Karim Benzema, lors du Mondial 2014 au Brésil. | PATRIK STOLLARZ / AFP

Fin de partie. C’est par un communiqué laconique que Noël Le Graët a mis un terme, mercredi 13 avril, au feuilleton Benzema. Le président de la Fédération française de football (FFF) a annoncé que l’attaquant des Bleus – mis en examen depuis novembre 2015 pour « complicité de tentative de chantage » et « participation à une association de malfaiteurs » dans le cadre de l’affaire dite du « chantage à la sextape » à l’encontre de son coéquipier tricolore Mathieu Valbuena – ne participera pas à l’Euro 2016, qui se déroulera en France du 10 juin au 10 juillet. Le dirigeant breton ferme ainsi définitivement la porte à un retour du meilleur buteur en activité des Bleus (27 réalisations) d’ici au 12 mai, jour de l’annonce de la liste des vingt-trois joueurs sélectionnés pour la compétition.

« Il n’existe aucun obstacle, sur le plan juridique, au fait qu’il soit sélectionné », indique pourtant la FFF dans son communiqué, alors que l’attaquant du Real Madrid avait été constamment convoquée avec les Bleus durant sa mise en examen dans le cadre de l’affaire Zahia, de 2010 à 2014. A l’instar de son partenaire Franck Ribéry, l’ex-pépite de l’Olympique lyonnais avait ensuite été blanchie dans ce dossier. Mais Noël Le Graët et son sélectionneur Didier Deschamps, « tiennent à rappeler que la performance sportive est un critère important mais pas exclusif (…) ».« La capacité des joueurs à œuvrer dans le sens de l’unité, au sein et autour du groupe, l’exemplarité et la préservation du groupe sont également prises en compte par l’ensemble des sélectionneurs de la Fédération », argue la FFF.

Prévenu par Didier Deschamps, Karim Benzema, qui n’avait déjà pas été retenu par Raymond Domenech pour le Mondial 2010, avait devancé de quelques minutes la publication du communiqué de la Fédération pour exprimer sur son compte Twitter sa déception de ne pas être retenu pour « notre Euro en France ». « Ce qui m’interpelle, c’est que dans le communiqué, j’entends parler d’exemplarité pour un délit dont il n’est pas avéré qu’il a été commis », s’interroge l’avocat du joueur, Eric Dupond-Moretti.

Le 10 décembre 2015, Noël Le Graët avait indiqué que l’attaquant n’était « plus sélectionnable » tant que « sa situation » n’évoluait pas. L’horizon en bleu de Karim Benzema s’était éclairci le 11 mars, lorsque son contrôle judiciaire avait été définitivement levé. Le patron de la FFF envisageait alors de réunir dans son bureau Mathieu Valbuena et le canonnier madrilène, absents en sélection depuis octobre, pour parachever la grande opération de réconciliation.

Sondages réprobateurs

Dans les colonnes de L’Equipe, à la mi-mars, Didier Deschamps assurait vouloir «la meilleure équipe et donc les meilleurs joueurs », tout en défendant la « présomption d’innocence » de Karim Benzema. En verve avec le Real Madrid, son nouvel entraîneur, Zinédine Zidane, a répété plusieurs fois que les Bleus ne pouvaient pas se priver de lui pour l’Euro.

Le capitaine des champions du monde en 1998 et d’Europe en 2000 semblait alors sourd aux sondages réprobateurs. Selon une étude réalisée en décembre 2015 par l’institut Elabe pour RMC-BFMTV, 82 % des Français se disaient opposés à un retour en équipe de France de Benzema. A la fin de février, une étude établie par Odoxa pour RTL donnait un résultat quasi similaire avec 70 % de sondés hostiles.

« C’est l’un des dossiers les plus complexes que j’ai eu à gérerà la FFF, confiait au Monde Noël Le Graët quelques jours avant de prendre sa décision. Car il y a une contradiction entre l’opinion publique et ce que je ressens pour ce garçon-là. Je l’aime bien sans parler de l’affaire. On peut demander à Laurent Blanc ou à Didier, à tous ses entraîneurs, à Zidane aujourd’hui, il s’est toujours bien conduit au niveau de l’entraînement, du groupe, des sponsors. »

Conscient du poids sportif de Karim Benzema, désireux de voir les Bleus atteindre au moins le dernier carré de l’Euro, Noël Le Graët s’était engagé dans une campagne de réhabilitation du joueur dès sa mise en examen. « La vraie question est de savoir si Benzema est l’avant-centre type de l’équipe de France », affirmait-il au Monde en novembre. Un mois plus tard, il était revenu sur les « courriers racistes » reçus à la Fédération depuis l’éclatement de l’affaire du « chantage à la sextape ».

« On était dans la période difficile d’après les attentats. Les lettres qu’on recevait, c’était l’horreur. C’était du genre : “L’Arabe, dehors, et comme ça on est tranquille”. Je l’ai donc défendu un peu plus peut-être, reconnaît aujourd’hui le dirigeant. Il a très certainement commis une faute. Mais balancer quelqu’un sur la place publique à ce point-là, ça ne se fait pas. »

Ingérence politique

Le 17 mars, Libération fait sa « une » sur la « Nouvelle embrouille Benzema » et révèle que le joueur du Real a été entendu en janvier comme témoin dans le cadre d’une information judiciaire ouverte en septembre 2015, par le parquet de Paris, pour blanchiment en bande organisée et blanchiment de trafic de stupéfiants. Cet élément a-t-il changé la donne alors que le président de la FFF aurait préféré être informé de cette audition par l’intéressé lui-même plutôt que par la presse ?

Jusqu’ici, Noël Le Graët avait fait abstraction des déclarations du premier ministre, Manuel Valls, et du ministre des sports, Patrick Kanner, hostiles à un retour de Karim Benzema en sélection. L’ex-maire PS de Guingamp (1995-2008) avait alors reçu le soutien de François Hollande. Soucieux d’éviter toute ingérence dans les affaires de la Fédération, le chef de l’Etat avait demandé aux membres du gouvernement de ne plus commenter l’affaire Benzema.

Dans l’optique de conquérir l’Euro, l’absence de Karime Benzema sera-t-elle un handicap pour l’équipe de France ? L’éclosion des prodiges Anthony Martial (20 ans) et Kingsley Coman (19 ans) témoigne du vivier d’attaquants dont dispose Didier Deschamps. Le festival offensif offert par les Bleus, fin mars, contre les Pays-Bas (3-2) et la Russie (4-2), a rassuré le sélectionneur. Si ce dernier a souhaité déminer le terrain avant l’annonce de « sa » liste des 23 et s’éviter en plein tournoi des répliques du séisme provoqué par la désormais célèbre affaire de la « sextape », nul doute que l’ombre du numéro 10 planera sur les Bleus pendant l’Euro et qu’elle ne se dissipera pas en cas d’échec.