise au jour du dopage d’Etat toujours à l’œuvre dans son pays ?

Vendredi 11 mars, le conseil de la Fédération internationale d’athlétisme (IAAF) a décidé de ne rien décider sur le cas de la Fédération russe, remettant au mois de mai le choix de la réintégrer ou non avant les Jeux. En attendant un congrès extraordinaire de l’IAAF en mai, dont la date précise reste à fixer, la suspension de la Russie est donc maintenue.

La Fédération internationale étudie d’autre part les conditions dans lesquelles Ioulia Stepanova pourrait être admise à participer aux Jeux. Cette spécialiste du 800 mètres, âgée de 29 ans, vit désormais recluse dans un endroit tenu secret, à l’abri de la Russie dont elle est devenue une ennemie publique. Avec son mari, Vitali Stepanov, ancien employé de l’agence antidopage russe (Rusada), elle a dénoncé le dopage institutionnalisé dans son pays.

Sa présence à Rio, sans le reste de la délégation russe, serait, à n’en pas douter, vécue comme un insupportable affront pour le président Vladimir Poutine, très impliqué dans les affaires sportives du pays.

D’autant plus que l’IAAF a confirmé qu’aucun autre pays n’était en situation d’être exclu des JO. Apparu souriant lors de la conférence de presse, vendredi à Monaco, Sebastian Coe, le président de la Fédération, a cependant jugé que l’Ethiopie et le Maroc étaient dans « une situation critique » sur le plan du dopage, et que le Kenya, l’Ukraine et la Biélorussie faisaient l’objet d’une surveillance particulière.

« Une montagne à gravir »

Lorsque a été présenté, le 9 novembre 2015, le premier rapport de la commission d’enquête indépendante de l’Agence mondiale antidopage (AMA) sur les allégations de dopage en Russie, la perspective de voir des épreuves olympiques sans les concurrents de cette place forte de l’athlétisme mondial paraissait peu probable. Même Richard W. Pound, l’ancien président de l’AMA à la tête de cette commission et généralement le moins diplomate des acteurs de l’antidopage, considérait cette option comme peu vraisemblable.

« Avant la présentation du rapport, a-t-il rappelé mercredi lors d’une conférence sur le dopage à Londres, nous avions dit au ministre russe des sports : “Si vous voulez revenir, vous avez une montagne à gravir. Mais si vous mettez toutes vos forces, toute votre attention dans la résolution du problème, au lieu de vous plaindre du rapport, vous avez une chance d’y arriver avant Rio.” »

En réalité, les dignitaires du sport russe n’ont jamais pris au sérieux la menace d’être exclus du sport roi des JO. Si Vladimir Poutine a tenu une réunion de crise dans les jours suivant la première présentation du rapport, qui faisait état d’un dopage organisé n’ayant pu échapper aux autorités politiques, aucun changement radical semble n’avoir eu lieu. « Il y a des éléments qui montrent qu’ils brassent du vent plus qu’autre chose », fait observer Pound, dans la foulée de la diffusion d’un nouveau documentaire de la télévision publique allemande sur le dopage en Russie.

Cette enquête du journaliste Hans-Joachim Seppelt, à l’origine du scandale, montre que des entraîneurs suspendus pratiquent toujours au cœur de l’immense territoire russe. Il rappelle également que la directrice générale par intérim de l’agence nationale de lutte contre le dopage (Rusada), à qui l’AMA a retiré son accréditation, était au courant du système consistant à prévenir les athlètes des contrôles.

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« Il reste un travail significatif à faire avant que les Russes ne remplissent les conditions de réintégration, a précisé vendredi Rune Andersen, expert antidopage norvégien qui dirige la « task force » mise en place par l’IAAF pour évaluer l’évolution de la situation en Russie. Changer la culture du dopage pourrait prendre des années. Pour cela, ils doivent vraiment étudier l’enquête de l’AMA. C’est un gros travail et ils n’en sont qu’au début. »

Rune Andersen demande notamment de pouvoir rencontrer tous les athlètes et entraîneurs cités dans le rapport de la commission indépendante ainsi que les athlètes précédemment contrôlés positifs. Il a également fait remarquer que la remise en route du programme de contrôles inopinés avait pris du retard et que les révélations du documentaire d’ARD étaient « très préoccupantes ». « La Russie considère qu’il n’y a aucun doute sur le fait qu’elle sera là à Rio mais à mon avis, ils n’y seront pas », estime Pound.

« Scepticisme global »

La décision est entre les mains de la « task force », qui remettra de nouvelles conclusions en mai, mais surtout de l’IAAF, dont le nouveau président Sebastian Coe dit vouloir rompre avec l’ancien système. Lui-même était vice-président (2007-2015) du conseil d’administration de la Fédération internationale quand s’était mis en place le système de corruption visé par l’enquête du parquet national financier, qui implique son ancien président Lamine Diack.

Même s’il se dit « respectueux de la procédure et solidaire du groupe », le Français Bernard Amsalem, l’un des membres du Conseil de l’IAAF, aurait « préféré qu’on prenne une décision forte pour retrouver un peu de crédibilité dans cette campagne internationale de dénigrement de l’athlétisme autour du dopage et de la corruption ». Mais, de toute façon, le président de la Fédération française d’athlétisme estime qu’il y a peu de chances que la Russie soit réintégrée en mai : « Je ne pense pas qu’en deux mois ils puissent changer une culture qui remonte à des dizaines d’années. »

« Dans les explications que le rapporteur de la commission [d’enquête sur la Russie] nous a données, explique M. Amsalem, la Fédération russe a fait beaucoup d’efforts. Elle a changé ses élus, elle commence à mettre des procédures. Le problème, ce n’est pas tant la Fédération, mais tout ce qui tourne autour d’elle : l’agence antidopage russe, le laboratoire de Moscou, les pouvoirs publics… Je vais vous donner un exemple. La police russe a été mandatée pour faire une enquête sur le dopage. Elle a répondu, il y a quelques jours, qu’il n’y avait rien à signaler. Il y a un problème, ce n’est pas normal. »

L’avis de l’AMA devrait aussi peser dans la balance. Deux enquêteurs ont été envoyés en Russie pour évaluer les avancées du système, désormais sous la responsabilité de l’agence britannique de lutte contre le dopage (UKAD), et resteront deux ans. « C’est crucial pour faire face à ce que nous pourrions décrire comme une forme de scepticisme global », dit diplomatiquement Craig Reedie, président de l’AMA.

« Etre certain que les athlètes sont propres »

La mission de l’UKAD, menée en collaboration avec Rusada, n’a débuté que le 20 février, ce qui implique que, depuis trois mois, un nombre relativement faible de contrôles – ceux de l’AMA et des fédérations internationales – ont été menés en Russie. « Les choses ne progressent pas aussi vite qu’elles le devraient », confirme au Monde Nicole Sapstead, directrice exécutive de l’UKAD.

Les instances auront-elles le courage de refuser la réintégration de la Russie au mois de mai ? « Je pense que oui. L’IAAF est obligée, compte tenu du passé récent de son sport en Russie, de montrer qu’elle protège les athlètes propres, observe Dick Pound. Je ne vois pas l’IAAF et l’AMA risquer leur réputation une nouvelle fois. »

« Mon travail n’est pas de faire en sorte qu’il y ait autant d’athlètes que possible aux Jeux olympiques mais d’être certain qu’ils sont propres », a confirmé Sebastian Coe à l’issue du Conseil de l’IAAF.

Il faut toutefois s’attendre à ce que, d’ici au mois de mai, Vladimir Poutine use de son entregent auprès de Thomas Bach, président du Comité international olympique, bien que ce dernier n’ait pas son mot à dire en théorie. Le président russe a été un soutien majeur dans l’accession de l’Allemand à la présidence du CIO en 2013, et l’un des premiers à le féliciter personnellement.

Thomas Bach lui a rendu visite en avril puis en octobre 2015, moins de trois semaines avant la publication du rapport d’enquête de l’AMA et alors que l’image de l’athlétisme russe était déjà largement écornée. Leurs déclarations publiques sont généralement de grands moments de flagornerie.

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De même, il avait soutenu Moscou à l’approche des Jeux d’hiver de Sotchi 2014, alors que la loi sanctionnant la « propagande homosexuelle » et le rôle de la Russie dans la crise ukrainienne faisait l’objet de vives critiques internationales.

En cas de décision négative pour la Russie, sa fédération d’athlétisme pourrait faire appel devant le Tribunal arbitral du sport. Les trois mois séparant la décision attendue des Jeux olympiques lui en laissent tout juste le temps. « Ils peuvent jouer sur le fait qu’il s’agit d’une sanction collective déguisée, puisque des athlètes à qui personne n’a rien à reprocher pourraient être privés de Jeux olympiques », glisse un spécialiste du TAS.