Conséquence de la fonte des glaces, les océans et les mers de la planète ont monté d’environ 14 centimètres entre 1900 et 2000, selon une étude parue en février dans les Comptes Rendus de l’Académie américaine des sciences (ici, un iceberg dans l'Antarctique, le 4 mars 2016). | EITAN ABRAMOVICH / AFP

Un courant biodiversité-sceptique émerge en France et ailleurs. Son discours tente de remettre en cause la validité du consensus scientifique concernant l’érosion de la biodiversité.

Il est pourtant aujourd’hui bien établi que le réchauffement climatique entraînera la réduction des habitats favorables à de nombreuses espèces. Cet impact viendra s’ajouter aux conséquences, elles aussi clairement établies, de l’exploitation chaque jour plus intense des ressources naturelles et de la biodiversité à l’échelle planétaire.

Aujourd’hui, plus de 50 % des surfaces continentales supportent des écosystèmes qui ont été totalement transformés, plus de 50 % des ressources continentales en eau sont exploitées, et 50 % de l’azote atmosphérique fixé annuellement l’est pour produire des engrais. Cela s’est traduit par une régression massive des populations de nombreuses espèces et des taux d’extinction définitive de 20 à 100 fois supérieurs à ce qu’ils étaient avant l’influence des humains. Cette érosion du tissu vivant à l’échelle globale, mais aussi à l’échelle des paysages et des régions, a des conséquences sur le fonctionnement des écosystèmes, sur l’évolution à court et long terme de la biodiversité et, par voie de conséquence, sur le bien-être présent et futur des populations humaines, notamment dans les pays les plus pauvres.

Des arguments infondés

Comme le climato-scepticisme, le biodiversité-scepticisme se traduit de façons multiples. La scène économique et politique est riche de « petites phrases » suggérant qu’il serait contre-productif de protéger la nature ou de prendre des mesures environnementales et qu’il ne faut accepter aucun frein au développement économique, au nom d’une « réalité économique » présentée comme une évidence indiscutable par certains experts.

En décembre 2015, un avis de l’Académie des technologies sur le thème « Biodiversité et aménagement des territoires » va même jusqu’à invoquer les incertitudes et certaines imprécisions pesant sur l’estimation des taux d’extinction des espèces pour suggérer d’« éviter toute interprétation hâtive, toute analogie faussement intuitive et toute imprégnation trop fortement idéologique ». Cet avis utilise la nature contradictoire du débat scientifique pour relativiser l’enjeu là où devrait s’appliquer le principe de précaution face à l’ampleur du défi, et conclut que l’exigence d’une prise en compte de la biodiversité « pourrait devenir une entrave au développement économique et à la création d’emplois ».

Les arguments de l’Académie des technologies sont infondés sur le plan scientifique ou appuyés sur une interprétation partiale de la littérature scientifique. Comme le souligne une position minoritaire au sein même de l’Académie des technologies, cet avis occulte la nécessité de repenser le rapport des sociétés humaines avec leur environnement et de redéfinir le développement économique pour l’adapter aux limites d’un monde dont les ressources naturelles vivantes et matérielles sont en train de se réduire à un rythme très rapide. L’apparition d’un tel courant biodiversité-sceptique en France, à l’aube de l’adoption de la loi pour la reconquête de la biodiversité, de la nature et des paysages, dont la France souhaite qu’elle soit exemplaire, témoigne à sa manière de l’acuité du problème et d’une prise de conscience des inéluctables contraintes que les réponses à apporter impliqueront pour certains acteurs du monde économique.

Affermir les connaissances

Tout comme ce fut le cas pour le climato-scepticisme, ce biodiversité-scepticisme tente de mettre en cause la pertinence et la rigueur des recherches menées jusqu’à présent par les acteurs des sciences de la biodiversité, au premier rang desquels se situe l’écologie scientifique. L’objet de cette dernière est d’étudier l’extrême complexité des interactions qui régissent les systèmes écologiques et leurs conséquences à des échelles temporelles et spatiales très variées. Ces recherches s’appuient sur l’imposant cadre conceptuel de la biologie évolutive et de l’écologie théorique. Elles ont d’ores et déjà permis de proposer des avancées conceptuelles et pratiques d’une portée considérable pour une approche plus durable de l’utilisation des écosystèmes et de la biodiversité (par exemple dans le cadre des pêcheries ou de l’agriculture).

Si l’inventaire de ces conséquences relève du constat scientifique et non d’un discours idéologique, il pose toutefois des questions éthiques majeures sur la nécessité d’un regard renouvelé sur les relations entre les humains et la nature. Cette démarche, conformément à la pratique scientifique, s’est construite à partir d’une évaluation critique et contradictoire de faits, d’observations et d’expériences. Elle a abouti en 2012 à la mise en place d’une plate-forme intergouvernementale, l’IPBES, dont l’objet, à l’instar de ce que fait pour le climat le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC), est d’évaluer l’état de la biodiversité et des services que les humains retirent des écosystèmes. C’est dans un tel contexte de réévaluation constante de nos savoirs qu’il faut inviter les sceptiques, non pas à cultiver et à promouvoir le doute, mais à contribuer à affermir nos connaissances en vue de trouver des solutions durables à des problèmes qui concernent in fine la pérennité des sociétés humaines et de la biodiversité.

Sébastien Barot, directeur de recherche à l’Institut de recherche pour le développement (IRD), vice-président de la Société d’écologie et du conseil scientifique de la Fondation pour la recherche sur la biodiversité (FRB)
Jean-Louis Martin, directeur de recherches au CNRS, président de la Société d’écologie.
François Sarrazin, professeur à l’université Pierre-et-Marie-Curie, président du conseil scientifique de la FRB.
Jean-François Silvain, directeur de recherche à l’IRD, président de la FRB.
Christophe Thébaud, professeur à l’université Paul-Sabatier de Toulouse, vice-président de la Société d’écologie.