La Bourse d'Athènes en 2012. | LOUISA GOULIAMAKI/AFP

Les discussions entre le gouvernement grec et ses créanciers (la Banque centrale européenne, le Mécanisme européen de stabilité et le Fonds monétaire international) sont entrées, ces derniers jours, dans une phase à nouveau cruciale.

Athènes espère enfin, après trois mois de tergiversations, que son nouveau plan de réformes (retraites, nouvelles taxes, etc.) sera enfin validé par la troïka, afin qu’une nouvelle tranche d’aide (au moins 5 milliards d’euros) puisse être débloquée. Mais surtout pour que la négociation sur un allégement de son énorme dette puisse enfin démarrer. Les créanciers l’ont promise, et se tiennent prêts pour cette nouvelle « bataille ».

  • Où en est le nouveau plan d’aide à la Grèce ?

Depuis l’accord de l’été 2015 entre les ministres des finances de la zone euro (l’Eurogroupe) et Athènes sur un troisième programme d’aide de 86 milliards d’euros au pays (après ceux de 2010 et 2011), les choses n’ont, hélas, guère avancé. Ou du moins, pas assez vite au regard du calendrier prévu.

D’une part, le Fonds monétaire international (FMI) n’a toujours pas confirmé sa participation au plan. De l’autre, les négociations entre Athènes et ses partenaires européens, compliquées par la crise des migrants, s’enlisent. Un premier « audit » (une « revue » en jargon bruxellois) des réformes grecques encore à adopter peine à être conclu depuis plus de trois mois. Les discussions achoppent en particulier sur la gestion des créances douteuses et sur l’épineuse question de la réforme des retraites.

Les Grecs ont certes adopté cette dernière début 2016 : elle prévoit un plafonnement des pensions les plus hautes et une simplification du nombre de régimes. Les créanciers auraient néanmoins préféré que les cotisations patronales ne soient pas relevées, afin de ne pas pénaliser la compétitivité des entreprises grecques.

En outre, les créanciers semblent incapables de se mettre d’accord sur une série de sujets clés. « Le fossé entre le FMI et les Européens est profond, résume Wolfango Piccoli, spécialiste de la zone euro chez Teneo Intelligence. Pire, les Européens peinent à s’entendre entre eux sur la nécessité d’alléger ou non la dette publique hellène, et d’abaisser ou non l’objectif d’excédent primaire fixé au pays. »

Plutôt inquiétant. D’autant qu’en juillet, la Grèce devra rembourser plus de 3 milliards d’euros à la Banque centrale européenne (BCE). Si d’ici là aucun accord n’est trouvé, le pays aura dû mal à tenir cette échéance. Et risquera un nouvel incident de paiement.

  • Pourquoi les Grecs peinent-ils à appliquer les réformes demandées ?

D’abord, parce que le gouvernement d’Alexis Tsipras (Syriza, gauche radicale), arrivé au pouvoir en janvier 2015, ne dispose pas d’appuis politiques suffisamment larges pour passer toutes les réformes réclamées par les créanciers. « Ses soutiens à la Vouli, le Parlement grec, sont de plus en plus maigres, confie une source européenne. Cela explique en partie pourquoi les engagements pris par M. Tsipras l’été dernier soin loin d’être tenus. »

Certes, le gouvernement a déjà adopté une dizaine de réformes importantes depuis 2015, notamment de la fiscalité. Mais depuis, sa popularité ne cesse de s’éroder. « Pour regagner des points, il joue facilement sur la rhétorique anti-FMI, très populaire dans le pays, mais cela ne facilite pas les négociations », remarque Yannis Koutsomitis, économiste indépendant à Athènes.

En outre, la difficulté de la mise en œuvre des réformes tient également à la piètre qualité de l’administration grecque. Absence de cadastre, faible utilisation de l’informatique, piètre qualification des fonctionnaires… Tout cela ne facilite pas l’application des mesures sur le terrain.

Pour compliquer encore le tout, l’économie grecque continue de s’enfoncer. Si l’on excepte la petite embellie de 2014, où le produit intérieur brut (PIB) a crû de 0,8 %, le pays est en récession depuis 2008. En 2015, le recul a été moins profond que prévu (– 0,2 %), en dépit de l’instauration du contrôle des capitaux pendant l’été. Mais le système bancaire reste plombé par un niveau élevé de créances douteuses (près de 45 % du total). Résultat : les PME, laminées par sept ans de crise, peinent à se financer. Le taux de chômage culmine toujours à 25 %. Et l’on a du mal à voir comment l’économie, également affectée par la crise des migrants, pourra se redresser.

  • Pourquoi le FMI hésite-t-il à s’impliquer dans le programme ?

Le compte-rendu d’une téléconférence tenue entre deux membres du FMI, dévoilée samedi 2 avril par WikiLeaks, confirme que l’institution suspend toujours son implication dans le plan d’aide à la restructuration de la dette grecque. Malgré le premier allégement de 2012, il juge en effet que celle-ci, dont le montant frôle les 175 % du PIB, n’est toujours pas soutenable.

En outre, le FMI s’agace de voir les Européens tergiverser autour du cas grec au lieu de trancher une bonne fois pour toutes. « En vérité, le fond rêve surtout de se sortir du guêpier athénien », estime une source européenne. Il faut dire que depuis qu’Athènes est entrée sous assistance, en 2010, le FMI joue un rôle ambigu dans le dossier grec. Maniant tantôt le bâton en réclamant plus de réformes, tantôt la carotte, en militant pour une nouvelle restructuration de la dette hellène, il a lui-même reconnu, à plusieurs reprises, avoir sous-estimé l’effet récessif des mesures de rigueur réclamée au pays.

Mais il reste également très dubitatif sur les capacités du gouvernement grec à adopter les réformes du programme. Tout comme sur celles des Européens à résoudre au plus vite le dossier. De fait, le FMI redoute aujourd’hui de voir les négociations s’enliser au moins jusqu’au référendum britannique sur la sortie du Royaume-Uni de l’Union européenne, fixé au 23 juin.

  • Que veulent les Allemands ?

La chancelière allemande, Angela Merkel, est aujourd’hui prise entre deux feux. Une large majorité des Allemands et du Bundestag sont attachés à la participation du FMI dans le plan d’aide à la Grèce, vu comme le seul garant de la bonne application des réformes. Mais le fonds réclame également une nouvelle restructuration de la dette grecque, dont les Allemands, eux, ne veulent pas entendre parler…

Comment Mme Merkel se sortira-t-elle d’une telle impasse ? « Ses marges de manœuvre politique dépendront de l’évolution de la crise des réfugiés dans le pays, et de sa capacité à reprendre la main après cet épisode », explique M. Piccoli. Si elle ne parvient pas à convaincre le Bundestag de la nécessité d’une restructuration, laisser partir le fonds pourrait apparaître comme l’option la moins douloureuse. « Dans tous les cas, cela risque de prendre du temps, et retarder encore la conclusion d’un accord sur la Grèce », résume M. Piccoli.

  • Quand la question de la dette sera-t-elle enfin sur la table ?

Selon nos informations (Le Monde du 7 avril), les discussions sur un allégement de l’énorme dette grecque pourraient démarrer en marge des rencontres de printemps du Fonds monétaire international (FMI), prévues du 15 au 17 avril à Washington. « Tous les protagonistes du dossier seront là : Christine Lagarde, la présidente du fonds, les représentants de la Banque centrale européenne, du Mécanisme européen de stabilité (MES), de la Commission européenne », précise une source proche du dossier.

« Oui, il y aura des premiers contacts, cela aidera peut-être le FMI à prendre position », confirme une source européenne de haut rang. Depuis des mois, le fonds estime que la dette publique grecque (180 % de son produit intérieur brut) est trop conséquente et qu’elle doit être réduite. C’est pour cette raison, officiellement, qu’il hésite à participer au troisième plan d’aide à la Grèce (86 milliards d’euros), signé en août 2015 pour éviter au pays la faillite.

Ces discussions préliminaires entre Athènes et la « troïka » des créanciers devraient se poursuivre à Amsterdam, lors d’un conseil des ministres de la zone euro (Eurogroupe), les 22 et 23 avril. Sans attendre que la « première revue » du troisième plan d’aide soit conclue, contrairement à ce que réclamait pourtant le ministre des finances allemand, l’intransigeant Wolfgang Schäuble.

Mais à condition que les pourparlers sur cet audit des réformes qu’Athènes doit encore adopter avancent enfin de manière déterminante. Un point d’étape a été fait lors d’un « Euroworking group », une réunion préparatoire à l’Eurogroupe, jeudi 7 avril à Bruxelles. les chefs de mission des créanciers seront de retour à Athènes ce week-end pour espérer dérocher un accord politique sur la première revue avant les réunions de Washington.

« Il y a une vraie volonté partagée d’aboutir à une conclusion de la revue, les discussions avancent bien » a affirmé le commissaire européen à l’économie, Pierre Moscovici, jeudi.

  • Sur quoi portera la négociation concernant la dette ?

La discussion sur la dette sera très cadrée. Il ne devrait pas être question d’haircut, une réduction du montant nominal de la dette grecque. La chancelière Angela Merkel l’a de nouveau rappelé mardi 5 avril, lors de sa rencontre à Berlin avec Mme Lagarde. Même les Grecs ont fini par l’admettre : un allégement serait politiquement très difficile à vendre chez ses partenaires et créanciers européens, car il signifierait, pour eux, des coupes budgétaires.

Il sera en revanche question de réduction supplémentaire des taux d’intérêt, de création de nouvelles « périodes de grâce », durant lesquelles le remboursement des intérêts et/ou du principal serait suspendu, ou d’allongement des « maturités » des dettes. A la BCE, au MES, au FMI, les scénarios « tournent » déjà depuis des mois. Les périodes de grâce pourraient, pour les nouvelles tranches de dette accordées en 2015, aller jusqu’à dix ans ; des allongements des maturités iraient jusqu’à vingt ans, ce qui prolongerait le remboursement pour Athènes jusque dans les années 2060.