La prison des Baumettes, à Marseille, le 6 mars 2013, après le lancement d'un programme de rénovation. Le contrôleur général des prisons avait émis plus tôt un rapport décrivant des conditions de détention inhumaines. | ANNE-CHRISTINE POUJOULAT / AFP

Faut-il sacrifier la dignité des détenus pour améliorer la sécurité des prisons ? En défenseur de la fouille intégrale dans les parloirs des prisons – « inutile humiliation » pour ceux qui la subissent –, le ministre de la justice, Jean-Jacques Urvoas, brandit le chiffre de 4 000 agressions de surveillants en 2015.

Le garde des sceaux était l’invité de France Info, mardi 26 avril, pour s’exprimer, entre autres, sur l’amendement au projet de loi sur la lutte contre le terrorisme et le crime organisé, voté au début du mois d’avril par le Sénat.

Cet amendement a pour objet de rétablir la généralisation des fouilles à nu dans les prisons, décriées par les associations pour leur caractère dégradant et pour lesquelles la France a fait l’objet de plusieurs condamnations de la Cour européenne des droits de l’homme.

Ce qu’il a dit :

Interrogé à ce propos (à 11 min 5 s), Jean-Jacques Urvoas a affirmé que « les fouilles à nu n’ont jamais été interdites, elles existent dans la loi », mais « elles étaient individualisées, et donc mal utilisées ».

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Durée : 13:04
Images : France Info

« Je propose c’est une proposition, ce n’est pas encore une décision que nous puissions renforcer la protection des personnels qui sont en détention, en réduisant le risque de faire pénétrer dans les établissements des éléments qui n’ont rien à y faire.
Les fouilles que je propose de modifier étaient permises et autorisées. Simplement, elles étaient individualisées, et donc mal utilisées. Je propose que demain, il puisse y avoir des lieux qui soient fouillés. »

Ces déclarations entrent-elles en contradiction avec la loi pénitentiaire adoptée le 24 novembre 2009, qui bannissait les fouilles à nu généralisées dans les prisons ?

CE QUE DIT LA LOI

Sur le fond, Jean-Jacques Urvoas a raison : la loi pénitentiaire votée il y a sept ans n’a pas interdit les fouilles à nu, mais leur caractère systématique. L’article 57 de cette loi, portée par Rachida Dati et votée lorsque Michèle Alliot-Marie était garde des sceaux, pose le cadre de l’utilisation de la fouille intégrale :

« Les fouilles doivent être justifiées par la présomption d’une infraction ou par les risques que le comportement des personnes détenues fait courir à la sécurité des personnes et au maintien du bon ordre dans l’établissement. Leur nature et leur fréquence sont strictement adaptées à ces nécessités et à la personnalité des personnes détenues. Les fouilles intégrales ne sont possibles que si les fouilles par palpation ou l’utilisation des moyens de détection électronique sont insuffisantes. »

En somme, une fouille à nu ne peut actuellement être décidée que sous trois principes impératifs :

  • la nécessité : les fouilles ne doivent être utilisées que pour prévenir un risque ou en cas de présomption d’une infraction ;
  • la proportionnalité : les fouilles doivent être adaptées à chaque détenu et aux risques qu’il représente ;
  • la subsidiarité : les fouilles à nu ne doivent servir qu’en dernier recours.

Une loi peu suivie

Dans les faits, les établissements pénitentiaires ont mis plusieurs années à appliquer la loi. En 2011, la Cour européenne des droits de l’homme a condamné la France en vertu de l’article 3 de la Convention européenne des droits de l’homme. Cet article stipule que « nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants ».

L’arrêt européen du 20 janvier 2011 résume ainsi les conséquences des fouilles à nu généralisées :

« Des fouilles intégrales systématiques non justifiées et non dictées par des impératifs de sécurité peuvent créer chez le détenu le sentiment d’être victime de mesures arbitraires. Le sentiment d’arbitraire, celui d’infériorité, l’angoisse (…) et celui d’une profonde atteinte à la dignité que provoque l’obligation de se déshabiller devant autrui (…), peuvent caractériser un degré d’humiliation dépassant celui (…) que comporte inévitablement la fouille corporelle des détenus. »

Malgré cette condamnation, plusieurs établissements ont poursuivi ces pratiques, à tel point qu’une circulaire ministérielle, en 2013, demandait aux services pénitentiaires de respecter la loi.

POURQUOI C’EST UN RETOUR EN ARRIÈRE

Ce que souhaite Jean-Jacques Urvoas dans le cadre du projet de loi sur la lutte contre le terrorisme et le crime organisé, c’est donc de revenir sur la loi votée en 2009 et de rétablir le caractère systématique des fouilles à nu dans certains lieux, comme les parloirs, où il arrive que les familles introduisent des objets. Le ministre de la justice a affirmé le 26 avril :

« A l’extérieur de la détention, les familles les plus fragiles subissent des pressions. Des familles refusent d’aller dans les parloirs parce qu’elles craignent la pression qui est mise sur elles. »

L’amendement que le Sénat a voté au début du mois d’avril indique que les fouilles devront être ordonnées « dans des lieux et pour une période de temps déterminés, indépendamment de la personnalité des détenus », s’« il existe des raisons sérieuses de soupçonner l’introduction au sein de l’établissement pénitentiaire d’objets ou de substances interdits ou constituant une menace pour la sécurité des personnes ou des biens. »

De nouvelles condamnations à venir

Reste à définir ce que le texte entend par des « raisons sérieuses ». Selon Serge Slama, maître de conférences en droit public à l’université Paris-X-Nanterre et membre du Centre de recherches et d’études sur les droits fondamentaux, « ces raisons sérieuses de s’inquiéter existent tous les jours. Avec ce texte, la France devrait pouvoir échapper à une censure globale de la Cour européenne des droits de l’homme, mais pas à des condamnations au cas par cas ». C’est aussi l’avis de l’Observatoire international des prisons, qui estime que la France risque « à n’en pas douter » de nouvelles sanctions.

Pour défendre les fouilles intégrales, le ministre s’appuie sur des chiffres de l’année 2015 : soit 4 000 agressions de surveillants et la saisie de 30 000 téléphones portables et de 1 400 armes.

Le 22 octobre 2015, un mouvement de protestation des personnels pénitentiaires manifestait contre leurs conditions de travail, notamment en matière de sécurité. Jean-Jacques Urvoas, à l’époque président de la commission des lois à l’Assemblée nationale, déplorait alors sur son blog les « phénomènes de violence, la persistance de trafic divers et la reconstitution de bandes » dans les prisons.

Les employés de l'administration pénitentiaire défilaient le 22 octobre 2015 à Paris contre « le manque de ressources humaines et matérielles » dans les prisons. | FRANÇOIS GUILLOT / AFP

Pourtant, lorsqu’il était député en 2009, ce même Jean-Jacques Urvoas demandait l’interdiction totale des fouilles corporelles « au nom de la dignité humaine ». Aujourd’hui, le garde des sceaux assure qu’il n’a pas changé d’avis. « J’étais contre les fouilles généralisées, disproportionnées, explique-t-il. Le texte que je propose respecte les jurisprudences de la Cour [européenne des droits de l’homme]. »

Le texte sera examiné le 11 mai par la commission mixte paritaire, composée de députés et de sénateurs.