C'est l'histoire d'un flic devenu l'ami d'un voyou. L'histoire d'un voyou qui n'arrêtait pas d'arroser ce flic. Des séjours au Maroc, en Corse et dans un hôtel-spa de Roanne ; une montre Cartier en or d'une valeur de 30 000 euros, mais aussi d'autres montres de marques comme cette Chopard à 5 000 ou 6 000 euros ; des prêts de voitures de luxe ; enfin un compte bancaire en Suisse, le tout en échange de renseignements puisés dans le fichier des personnes recherchées (FPR). Interrogé à treize reprises lors de sa garde à vue, entre le 29 septembre et le 3 octobre, le commissaire Michel Neyret a reconnu la plupart des faits qui lui valent d'être incarcéré depuis le 3 octobre à la prison de la Santé, à Paris.

Le Monde a eu connaissance des treize procès-verbaux issus de cette audition au cours de laquelle l'ancien numéro deux de la police judiciaire lyonnaise a admis implicitement ses turpitudes. A la question des policiers de l'inspection générale des services (IGS) : "Ne pensez-vous pas que les nombreux cadeaux correspondent à des renseignements communiqués par votre part qui peuvent être qualifiés de faits de corruption passive pour vous ?" Michel Neyret répond : "Il est vrai que cette démarche-là peut être qualifiée de cette manière."

Le commissaire Michel Neyret, mis en examen le 3 octobre par le juge parisien Patrick Gachon pour "trafic de stupéfiant" et "corruption passive", s'était lié avec Gilles Benichou. Ce petit escroc, vaguement indicateur de police - il fut enregistré officiellement comme informateur avant d'être rayé des listes pour "manque de fiabilité" en 2000 - était censé renseigner le numéro deux de la PJ lyonnaise "sur le milieu juif". Les deux hommes se sont rencontrés il y a quelques années. "J'ai fait la connaissance de Gilles par son frère Albert qui est toujours une source du service", a expliqué le policier.

Très vite, Gilles Benichou et Michel Neyret tissent une relation de confiance. Ils se voient "deux à trois fois par semaine" et se téléphonent à peu près tous les jours. "Il nous arrive de partir en vacances ensemble", indique le commissaire. La dernière fois, c'était fin septembre à Essaouira, au Maroc, une semaine avant son arrestation. Michel Neyret accompagne alors Gilles Benichou "à un pèlerinage juif". Le policier, qui ne fait pas mystère des largesses de son "indic", ne s'en offusque guère. Oui, Gilles Benichou lui a offert une montre Cartier en or. "Il me l'a offerte par pure amitié car il s'agit d'un vrai ami", assure-t-il. Un peu plus loin, Michel Neyret insiste : "C'était une amitié qui s'est consolidée."

A tel point que Gilles Benichou le sollicite toujours plus et que la relation entre les deux prend un tour inattendu : ce n'est plus le voyou qui balance au flic, mais l'inverse. Lorsque, fin 2010, Gilles Benichou présente son cousin Stephane Alzraa - un escroc de haut vol - à Michel Neyret, les demandes de renseignements issus des fichiers nationaux ou d'Interpol se font plus fréquentes. Michel Neyret communique à ses amis des informations sur des personnes recherchées "depuis début 2011". Au moins une dizaine de fois et à chaque reprise à propos d'individus proches de Stephane Alzraa. Ainsi, en mars 2011, il exhume la fiche d'Albert Benichou pour savoir "s'il était recherché et sous quelle identité".

Quelque temps après, il consulte celle des frères Chikli, des malfaiteurs connus dans la région de Lyon. "J'ai dû interroger le FPR pour ces personnes à la demande de Gilles (Benichou). Je lui ai remis les documents", précise-t-il aux enquêteurs de l'IGS. Même chose en mai pour Yannick Dacheville, un criminel en fuite. Pour celui-ci, Michel Neyret s'adresse même à un de ses collègues responsable d'un office central de la PJ, lequel ne donne pas suite. De même aux fins de protéger Stéphane Alzraa, condamné à un an d'emprisonnement et à 360 000 euros d'amende pour escroquerie par la cour d'appel de Lyon, Michel Neyret s'enquiert auprès d'un avocat général de ce qu'il adviendrait de son ami, si celui-ci payait son amende.

Entre 2010 et 2011, Michel Neyret ne ménage pas sa peine. En retour, ses amis ne sont pas avares. Le policier et son épouse Nicole sont invités une semaine en avril à l'hôtel Les jardins de la Koutoubia à Marrakech, une autre fois à l'hôtel Le Maquis entre Ajaccio et Propriano (Corse-du-Sud). Michel Neyret se voit également offrir des vêtements - Gilles Benichou en achète pour un montant de 40 000 euros en mars - et, enfin, il reçoit des chèques-cadeaux pour un montant supérieur à 1 000 euros.

Rien n'est trop beau pour "le super-flic". "Je mettais (ces cadeaux) sur le compte de mes relations amicales avec Gilles", assure-t-il. Quant aux sommes que cela représente, il n'y trouve rien à redire : "Ce sont des gens qui évoluent dans un milieu aisé. Ces cadeaux sont importants", mais ils sont "à la mesure de leur niveau de vie".

Michel Neyret nie formellement avoir vendu ces informations. Lorsque les policiers de l'IGS font état d'une somme de 50 000 euros qui lui aurait été destinée sur ordre de Dacheville, il affirme n'être au courant de rien. De même, il assure aux enquêteurs qu'il ne savait pas que Benichou avait vendu 30 000 euros pièce à chacun des frères Chikli les informations les concernant.

A la lecture de ce dossier, il semble que le responsable de la police lyonnaise, qui se promenait les poches pleines d'argent liquide, avait perdu tous ses repères. Ainsi, s'agissant d'un compte bancaire ouvert à Genève en septembre au nom de sa femme, il a cette réflexion : "Gilles Benichou avait l'idée d'ouvrir un compte en Suisse au moment où j'aurais quitté mes fonctions. Ce compte aurait, je pense, fonctionné pour Gilles et moi. Je ne sais pas par qui il aurait été alimenté."