Panneau de toilettes ouvertes à « tous les genres ». | Flickr - Mapurbanlinguisticlandscape (CC BY 2.0)

Raleigh (Etats-Unis), envoyée spéciale

L’affaire étonne ; par son thème – « les toilettes de Caroline du Nord », comme la désignent les médias américains ; et par la dimension nationale qu’elle a prise aux Etats-Unis. Toutes nationalités confondues, les étudiants de l’université d’Etat de Caroline du Nord, et de l’école de commerce française Skema Business School, qui y a installé un de ses campus, n’en reviennent pas : rarissimes sont ceux qui ont rencontré des personnes transsexuelles dans cet Etat conservateur, agricole, sylvicole et mais aussi technologique du sud-est des Etats-Unis.

C’est pourtant ce sujet qui a agité le campus, ainsi que le reste de l’Etat, depuis que les parlementaires de Raleigh, en majorité républicains, ont voté le 23 mars une loi en trois points : interdiction aux transsexuels nés hommes d’utiliser les toilettes des femmes et vice-versa ; interdiction à tout citoyen de l’Etat d’intenter un procès pour violation des droits humains sur son lieu de travail ; interdiction pour toute municipalité d’adopter des arrêtés ou règlements anti-discrimination !

Des conséquences économiques importantes

En réaction, la liste des boycottages de la Caroline du Nord ne cesse de s’allonger. Les artistes ont les premiers annulé leurs spectacles ou concerts prévus dans l’Etat – Bruce Springsteen, Ringo Starr, Bryan Adams, Pearl Jam, le Cirque du soleil, pour ne citer qu’eux.

Le monde des affaires a embrayé, alors qu’il s’implique rarement dans les sujets de société. L’entreprise Paypal (paiement en ligne) a annoncé qu’elle renonçait à son projet d’investissement – 3,6 millions de dollars, soit 3,1 millions d’euros – et la Deutsche Bank à son plan d’embauches de 250 personnes, tandis que le centre des congrès de Raleigh enregistre annulation sur annulation.

Lire aussi : Contre les lois anti-LGBT aux Etats-Unis, un front d’activistes et d’entreprises

A ce jour, plus de 160 compagnies ont signé une pétition demandant l’abrogation de cette loi baptisée HB2, dont Coca-Cola, Pepsi, Starbucks, Bank of America, Cisco, IBM, Apple, Microsoft, Google Ventures, Airbnb et tous les grands réseaux sociaux. Les Etats de New York et du Connecticut ont même interdit à leur personnel administratif de se rendre en Caroline du Nord, sauf pour les dossiers considérés comme « essentiels ».

« Le prix de cette loi stupide risque d’être exorbitant », redoute Brad Thompson, vice-président adjoint de la branche locale de la banque Wells Fargo, signataire de la pétition. De fait, les répercussions financières sont déjà évaluées à quelque 40 millions de dollars (35,4 millions d’euros)…

Une mobilisation sans relâche

Les établissements du supérieur ne sont pas en reste. Si la présidente de l’université de Caroline du Nord, qui « n’est pas une amie de la communauté lesbienne, gay, bisexuelle et transsexuelle (LGBT) », selon le site Slate, a déclaré qu’elle comptait appliquer la loi, les dirigeants de plusieurs établissements privées ont, pour leur part, condamné le texte, et assuré à leurs étudiants qu’ils ne seraient pas concernés. C’est notamment le cas au Davidson College, l’un de ceux dont les toilettes sont désormais unisexes.

Devant cette escalade, qui a suscité une chute de sa popularité, le gouverneur de Caroline du Nord, le républicain Pat McCrory, s’est engagé, mardi 19 avril, à demander aux parlementaires d’amender la loi. Il a aussi accordé aux employés de son administration une protection contre les discriminations. Las ! Toute la communauté lesbienne, gay, bisexuelle et transsexuelle (LGBT) des Etats-Unis promet une mobilisation sans relâche jusqu’au retrait complet du texte de loi.

Les avocats de LGBT et l’American Civil Liberties Union (ACLU), une des principales organisations de défense des libertés civiques aux Etats-Unis, ont appuyé la plainte pour violations de la Constitution, déposée devant un tribunal fédéral par trois transsexuels de l’université (publique) de Caroline du Nord : le bras droit d’un doyen chargé des affaires académiques, un étudiant et un employé.

L’égalité des droits pour la communauté LGBT « est une norme sociale tout à fait récente au sein de notre nation » (sous-entendu, encore mal acceptée par les plus conservateurs), avait soutenu le gouverneur McCrory sur la chaîne NBC. En lice pour un second mandat aux élections de novembre, il comptait rassurer la frange la plus religieuse de son électorat avec sa loi HB2.

Une loi jugée inapplicable

Le Parlement s’était réuni en session extraordinaire pour voter ce texte, destiné à contrer un règlement municipal adopté en février par la ville de Charlotte – la plus importante de Caroline du Nord – qui interdisait, elle, toute discrimination basée sur « le genre ou l’orientation sexuelle ».

Depuis que la Cour suprême des Etats-Unis a autorisé le mariage homosexuel, en juin 2015, les régions très conservatrices se mobilisent, au sud des Etats-Unis surtout. Selon Human Rights Campaign, association militant pour les personnes LGBT, une centaine de projets de loi sont actuellement en examen dans 29 Etats. Le gouverneur du Mississippi a ainsi ratifié, le 5 avril, un texte autorisant les commerçants à refuser de vendre des services à des personnes (sous-entendu LGBT) qui heurteraient leurs « croyances religieuses profondes ».

La Caroline du Nord est le seul Etat, jusqu’à présent, à avoir légiféré jusque dans les toilettes, en prétextant l’insécurité qui pourrait y régner entre pro et anti transsexuels. De l’avis général, cet article de la loi est jugé inapplicable. « On ne va pas demander dans les toilettes quel sexe une personne avait à sa naissance ! », s’exclament à l’unisson les étudiants de Skema Business School rencontrés à Raleigh.

Dernier épisode en date : la quatrième cour d’appel du travail a fait valoir, mardi 19 avril, que la loi fédérale sur l’éducation protège les étudiants de toute discrimination sexuelle dans les écoles publiques. Les personnes transsexuelles ou transgenres pourront donc y utiliser librement les toilettes.