Roschdy Zem, le 31 mars dans les locaux de la société Why Not Productions, à Paris. | Villiam Beaucardet pour "Le Monde"

« On ne peut pas dire que Paris soit une ville de foot, comme Londres ou Rome, qui ont plusieurs clubs dans l’élite… mais à Paris, il y a le PSG… » Et soudainement, le visage de Roschdy Zem s’illumine. L’histoire d’amour entre l’acteur-réalisateur et le club de la capitale est celle d’une passion à l’ancienne, une fidélité dure comme la pierre qui entoure l’antre du Parc des Princes.

Né à Gennevilliers en 1965, l’homme a grandi à Drancy, a longtemps vendu des chaussures aux puces de Clignancourt et se présente d’emblée comme un « Parisien pur jus ». Même si son aventure avec le Paris-Saint-Germain commence par un contre-pied. « Quand j’étais gamin, j’adorais le FC Nantes, assène-t-il sans ciller. Je suivais le foot, mais sans passion. Je me souviens même que quand j’avais 5 ans mon père m’avait obligé à regarder la finale de la Coupe du monde 1970 entre le Brésil et l’Italie. » Les envolées de Johan Cruyff au Mondial 1974 attisent les premières braises, avant que le gamin ne jette son dévolu, « comme ça, sans raison », sur les Canaris nantais. Jusqu’à l’arrivée à Paris d’une nouvelle génération de joueurs, d’abord Mustapha Dahleb, puis les Susic, Rocheteau, Bathenay. « A ce moment-là, j’ai vrillé PSG. »

« Le Parc des Princes, c’est magique », résume en bon supporteur Roschdy Zem. « Ma première fois, c’était pour un PSG-Nantes, justement, au début des années 80, on avait été invités avec d’autres gamins de banlieue par le conseil régional. Mais sinon je n’allais pas au stade, on n’avait pas les moyens », se souvient celui qui fut récompensé, avec les acteurs du film Indigènes de Rachid Bouchareb, d’un prix d’interprétation masculine collectif au Festival de Cannes. C’était il y a tout juste dix ans.

A l’orée des années 1990, Roschdy Zem, qui continue de travailler aux puces de Clignancourt en parallèle à sa carrière d’acteur, commence à se faire un nom sur le grand écran, se révélant notamment sous la houlette d’André Téchiné dans J’embrasse pas. En 1992, un an après la sortie du film, le comédien franchit le Rubicon : il s’abonne au PSG. « C’est venu avec l’embourgeoisement », explique-t-il dans un sourire. « Mais c’était surtout une histoire de copains. Au début on était deux ou trois, on s’est dit allez, on se prend un abonnement, on va voir les matchs et on dîne ensemble ensuite. Aujourd’hui, c’est encore ce qu’on fait, sauf qu’on est une quinzaine, et que des fois on emmène aussi nos enfants. On s’est pris au jeu. »

Au point de faire quasiment partie des murs de cette enceinte, sise entre le 16arrondissement de la capitale et Boulogne-Billancourt, qui devient vite une résidence secondaire pour la petite bande. « Au Parc, je suis assis à la même place depuis vingt-quatre ans. A ma mort, il faudra mettre un drapeau noir dessus. Jamais on n’échange nos places, même pas en rêve. Avant l’arrivée des Qataris, il y avait même nos noms sur le siège, c’était classe. Ils ont enlevé ça, c’est dommage. Mais bon, je ne suis pas non plus fétichiste. Me faire enterrer derrière le Parc, non merci. »

« Devant un match de foot, tu tombes les masques »

Supporteur sédentaire, Roschdy Zem niche au milieu d’une faune qui ressemble à un petit Paris sous cloche, qu’il évoque avec tendresse, en riant. « Il y a des mecs, je ne saurais pas te dire ce qu’ils font dans la vie ou comment ils s’appellent, mais ils sont autour de moi, dans le même angle de vision, depuis toutes ces années. J’entends toujours les mêmes voix derrière moi. Celui qui gueule “Au prix où il est payé, celui-là !” ; celui qui a une voix de Tosca et qui réclame toujours le joueur qui ne joue pas. A un moment, il chantait tout le temps : “Hoaraaau, Hoaraaau, Hoaraaau.” Maintenant, c’est à la gloire de van der Wiel », raconte encore le réalisateur de Chocolat, son quatrième film, sorti en février.

Une improbable confrérie se forme entre habitués qui se côtoient sans se connaître. « Ces tribunes-là, c’est un mélange, t’es au milieu des vrais parigots, avec leur côté tête de mule, leur mauvaise foi, les insultes qui fusent… c’est un exutoire, pour moi aussi. Ça me fait rire, faut juste que ça reste de la chariade. » Un phénomène de catharsis et un lâcher-prise qui n’ont, selon le supporteur, rien à voir avec le travail de comédien, où tout est affaire de contrôle. « Au cinéma, mon attitude est maîtrisée, travaillée, alors que devant un match de foot tu tombes le masque, la pudeur s’efface. Si on me filmait devant un match, j’aurais sûrement un peu honte de moi. »

En un quart de siècle de matchs au Parc, Roschdy Zem et sa troupe ont grandi avec leur club, souffrant lors des matchs au couteau pour éviter la descente en deuxième division, vibrant lors des premières émotions européennes du PSG version Canal+, avant le rachat par le fonds Qatar Sport Investments en 2011. Une révolution vécue sans nostalgie mal placée. « On regrette l’ambiance, qui a un peu disparu du Parc, mais j’ai l’impression que c’est le prix à payer pour les stars qu’on a. » Quitte à ce que le PSG s’éloigne pour de bon de son public d’origine et de ses racines populaires ? « Oui, c’est devenu un luxe d’aller voir un match du PSG au Parc, c’est clair qu’on est en train de créer un public de privilégiés. Les supporteurs de la vieille école, on n’est pas les plus attendus. Et au Parc, aujourd’hui, on n’est pas loin de retrouver les mêmes familles qu’à d’Eurodisney. Mais l’avantage, c’est aussi que mon gamin peut aller au stade seul, sans inquiétude. »

Une jeune classe biberonnée à cette ultradomination parisienne sur le championnat de France qui tue tout suspense. « Franchement, je kiffe. Cette saison, je voulais qu’on gagne avec 100 points, et 25 d’avance. Parce que au départ, c’est toujours onze mecs contre onze autres sur un terrain », dit le comédien en insistant sur l’amour originel, celui du jeu. « J’aime le PSG parce que j’aime le foot, pas l’inverse. » L’abonné Zem, qui était au Stade de France le soir des attentats du 13 novembre, suit aussi les Bleus. Juste avec un peu moins de ferveur. « L’Euro, je vais aller voir des matchs, oui, mais ce qui me fait le plus vibrer, c’est le club. Je suis plus parisien que français. »