Par Olivier Chanel

Un bus scolaire emprunte de nuit une route de montagne inconnue et escarpée pour redescendre dans la vallée. « Ne roule-t-on pas un peu vite ? », demande au conducteur l’accompagnateur. « Pas d’inquiétude, je maîtrise la situation ». La vitesse d’augmenter et l’accompagnateur de s’enquérir : « La pente s’accentue, ne devrait-on pas ralentir ? ». Le conducteur de répondre : « Peut-être la descente va-t-elle finir bientôt ? ». Et l’accompagnateur de se faire plus pressant : « Il faut freiner maintenant avant qu’il ne soit trop tard ». Le conducteur rétorque enfin : « Je prends l’engagement de freiner bientôt », mais il sait que les freins ont lâché. Il aurait pu essayer de ralentir le bus contre la paroi après avoir préparé les enfants au choc, mais il pensait que la descente prendrait fin et lui permettrait de ne pas abîmer le bus, ou qu’au pire, il serait sauvé par ses équipements de sécurité.

Les engagements pris lors de la COP21, à Paris, en décembre 2015, ressemblent étrangement à cette scène. La pente qui emporte le bus illustre l’inertie des systèmes climatiques, irréversible à l’échelle d’une génération humaine. Reconnaissez-vous dans la nuit l’inconnue et ses incertitudes, éclairées par les phares de la connaissance, quoique faiblement mais suffisamment pour permettre une évaluation correcte de la situation actuelle et de son proche devenir ? Voyez-vous dans le conducteur, le pouvoir politique et financier, qui tient au-delà du raisonnable à conserver intact le bus - l’économie capitaliste - et qui pense naïvement que son statut privilégié le sauvera du désastre ? Et dans l’accompagnateur, le monde scientifique, alertant inlassablement sur l’imminence du danger et la nécessité d’agir, ou encore dans les enfants, le symbole de la société civile et les générations futures ?

Comment éviter la chute apparemment inéluctable du bus dans le précipice ? En s’engageant à agir, soit, mais le plus tôt possible, puisque repousser la décision ne fait que limiter les possibilités d’action et aggraver les conséquences. Puis, agir, mais différemment et en rupture totale avec le cours des choses : atténuation de la vitesse quand elle est encore raisonnable, adaptation au choc à venir. Enfin et surtout, en imposant ce sauvetage à un conducteur qui, par égoïsme, ignorance ou aveuglement, souhaite épargner l’intégrité du bus à tout prix en refusant d’admettre l’inexorable.

La parabole du bus pourrait prendre fin à cet instant précis si la question environnementale se limitait au climat. Or, à l’instar des routes de montagnes, de nombreuses pentes peuvent nous entraîner vers le précipice : les pollutions terrestres, marines et atmosphériques que l’on laisse s’accumuler ; la santé des populations, qui se détériore sans volonté d’en améliorer les déterminants que sont l’alimentation saine, l’accès aux soins et la réduction de l’exposition aux substances nocives ; l’habitat, le transport ou l’énergie, qui pâtissent de solutions inadaptées aux menaces futures.

La parabole du bus a aussi ses ressorts cachés : l’éducation et l’emploi, que l’on néglige par manque de rentabilité économique de court terme ; les inégalités et les communautarismes culturels, religieux, ethniques ou sociaux, dont les développements favorisent à terme toutes les dérives.

Et si nous décidions, lors de l’ouverture de la séance de signature de l’accord de Paris aux Nations Unies, le 22 avril, Journée de la Terre qui plus est, d’agir rapidement et efficacement plutôt que de préserver le bus jusqu’à sa chute dans le vide ?

Olivier Chanel est directeur de recherche au CNRS, Aix-Marseille School of Economics (AMSE), Greqam, Idep