Evolution du couvert foliaire entre 1982 et 2009 (en %). | BOSTON UNIVERSITY / RANGA MYNENI

Hausse des températures, élévation du niveau des mers, acidification des océans ou encore fonte des glaciers : la liste des maux associés à l’augmentation des niveaux de CO2 dans l’atmosphère ne cesse de s’allonger. Pourtant, il existe une autre conséquence moins connue et plus positive du pic actuel de dioxyde de carbone : une Terre plus verte, comptant davantage d’arbres plus feuillus. C’est ce que démontre une étude publiée dans Nature Climate Change, lundi 25 avril, menée par une équipe de 32 scientifiques issus de 24 centres de recherche dans 8 pays du monde.

Pour parvenir à cette conclusion, les chercheurs ont étudié les données de trois satellites, qui ont mesuré la quantité de rayonnement solaire réfléchi par la végétation, jour après jour entre 1982 et 2009. Ils en ont déduit un indice foliaire pour chaque parcelle de la planète, c’est-à-dire la quantité de feuilles par mètre carré de sol.

Un continent vert

Les résultats sont inattendus : les capteurs montrent un verdissement – davantage de feuilles ou d’arbres – de 25 % à 50 % des terres végétalisées du globe depuis une trentaine d’années, essentiellement dans les tropiques et à des latitudes élevées. A l’inverse, seulement 4 % des sols ont perdu en couvert foliaire – dans certaines régions de Mongolie, d’Argentine ou en Alaska. Cette hausse de la végétation représente l’équivalent de l’ajout d’un continent vert de deux fois la taille des Etats-Unis (18 millions de km2). Du fait de cette croissance accélérée, la végétation couvre désormais près d’un tiers (32 %) de la superficie totale de la planète, occupant environ 85 % de toutes les terres libres de glace.

Comment expliquer un tel « boom vert » ? En faisant tourner dix modèles informatiques permettant de simuler le comportement de la végétation, les scientifiques ont déterminé et classé les facteurs jouant un rôle dans cette croissance : pour 9 %, il s’agit de l’augmentation de l’azote dans l’environnement (principalement sous l’effet de la combustion d’énergies fossiles et des engrais agricoles), pour 8 %, du changement climatique (le réchauffement des régions boréales et arctiques a par exemple entraîné des saisons de croissance des plantes plus longues). Mais le principal facteur (70 %) réside dans l’effet fertilisant du CO2.

« Les arbres ont besoin, pour leur croissance, d’eau, de nutriments et de CO2, qu’ils absorbent et stockent grâce au processus de la photosynthèse, rappelle Philippe Ciais, l’un des auteurs de l’étude et chercheur au Laboratoire des sciences du climat et de l’environnement (LSCE). Davantage de CO2 favorise le développement des arbres et des feuilles. » Dans un monde qui atteint des niveaux inégalés de dioxyde de carbone dans l’atmosphère sous l’effet des activités humaines telles que la consommation d’énergies fossiles ou la déforestation, les plantes, les arbres, et même les cultures croissent plus rapidement. Un phénomène à même de changer fondamentalement le système climatique.

« C’est une relation que plusieurs études avaient déjà suggérée, mais c’est la première fois que nous pouvons la confirmer et la généraliser à l’échelle de la planète, ajoute le spécialiste des cycles du carbone. En effet, il est très difficile de passer de l’échelle d’une feuille à celle d’un écosystème global. Si l’on connaît le processus de base de la photosynthèse, de nombreuses questions restaient en suspens : toutes les feuilles répondent-elles de la même manière à la hausse du CO2 ? L’arbre va-t-il développer plus de branches pour supporter plus de feuilles ? Une augmentation de la masse foliaire se traduit-elle par des feuilles plus longues, plus larges ou plus nombreuses ? »

Un bonus déjà pris en compte

De là à conclure que les émissions de gaz à effet de serre sont positives pour la planète, et qu’elles ne doivent donc pas être limitées, il n’y a qu’un pas, que les climatosceptiques n’ont pas hésité à franchir. En réalité, les résultats de cette étude ne peuvent être généralisés sur le long terme. « L’effet positif de la fertilisation diminue au fil du temps en raison d’une saturation des plantes en CO2, prévient Nicolas Viovy, co-auteur de l’étude et chercheur au LSCE. Ce phénomène est par ailleurs inefficace lorsque la concentration en CO2 est trop élevée. »

Surtout, ce verdissement ne signifie en aucun cas que les feuilles nouvelles pourront absorber les rejets excédentaires de gaz à effet de serre et donc éviter d’avoir à les réduire comme le prévoit l’accord sur le climat, signé par 175 pays à New York, vendredi 22 avril. « Une augmentation de l’indice foliaire ne signifie pas que le stockage du carbone atmosphérique est plus important, ajoute Philippe Ciais. Les feuilles, qui tombent chaque année dans la plupart des forêts, ne représentent que 10 % du stockage du carbone par les arbres. L’essentiel du CO2 est en réalité piégé par les bois, les racines et les sols. »

« La végétation permet d’absorber environ 25 % des émissions de CO2 anthropiques [36 milliards de tonnes en 2014], tandis que l’océan stocke la même quantité. Ce qui veut dire que l’autre moitié de nos émissions s’accumule dans le système climatique, calcule Nicolas Viovy. Or, ce phénomène de puits de carbone est déjà pris en compte dans les projections climatiques. Les hausses de la température mondiale que l’on prévoit, + 3 ou + 4 °C d’ici à la fin du siècle, tiennent donc déjà compte de ce bonus que nous offrent la végétation et les océans. »