La page d'accueil du site de l'application russe FindFace. | capture d'écran FindFace

FindFace est sortie en février seulement, mais, depuis, cette application russe ne cesse de faire parler d’elle. Le principe : grâce à son système de reconnaissance faciale, une photo suffit pour qu’elle retrouve le profil de la personne sur Vkontakte, l’équivalent de Facebook en Russie. Le créateur de l’application, Andrei Mima, expliquait en mars que l’idée lui était venue après avoir photographié deux femmes à Saint-Petersbourg, mais n’avait jamais pu leur envoyer les images car il avait oublié de noter leur contact.

Certains utilisateurs ont imaginé une utilisation bien moins philanthropique, rapporte le site Global Voices. Sur la plateforme Dvach, l’équivalent russe de 4chan, un forum anonyme et fourre-tout controversé, des internautes ont décidé de se servir de cette application pour mener une chasse aux actrices de films pornographiques et aux prostituées.

Ils ont ainsi utilisé FindFace pour découvrir l’identité de ces femmes, à partir de captures d’écran des films dans lesquels elles ont tourné, ou de leurs photos de profil sur un site de prostitution. Ce qui leur a permis de fouiller dans leur vie et leurs contacts, et certains ont même entrepris d’informer leurs proches de leur activité. Dans certains messages publiés sur le forum, des « méthodes de recherche » donnent des instructions détaillées pour réussir à identifier efficacement ces femmes. Ainsi, des centaines de profils ont été jetés en pâture sur le site. Les images pornographiques sont publiées à côté de photos de mariage de la même personne, ainsi que l’adresse de son profil Vkontakte et celle de son mari ou d’autres membres de sa famille.

Une application efficace

Quelques jours plus tôt, le jeune artiste Egor Tsvetkov avait de son côté dénoncé, à travers un travail photographique, les dangers de cette application. Il avait photographié à leur insu des passagers du métro de Saint-Petersbourg, et avait ainsi pu accéder à leur nom et toutes les informations publiques disponibles sur eux sur Internet, sans jamais entrer en contact avec eux. Il a aussi apposé les photos de ces personnes prises dans le métro aux photos que celles-ci mettent en valeur sur leur profil Vkontakte, pour en souligner la différence.

L’application est donc loin d’être un simple gadget, et donne des résultats pertinents. L’entreprise réputée de sécurité informatique Kaspersky, basée à Moscou, a pu la tester et indique que parmi ses dix « cobayes », neuf ont été identifiés correctement par l’application. FindFace fait néanmoins un certain nombre d’erreurs, et il se peut que les utilisateurs de Dvach aient identifié à tort certaines personnes.

Les internautes français sont, de leur côté, encore protégés, puisque la plupart d’entre eux ne disposent pas de profil sur Vkontakte. Toutefois, ce type d’application pourrait techniquement voir le jour ailleurs qu’en Russie et indexer les photos présentes sur Facebook.

Et pour cause : la technologie que FindFace utilise se perfectionne et se démocratise depuis quelques années. Il y a dix ans, ce type d’application aurait été irréalisable, mais les progrès de l’intelligence artificielle dans le domaine de la reconnaissance d’images, grâce au « deep learning », une méthode d’apprentissage des machines, ont changé la donne.

Révolution technologique

C’est grâce à cette méthode qu’un programme de Google a ainsi été capable, en 2012, de reconnaître des chats sur des images, sans qu’aucun ingénieur ne lui ait « expliqué » à quoi ressemblait cet animal. Depuis cette petite révolution, les progrès en la matière se succèdent : les programmes deviennent de plus en plus à même d’identifier des objets sur des images, sur des vidéos, mais aussi de décrire des scènes complètes. Facebook a annoncé ce mois-ci une fonctionnalité de description automatique des images destinée aux aveugles, et Twitter a annoncé le développement d’un programme capable d’identifier le contenu de vidéos diffusées en direct.

Des technologies qui soulèvent un certain nombre de questions, tout en mettant à portée de main ce qui n’était jusqu’ici que de l’ordre de la science-fiction – il suffit d’imaginer le pouvoir de ces outils reliés à un vaste réseau de caméras de surveillance. Ces inquiétudes ont poussé certaines entreprises à faire marche arrière sur des services liés à la reconnaissance faciale.

Google avait par exemple rejeté, en 2014, l’application NameTag pour Google Glass qui, à la manière de FindFace, permettait d’identifier des personnes. Pratique pour ceux ayant des difficultés à reconnaître les visages. Mais terrifiant pour la protection de la vie privée. C’est cette raison qui avait aussi mené à la suspension dans l’Union européenne d’une fonctionnalité de reconnaissance faciale sur Facebook en 2012. Elle était capable d’identifier automatiquement les personnes présentes sur une photo.