Fabien Clain. | DR

On entend un « nashid », un de ces chants religieux envoûtants qui font le charme vénéneux des vidéos de l’Etat islamique (EI). Puis la lecture d’un communiqué au style ampoulé : « Dans une attaque bénie dont Allah a facilité les causes, un groupe de croyants des soldats du califat, qu’Allah lui donne puissance et victoire, a pris pour cible la capitale des abominations et de la perversion, celle qui porte la bannière de la croix en Europe, Paris… » A la fin de la lecture, les chants reprennent. L’enregistrement dure cinq minutes trente.

La voix de l’homme qui revendique les attaques commises à Paris, vendredi 13 novembre, a été identifiée. Il s’agit de celle du Français Fabien Clain, 37 ans, un vétéran du djihad originaire de Toulouse, proche du clan de Mohamed Merah et condamné en 2009 à cinq ans de prison pour avoir animé une filière irakienne. Selon les informations du Monde, il était déjà apparu dans l’enquête sur un projet d’attentat visant le Bataclan en 2009 en raison du sionisme supposé de ses propriétaires. L’homme qui chante avant et après la lecture du communiqué a été identifié comme étant son frère cadet, Jean-Michel, 34 ans, précise au Monde une source proche du dossier.

« Le clan des Belphégor »

Fabien Clain, un Toulousain d’origine réunionnaise converti à l’islam, s’est rapproché de la mouvance salafiste au début des années 2000 aux abords de la mosquée « El Hussein », dans le quartier du Mirail. Décrit par d’anciens proches comme instruit, « très fort en religion », ayant un « véritable talent pour convertir les gens » et les « manipuler », il s’impose rapidement comme l’un des principaux idéologues du courant salafiste toulousain.

La famille Clain ne passe pas inaperçue au Mirail. Portant la barbe et la djellaba, les deux frères tiennent un stand de vente d’objets islamiques sur un marché, qu’ils utilisent pour enrôler de jeunes Toulousains. Ils ont épousé deux converties qui portent la burqa – à une époque où cette coutume était encore une curiosité – ce qui leur vaut d’être surnommé « le clan des Belphégor ».

La famille se rapproche au début des années 2000 d’une autre communauté salafiste, structurée autour d’un Français d’origine syrienne, Olivier Corel, dit « l’Emir blanc ». Ce guide spirituel, ancien responsable en France des « Frères musulmans syriens », tient des sessions d’enseignement religieux dans sa ferme d’Artigat, une petite commune ariégeoise. Des jeunes venus des cités toulousaines s’y pressent pour écouter ses prêches.

C’est dans cette ferme reculée que Fabien Clain, désormais surnommé « Omar », fait la connaissance d’Abdelkader Merah, le frère de Mohamed Merah, et d’un de ses bons amis, Sabri Essid, alors âgé de 16 ans. Le groupe d’Artigat, considéré comme l’un des noyaux historiques du djihadisme français, se consolide par alliances : le père de Sabri Essid épousera successivement la mère de Fabien Clain et celle des frères Merah.

Une filière belgo-tunisienne

En janvier 2003, les frères Clain s’installent quelque temps en Belgique. Les « Réunionnais », comme on les appelle, gravitent autour d’une filière belgo-tunisienne à l’origine du départ de Murielle Degauque, morte le 9 novembre 2005 dans un attentat-suicide à Bagdad. Les frères Clain font alors la connaissance de deux figures du djihadisme : Farouk Ben Abbes, un Belge d’origine tunisienne, et Hakim Benladghem, un ancien légionnaire français d’origine algérienne, qui sera tué des années plus tard par la police belge, le 26 mars 2013, à l’issue d’une course-poursuite. Il était soupçonné de s’apprêter à commettre un attentat en Belgique le lendemain.

Les frères Clain, Farouk Ben Abbes, Hakim Benladghem… La petite amicale franco-belge ne va pas tarder à faire parler d’elle. En 2009, Fabien Clain et Hakim Benladghem apparaissent dans une enquête sur des menaces d’attentats visant le Bataclan. Cette salle de spectacle, dont les propriétaires à l’époque sont juifs, organisait chaque année un concert de soutien en faveur de Magav, la police des frontières israélienne, qui déclenchait l’ire de plusieurs associations et de groupuscules radicaux.

Cette même année, Farouk Ben Abbes est interpellé en Egypte dans le cadre de l’enquête sur un attentat ayant visé un voyage d’agrément de lycéens français au Caire en février 2009. Cette attaque, attribuée à Jaish al-Islam, « l’armée de l’islam », la branche d’Al-Qaida à Gaza, fera vingt-quatre blessés et un mort, Cécile Vannier, 17 ans. Dans les locaux de la Sécurité d’Etat égyptienne, Farouk Ben Abbes aurait alors protesté de son innocence tout en admettant qu’il projetait une attaque en France contre… le Bataclan. L’information judiciaire ouverte en France, dans laquelle Fabien Clain a été entendu comme témoin, s’est conclue, faute de preuves, sur un non-lieu.

Envoyer les autres mourir à sa place

Rentré dans la région de Toulouse, Fabien Clain a entre-temps poursuivi son œuvre de recrutement au sein de la filière d’Artigat. Quelques mois après les menaces d’attentat visant le Bataclan, il est condamné en juillet 2009 à cinq ans de prison pour avoir organisé l’acheminement vers l’Irak de plusieurs jeunes Toulousains entre 2005 et 2006.

Ses recrues prenaient souvent l’avion depuis la Belgique, où elles étaient accueillies par des « frères » bruxellois, puis transitaient par la Syrie ou l’Egypte avant de tenter de gagner le bourbier irakien. Mais la cellule est démantelée avant d’avoir pu mettre le pied en Irak. Deux disciples de Fabien Clain, Sabri Essid et Thomas Barnouin, seront arrêtés près d’Homs en décembre 2006 par les autorités syriennes alors qu’ils s’apprêtaient à rejoindre le champ de bataille, au sein d’une cellule d’Al-Qaida composée de Syriens et de Saoudiens.

Durant son procès, Fabien Clain se définira comme ayant suffisamment de connaissance religieuse pour « influencer une personne indécise ». Il affirme s’en tenir à une lecture « défensive » du djihad, arguant que « quand un pays se fait envahir par un autre pays ou même si le voisin musulman se faisait attaquer, il faut le défendre ». Il soutient devant la cour qu’il n’approuve pas les attentats-suicides. Un de ses coaccusés affirme que son djihad consistait surtout à envoyer les autres mourir à sa place. Libéré en août 2012 après avoir purgé trois de ses cinq années de prison, Fabien Clain refait sa vie en Normandie avec femme et enfants. Puis disparaît en Syrie, vraisemblablement courant 2014.

Le clan en Syrie

L’aîné de la fratrie n’a pas rejoint seul les rangs de l’Etat islamique (EI). Il y a reconstitué son clan, à l’abri des poursuites judiciaires. Son ancien élève Sabri Essid, désormais âgé de 30 ans, a gagné la Syrie au printemps 2014, en même temps qu’une dizaine d’anciens membres de la cellule d’Artigat. Le 11 mars 2015, jour du troisième anniversaire de la tuerie de Mohamed Merah, Sabri Essid apparaît dans une vidéo de propagande sur laquelle on voit un garçon, identifié comme son beau-fils, âgé de 13 ans, abattre à bout portant un Arabe israélien accusé d’espionnage pour le compte du Mossad.

Fabien Clain a disparu des radars. Il ne va pas tarder à réapparaître dans les fiches des services de renseignement. Le 19 avril 2015, un étudiant algérien, Sid Ahmed Ghlam, est interpellé à Paris après s’être tiré une balle dans la jambe alors qu’il s’apprêtait à mitrailler la sortie de messe d’une église de Villejuif (Val-de-Marne). L’enquête établira que deux membres français de l’EI, avec qui il communiquait dans l’élaboration de son projet, avaient été endoctrinés à distance par Fabien Clain avant de le rejoindre en Syrie début 2015. Un projet d’attentat avorté sur lequel plane une autre ombre : celle du Belge Abdelhamid Abaaoud, commanditaire présumé des attaques de vendredi.

Entouré de sa famille et de ses anciens disciples, Fabien Clain a recréé en Syrie le biotope d’Artigat. Il continue de recruter, depuis l’étranger cette fois, et semble avoir joué un rôle dans au moins deux attaques visant la France depuis le début de l’année. Le conflit syrien lui a donné l’occasion de parachever l’œuvre qu’il n’avait pu mener à son terme durant la guerre d’Irak. Le champ de bataille a changé. Les ambitions de ce djihadiste de la première heure aussi. Il ne s’agit plus seulement d’envoyer des Français se battre à l’étranger : le conflit s’est déplacé sur le sol français.