Les bâtiments du laboratoire Biotrial à Rennes, le 16 janvier 2016. | LOIC VENANCE / AFP

L’Agence nationale de sécurité du médicament (ANSM), chargée de la surveillance des médicaments, se défend de tout manque de transparence dans l’affaire de l’essai clinique mené à Rennes par la société Biotrial pour le compte du laboratoire Bial, qui a conduit au décès d’un des volontaires sains, quatre autres ayant souffert de troubles neurologiques.

Alors que Le Figaro, dans son éditon du 25 février a mis en cause une absence de transparence, le directeur général de l’ANSM, Dominique Martin, indique qu’il n’est pas question de communiquer des informations du dossier individuel des patients, couvertes par le secret médical, comme la localisation exacte de l’atteinte neurologique qu’ils ont présentée.

« Nous contactons ces malades pour demander leur autorisation, mais ces éléments ont bien sûr été communiqués au comité scientifique spécialisé temporaire que l’ANSM a mis sur pied pour analyser cette affaire, affirme Dominique Martin. Plus aucune personne dans le monde n’est exposée à la molécule qu’a testée Bial [le BIA-2474, un inhibiteur de la Fatty Acid Amide Hydrolase - FAAH], nous n’avons donc pas à passer outre le secret médical pour protéger d’autres personnes d’un risque d’effet indésirable. »

Dominique Martin précise cependant que Biotrial lui a communiqué des documents essentiels, comme le dossier médical expérimental, qui ne peut être rendu public mais a été diffusé par l’ANSM à l’Inspection générale des affaires sociales (qui enquête sur cette affaire) ainsi qu’aux agences du médicament européenne et américaine.

« Là encore, si cela avait été utile pour protéger la santé de patients exposés nous aurions immédiatement rendu ces données publiques », explique Dominique Martin.

« Le compte rendu détaillé du comité scientifique spécialisé temporaire est attendu pour le 24 mars. Nous le mettrons en ligne et il comportera beaucoup d’informations, notamment sur la phase préclinique, et l’avis de toxicologues que nous estimons utiles car cela fait évoluer les connaissances sur cette famille de molécules. »

« Il n’est pas rare que les animaux cobayes meurent »

Le Figaro a par ailleurs évoqué une « information explosive » que pourraient recéler les données des études préalables chez l’animal : la molécule testée aurait entraîné la mort de plusieurs chiens. Il conteste également l’argument du respect du secret industriel et commercial invoqué par l’ANSM pour ne pas diffuser publiquement les éléments des études chez l’animal et rappelle que de plus en plus de scientifiques et de chercheurs réclament la divulgation complète des données relatives aux médicaments.

Concernant les études menées chez l’animal au cours de la phase préclinique, elles ont consisté, selon nos informations, à tester le BIA-2474 chez des souris, des rats, des chiens et des singes, soit davantage que le minimum de routine : essai chez un type de rongeur et chez un animal non rongeur. On ne sait si cette attitude était de principe ou bien motivée par des soupçons sur la toxicité potentielle de la molécule. Deux chiens, sur la cinquantaine ayant reçu la molécule, ont présenté des atteintes pulmonaires graves, sans trouble neurologique, et ont été euthanasiés.

Néanmoins, l’ANSM rappelle que ces essais ont précisément pour but d’évaluer la toxicité d’une molécule chez l’animal soumis à des doses croissantes. « Dans les essais pré-cliniques on recherche la dose limite, c’est-à-dire celle qui entraîne des effets indésirables rédhibitoires. Lors de cette escalade, il n’est pas rare que les cobayes meurent », souligne Jean-David Zeitoun, consultant pour l’industrie et cofondateur d’Inato, une société spécialisée dans les essais cliniques. Une fois que cette dose maximum a été identifiée, celle administrée à l’homme est calculée en appliquant un coefficient de sécurité.

« Les quantités sont 10 à 100 fois moindres que chez l’animal, pour tenir compte des incertitudes concernant la molécule elle-même, et les imperfections des modèles animaux », ajoute le Dr Zeitoun. Dans le cas de l’essai conduit à Rennes, « les doses chez l’animal allaient jusqu’à plus de 1 g/jour pendant trois mois soit largement plus que celles testée chez l’homme, jusqu’à 50 mg/jour pendant quelques jours, précise Dominique Martin. Rien ne permettait de prédire ce qui s’est passé. »

Questions sur le recours, ou non, à un sujet « sentinelle »

Le protocole de Bial est très semblable à celui adopté par le laboratoire britannique Vernalis pour tester une molécule de la même classe que le BIA-2474 (les inhibiteurs de FAAH) chez 50 volontaires sains. Conduite en 2011, l’étude prévoyait une escalade de doses, d’abord avec une administration unique, puis avec des administrations répétées sur plusieurs jours. Les patients ont été répartis en plusieurs groupes de huit patients chacun : six d’entre eux recevaient la molécule et les deux autres un placebo, sans intervalle de temps entre les patients.

Ce schéma – également suivi par Bial – est aujourd’hui critiqué car il expose simultanément toute la cohorte. Lors du passage à la dose supérieure, aurait-il fallu tester la molécule sur un seul patient avant de l’administrer à l’ensemble des volontaires ? « A ma connaissance, personne n’a recours à un sujet sentinelle lors de l’escalade de doses car, à ce stade, la molécule est déjà bien connue, souligne le Dr Steve Warrington, l’investigateur principal de l’essai sur la molécule de Vernalis. En règle générale, les effets indésirables sont proportionnels à la dose, et il n’y pas de raison de s’inquiéter si rien n’a été décelé avec les doses inférieures. »

Le protocole de Vernalis a été validé par les autorités britanniques, particulièrement vigilantes depuis qu’un essai clinique a mal tourné, à Londres, en 2006. « Dans ce cas, la molécule faisait partie d’une nouvelle classe de médicament jamais testée chez l’homme. C’est pourquoi le principe du sujet sentinelle a été instauré pour l’administration de la première dose, explique M. Warrington. Les inhibiteurs de FAAH, eux, sont testés depuis longtemps, et il n’y avait aucune raison de prendre ce genre de précaution. C’est une classe de molécule très sûre. »

Selon lui, Bial a malgré tout été « très prudent » : « Leur protocole prévoyait une escalade de dose très progressive, de 0,25 mg à 100 mg. De notre côté, nous avons testé des doses de 5 à 300 mg avec moins de paliers. »