Romain Grosjean, lors du Grand Prix d'Australie, le 20 mars sur le circuit Albert Park, à Melbourne. | PAUL CROCK / AFP

Haas était l’inconnue de cette saison de formule 1. Première écurie américaine à tenter l’aventure depuis trente ans, on savait juste que son créateur, Gene Haas, avait fait fortune dans les machines outils, et vécu une première expérience plutôt réussie dans le sport automobile via la Stewart-Haas Racing engagée en Nascar, courses de stock-cars, très populaires outre-Atlantique. De là à s’attaquer à la F1, n’était-ce pas présomptueux ?

Haas suscitait au mieux la curiosité, au pire les railleries. Jusqu’au 29 septembre 2015, jour où Romain Grosjean annonçait quitter Lotus pour devenir premier pilote de l’écurie américaine, au côté du Mexicain Esteban Gutierrez. Un coup dur pour Renault, mais un coup de maître pour la nouvelle venue : le 20 mars, Romain Grosjean termine 6e au Grand Prix inaugural d’Australie, puis 5e deux semaines plus tard à Bahreïn. Simplement « incroyable », pour reprendre les termes du tweet publié dans l’euphorie par le pilote.

Plus posément, Romain Grosjean répond aux questions du Monde de son domicile genevois, jeudi 7 avril. Après une semaine d’entraînement physique intense, décontracté, en jogging et sweat-shirt siglé Alain Prost, il s’apprête à passer un week-end en famille avant de s’envoler pour Shanghaï disputer le Grand Prix de Chine du 17 avril.

Qu’est-ce qui vous a décidé à venir chez Haas ?

Tout a commencé à Monza, en marge du Grand Prix d’Italie, début septembre [2015]. J’ai rencontré Günther Steiner, le team principal [le directeur], le vendredi. Puis à nouveau le samedi. Ils ont réussi à me mettre l’eau à la bouche, sans m’en dire trop. La façon dont ils approchent la formule 1 m’a plu.

Le 29 septembre 2015, à Kannapolis (Caroline du Nord), le directeur de l'écurie Haas, Günther Steiner, et Romain Grosjean, lors de la conférence de presse qui officialise son arrivée comme pilote titulaire. | JARED C. TILTON / AFP

Quelle est cette approche ?

Le projet a débuté il y a cinq ans et demi. Les gens de Haas ont monté un partenariat avec Ferrari, autorisant l’utilisation maximale des compétences techniques de la Scuderia, c’est-à-dire le moteur, la boîte de vitesse, les suspensions et la soufflerie de Marranello pour les essais, les meilleurs outils. Pour les pilotes, ils ne se sont pas focalisés sur les pilotes payants [jeunes pilotes ayant un capital financier] mais ont cherché des pilotes expérimentés pour essayer de devenir champions du monde. De mon côté, j’avais envie de courir haut dans le championnat du monde des pilotes [Romain Grosjean est classé 5e avant le Grand Prix de Shanghaï]. D’entrée, Haas voulait m’avoir. Et j’ai reçu un accueil très chaleureux.

Vous n’avez pas regretté ni douté ?

D’une manière générale, quand je prends une décision dans ma vie, je m’y tiens. Avec Haas, je travaille plus que par le passé. On est une équipe nouvelle. Günther et Gene Haas, je les ai tout de suite appréciés, de même que leur chef en aérodynamisme. Ensemble, on a créé notre équipe.

Vous avez pu intervenir sur la composition de cette équipe ?

Pas directement, mais j’ai pu donner mon avis, conseiller en prenant en compte l’expérience que j’avais en F1. C’est chouette d’avoir construit cela ensemble.

Lorsque vous vous êtes engagé avec Haas, vous ne saviez pas que Renault allait racheter Lotus pour revenir en formule 1 ?

Si. Tout devait être annoncé à Monaco [le 24 mai 2015]. Si le rachat de Lotus s’était fait en mai, juin ou juillet, je serais resté chez Renault. Mais maintenant, une fois le contrat signé, je me dis que j’ai clairement eu la bonne vision.

Mieux qu’une intuition : Haas aborde Shanghaï à la 3e place du classement des écuries, avec 18 points, quand Renault, avec 0 point, est dernier…

Renault arrive en formule 1 à un moment pas facile, après avoir racheté Lotus alors qu’ils connaissaient de gros problèmes de budget, des pertes de personnel, d’efficacité. J’aime Lotus pour y être resté longtemps [titulaire du Lotus F1 Team de 2012 à 2015]. Les choses vont prendre du temps. Moi, j’ai 30 ans : c’est un challenge.

Vous estimez donc qu’en formule 1 il est plus facile de démarrer de zéro plutôt que de reprendre une écurie en difficulté ?

Non, c’est plus compliqué de partir de zéro. Mais j’ai pensé tout de suite que Haas avait le potentiel.

A l’issue de votre 5e place à Bahreïn, le 3 avril, vous avez déclaré au micro de Canal+ : « C’est le rêve américain »…

Quand j’ai signé en septembre, je me suis dit : si on marque 1 point en Australie, c’est un miracle [Romain en a marqué 8]. Et quinze jours après, on fait encore mieux [10 points marqués] ! Aujourd’hui, je crois que je suis au bon endroit au bon moment… Je m’éclate comme un fou. Même si je sais que j’ai encore énormément à apprendre, qu’il y aura des moments plus durs – c’est un métier fatigant. Nous avons beaucoup, beaucoup à travailler.

Passage aux stands pour Romain Grosjean, lors du Grand Prix d'Australie, le 20 mars à Melbourne. | PAUL CROCK / AFP

Ce métier de pilote de F1, c’est quoi exactement ?

Ce n’est pas ce que j’entends encore parfois : s’asseoir au volant d’une voiture, faire des tours de piste et rentrer. En course, nous sommes à 165 pulsations minute [pour une norme à 70], avec des pics à 180 lors du départ. Dans la voiture, il fait très chaud [70 degrés], puisque nous sommes entourés de batteries électriques. A chaque freinage, le pilote encaisse 5G ; avec le poids des combinaisons et du casque, cela équivaut à 40 kilos. Mentalement, nous devons avoir une parfaite coordination tout au long de la course, entre la vue et la précision. Nous roulons très proches les uns des autres. A ce travail physique s’ajoute, et cela est nouveau, le travail avec les ingénieurs : c’est extrêmement fort, très intéressant, sympa, vraiment super. Je suis très fier d’y participer ! Mais ça prend du temps.

Vous suivez donc un entraînement spécifique…

Nous devons renforcer notre musculation au niveau du cou et des abdominaux. D’où un entraînement physique intense, des séances de gainage, de cardiotraining, comme pour tout sportif de haut niveau. Il faut par ailleurs une grande capacité de récupération. Nous faisons de longs voyages, avec décalages horaires. Nous sommes également suivis par une nutritionniste, puisque l’ennemi du pilote, ce sont les kilos. Nous devons nous muscler, gagner en endurance, sans prendre de poids. Nous devons aussi assurer les plans marketing et médias.

En tant que seul pilote français du championnat, êtes-vous très sollicité ?

J’ai une base de fans en France très importante. Pour eux, il est difficile de suivre les Grands Prix depuis qu’ils sont retransmis sur une chaîne cryptée. C’est pourquoi j’utilise beaucoup les réseaux sociaux. J’aimerais que plus de gens puissent suivre et aimer mon sport. Plus généralement, je souhaiterais que tous les sports soient retransmis gratuitement.

Croyez-vous que la formule E, championnat de monoplaces électriques, dont on va de plus en plus entendre parler à l’approche de l’e-Prix de Paris le 23 avril, puisse concurrencer la formule 1 ?

Non, nous sommes sur deux créneaux différents. La FE se positionne plus comme un show « social media », fun, avec animations et DJ, alternative. La formule 1 est une technologie de pointe.

Une technologie qui s’applique aussi à la sécurité, sous la pression de la Fédération internationale (FIA)…

C’est extraordinaire. L’an dernier, en Russie [le 11 octobre 2015], je me suis pris un mur à 282 km/h et j’en suis sorti sans une égratignure. A Melbourne, Fernando Alonso est sorti indemne de la carcasse de sa voiture après avoir fait plusieurs tonneaux. On peut encore faire des progrès en matière de sécurité, mais ceux réalisés depuis la mort d’Ayrton Senna, le 1er mai 1994, sont impressionnants. Les circuits ont été aménagés. Le point faible aujourd’hui pour les pilotes reste qu’on a la tête à l’air.

Pensez-vous à la sécurité en dehors des circuits ?

Je crois, oui. Je roule tranquille, surtout depuis que j’ai mes deux enfants à l’arrière, Sacha et Simon [2 ans et demi, et 7 mois]. Pour se défouler, il y a les circuits. C’est cela qu’il faut dire aux gens.

Trouvez-vous le temps de voir vos deux garçons et votre épouse ?

Le « grand » commence à protester quand je pars. Il est triste. Mais, en dehors des 21 Grands Prix de la saison et des deux séances d’essais hivernales, je suis à la maison, nous prenons le petit déjeuner ensemble, je l’emmène à la crèche. Ce n’est pas une vie simple, mais l’hiver, nous sommes tous les jours ensemble.

F1 2016 Bahrain - Romain Grosjean Team Radio after 5th Place
Durée : 00:36

Vous vous apprêtez à partir pour Shanghaï, troisième course de l’année. Quel jugement portez-vous sur le début de saison ?

Le métier de pilote a évolué. Il est plus « intellectuel » aujourd’hui. Avec la limitation des messages radio, nous avons une plus grande autonomie, nous devons évaluer les besoins, les problèmes éventuels, c’est intéressant. C’est plutôt une bonne chose. En revanche, le système de qualification par élimination progressive ne convient à personne, ni aux pilotes ni au public. Nous [pilotes] avons écrit une lettre ouverte en ce sens non pas pour prendre un quelconque pouvoir politique, mais faire valoir notre point de vue.

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