L'ancien Premier Ministre islandais Sigmundur David Gunnlaugsson au parlement de Reykjavik le 8 avril 2016. | HALLDOR KOLBEINS / AFP

Démission du premier ministre et organisation d’élections anticipées à l’automne. Sur le papier, l’Islande a réagi de manière forte et spectaculaire aux révélations des « Panama papers », cette fuite­ gigantesque de documents issus du cabinet ­Mossack Fonseca, à laquelle plusieurs médias, dont Le Monde, ont eu accès. Les Islandais ont été massivement choqués d’apprendre que leur premier ministre, leur ministre des finances et celle de l’intérieur ont tous eu des sociétés offshore, sans l’avoir jamais déclaré publiquement.

Par milliers, ils ont protesté devant leur Parlement, au cœur de Reykjavik. Et les sondages montrent qu’une large majorité d’entre eux réclament le départ de tous les responsables mis en cause. Mais l’élite politico-économique islandaise a-t-elle réellement pris conscience de ses dérives ? Ce nouveau scandale montre que tout n’avait pas été réglé après la crise de 2008. A cette époque, le système bancaire islandais s’était effondré en quelques jours, victime des pratiques douteuses de ses responsables locaux. En se prêtant mutuellement des fonds, souvent par le biais des paradis fiscaux, ils avaient constitué une bulle artificielle qui n’a pas résisté à la crise des subprimes.

Sous ces airs trompeurs de pays scandinave, ­l’Islande est un pays aux standards bien différents de ceux de ses voisins. Ici tout le monde se connaît, et l’héritage familial joue un rôle considérable dans les destinées politiques, économiques ou­ ­médiatiques. Comme les précieux quotas de pêche, les charges politiques ont, par exemple, tendance à se transmettre de père en fils. Le père de Sigmundur David Gunnlaugsson, le premier ministre démissionnaire, était déjà député et responsable du Parti du progrès (libéral) dans les années 1990. Sa femme, avec qui il détenait sa société offshore, est l’héritière du concessionnaire Toyota de l’île.

Mélange des genres

Avant de rentrer en politique et de prendre, à 34 ans, la tête de ce parti, sans même avoir encore été élu député, M. Gunnlaugsson était journaliste à la télévision. Il s’est ensuite fait connaître en luttant avec acharnement contre le remboursement des créanciers internationaux qui avaient placé leur argent dans le système bancaire islandais. Si cette lutte a été très populaire chez les Islandais, souvent sensibles aux discours nationalistes et alors soumis à une sévère crise d’austérité, il n’a jamais déclaré publiquement qu’il était dans le même temps créancier de ces banques, par l’intermédiaire d’une société basée aux îles Vierges britanniques. Cela constitue pourtant un évident conflit d’intérêts.

Mais ce mélange des genres n’est visiblement ni nouveau ni choquant pour les deux partis de droite au pouvoir en Islande, qui ont presque toujours gouverné le pays depuis 1944. Président du Parti de l’indépendance (conservateur) et premier ministre entre 1991 et 2004, puis gouverneur de la banque d’Islande, David Oddsson a pris la tête de la rédaction du plus gros quotidien en 2009. Un journal qui a soutenu M. Gunnlaugsson jusqu’à ce qu’il démissionne. Et il pourrait désormais se présenter à l’élection présidentielle en juin. Quant au nouvel homme fort du pouvoir islandais, le ministre des finances, Bjarni Benediktsson, il descend directement d’une famille célèbre en Islande pour son entregent et sa richesse. Avant d’entrer en politique, il dirigeait un lucratif réseau de stations-service. Lui aussi avait une société offshore, basée aux Seychelles. Il a pourtant refusé de démissionner en affirmant qu’il pensait qu’elle était enregistrée au Luxembourg. Des éditeurs de journaux figurent aussi dans les « Panama papers ».

Autant d’éléments qui expliquent pourquoi les deux partis au pouvoir ont tout fait pour circonscrire l’incendie au plus vite. M. Gunnlaugsson a été rapidement écarté, mais la composition du gouvernement n’a pas changé. Il restera, par ailleurs, président du Parti du progrès, et le nouveau premier ministre ne sera que son adjoint. Jeudi 7 avril, à la reprise de la session parlementaire, ce dernier a tenu un propos ambigu sur l’évasion fiscale. Tout en appelant les Islandais à rapatrier les actifs qu’ils pourraient posséder dans des paradis fiscaux, il a affirmé que cela n’était pas un problème majeur. A peine a-t-il concédé qu’il faudrait peut-être revoir les règles d’éthique pour les élus, afin qu’ils soient vraiment contraints de déclarer tous leurs actifs. Pas un mot sur l’ouverture d’investigations judiciaires, alors que l’administration fiscale islandaise a dit qu’elle n’était pas en mesure de vérifier la véracité des déclarations pour les sociétés ­offshore.

Si les élites islandaises veulent refermer ce douloureux épisode au plus vite, la rue ne semble pas pour l’instant plier. Plus de 6 000 personnes ont manifesté samedi 9 avril. Les mouvements civiques qui organisent ces protestations réclament une remise en cause des quotas de pêche, devenus une rente pour les grandes sociétés qui les ont rachetés. Ils demandent aussi que la Constitution, écrite en 2012 de manière participative, adoptée par référendum mais enterrée, soit enfin appliquée. Ces jeunes, souvent proches du Parti pirate, plaident enfin pour l’adhésion à l’Union européenne, en assurant que c’est le seul moyen de réguler un pays trop petit pour éviter les conflits d’intérêts. L’élite économique islandaise regarde ce mouvement avec le sourire, certaine que la majorité des Islandais préféreront jouir du retour spectaculaire de la croissance plutôt que de risquer un bouleversement. Une seule chose leur fait vraiment peur : que la liste de tous les Islandais clients de Mossack ­Fonseca soit publiée au cosmpte-gouttes dans les prochaines semaines. Il y en a 600, sur 329 000 habitants. Personne ne sait ce que pourrait donner un grand déballage sur une si petite société.