Un élève participe à la simulation d’un entretien d’embauche avec des chefs d’entreprise membres du Rotary Club local au centre Epide (établissement publics d’insertion de la défense) de Brétigny-sur-Orge, le 17 janvier 2012. Cette institution permet à des jeunes en difficulté, sur la base du volontariat, de recevoir une éducation « d’inspiration militaire ». | THOMAS SAMSON/AFP

Le gouvernement lance, lundi 18 avril, une campagne de sensibilisation intitulée « Les compétences d’abord », pour mettre en lumière les discriminations à l’embauche que pratiquent les entreprises. Le but est de voir si les candidats portant des noms à consonance étrangère sont victimes de discrimination. Le test consiste à envoyer à des entreprises en réponse à une même offre d’emploi deux candidatures en tous points équivalentes – à l’exception du patronyme des postulants.

« Un sentiment d’humiliation »

Emmanuel Macron et Myriam El Khomri, les ministres de l’économie et du travail, avaient annoncé la campagne au début de février dans un entretien au Parisien. L’objectif de cette opération est de « mieux connaître et évaluer quelles sont les discriminations dans notre pays », qui ont « un coût pour les jeunes », mais aussi « pour les entreprises, qui n’améliorent pas leur performance, leur compétitivité, parce qu’elles se privent d’une part de la société française ».

« Ces discriminations ne sont pas la conséquence de politiques de recrutement ouvertement racistes ou sexistes, mais de successions de petites décisions, de préjugés, parfois de petites lâchetés, a déclaré lundi Mme El Khomri, lors du lancement de la campagne. A diplôme égal, il y a deux fois plus de chômage chez les jeunes des quartiers populaires, cela crée un sentiment d’humiliation terrible, cela montre encore les barrages, les frontières qui existent dans notre société. »

« Un jeune diplômé qui se sent discriminé dans ces quartiers, c’est un jeune qui peut devenir une proie », a ajouté Patrick Kanner, ministre de la ville. Cela peut « les amener à dire : La promesse républicaine, ce n’est pas pour nous, et cette déception peut permettre des dérives, y compris vers l’économie parallèle, etc. ».

La ministre du travail souhaite pénaliser les employeurs pris en faute et « n’hésitera pas à publier les noms » des entreprises qui ne feront rien pour améliorer leurs pratiques de recrutement. Cependant, prévient l’Association nationale des directeurs des ressources humaines (ANDRH), « il est pour nous impératif qu’il n’y ait pas de liste noire, comme le gouvernement l’a promis, car le testing est un outil pédagogique avant tout. Si l’on veut faire progresser les organisations, il vaut mieux les accompagner dans une démarche de progrès et non les clouer au pilori ».

Plébiscite des demandeurs d’emploi

Les premiers vrais faux CV seront envoyés dès le mois d’avril par le cabinet ISM Corum, qui a remporté l’appel d’offres du gouvernement. Entre vingt et cinquante entreprises de plus de mille salariés seront testées. Les sociétés en question ne seront pas volontaires, comme c’était prévu, mais désignées sans qu’elles le sachent par le groupe de dialogue sur les discriminations, cheville ouvrière de cette initiative.

La campagne, que le ministère a déjà lancée, durera trois mois. Les entreprises resteront anonymes et les résultats chiffrés devraient être publiés en septembre. Mme El Khomri a précisé que la campagne concerne également la fonction publique. « L’Etat se doit d’être exemplaire », a t-elle ajouté. Des mesures « d’auto-testing » au sein des entreprises doivent également être mises en place afin de les inciter à évaluer « leurs propres pratiques ». Enfin, les entreprises aux pratiques vertueuses se verront remettre un « label diversité ».

Le test de discrimination est une solution plébiscitée par les demandeurs d’emploi : 72 % d’entre eux estiment qu’elle serait efficace pour lutter contre les discriminations à l’embauche, alors que, déjà, l’article L. 1132-1 du code du travail interdit toute distinction entre salariés.

Selon le « 8e baromètre DDD/OIT de perception des discriminations dans l’emploi » – une enquête de l’IFOP –, 85 % des demandeurs d’emploi estiment que les discriminations à l’embauche sont fréquentes et 43 % des victimes de discrimination à l’embauche ont abandonné leur recherche d’emploi. Quatre-vingt-huit pour cent des personnes interrogées citent l’âge (au-delà de 55 ans) comme facteur le plus discriminant, devant le fait d’être enceinte (85 %), d’être handicapé (77 %) ou obèse (75 %).

Une méthode éprouvée

« La jeunesse, on n’a plus de promesses à lui faire, car on a trop promis. On a juste à faire », déclarait M. Macron au Parisien en février lors de l’annonce de l’opération. Mais qu’attendre de plus de ce test que ce qui a déjà été expérimenté ? Les discriminations sont aujourd’hui un fait social établi et reconnu des acteurs politiques, de la société civile et de l’opinion publique, soulignait l’Institut national d’études démographiques (INED) en 2009 dans une étude intitulée « Les discriminations en France : entre perception et expérience ».

En 2007 déjà, une étude menée sous l’égide du Bureau international du travail mandaté par le ministère de l’emploi avait testé 2 500 offres d’emplois dans les secteurs du commerce et de la vente, des hôtels-restaurants, du transport ou du secteur du bâtiment et des travaux public (BTP), pour les hommes ; du commerce et de la vente, de la santé, des services à la personne, des hôtels-restaurants, de l’accueil et du secrétariat pour les femmes.

Les conclusions soulignaient que le processus de discrimination était enregistré avant même que les employeurs ne se soient donné la peine de recevoir les deux candidats testeurs en entretien. Collectivement, les employeurs avaient très nettement discriminé les candidats minoritaires. Il apparaissait que seulement 11 % des employeurs avaient respecté tout au long du processus de recrutement une égalité de traitement entre les deux candidats, en leur proposant un essai ou une embauche, ou en les refusant tous les deux après les avoir rencontrés. En revanche, 70 % des employeurs avaient choisi de favoriser le candidat majoritaire, contre 19 % qui ont favorisé le candidat minoritaire.

Par ailleurs, si la campagne actuelle se focalise sur les discriminations ethniques, d’autres critères de discrimination existent : l’âge, l’apparence physique, les orientations religieuses, politiques, l’orientation sexuelle, etc.

En 2013, l’Institut Montaigne illustrait dans une enquête la discrimination religieuse à l’embauche qui sévit en France, « phénomène répandu mais mal connu en raison d’une absence d’indicateurs permettant une mesure précise de son ampleur ». Les résultats révélaient une forte discrimination à l’égard des juifs et des musulmans. Ces derniers avaient deux fois moins de chances d’être contactés par les recruteurs que les catholiques. Les hommes musulmans étaient particulièrement discriminés : le taux de réponse les concernant était quatre fois plus faible que pour les hommes catholiques.

Le CV anonyme, une mesure jamais appliquée

Pour cette campagne de lutte contre les discriminations, le gouvernement s’est appuyé sur les conclusions du groupe de dialogue sur les discriminations, copiloté par l’ex-ministre du travail François Rebsamen M. Kanner. Présentées en avril 2015, elles avaient sonné le glas du CV anonyme, jugé globalement « inefficace » et « coûteux » et qui a toujours suscité méfiance et polémique en raison des résultats peu convaincants de l’expérimentation officielle du dispositif, en 2010. Contrairement aux attentes, un candidat issu de l’immigration postulant avec un CV anonyme avait près de deux fois moins de chances de décrocher un entretien qu’avec un CV classique.

C’est la loi sur l’égalité des chances, qui, le 31 mars 2006, avait rendu le CV anonyme obligatoire pour toutes les entreprises de plus de 50 salariés. Il n’a cependant jamais été appliqué, faute de décret d’application. Le réseau des Maisons des potes, des associations de quartier, avait fait valoir ce manquement devant le Conseil d’Etat.

« Les conditions de recrutement des entreprises se sont diversifiées et il faut en tenir compte pour ne pas obtenir l’effet inverse à celui voulu », bottait en touche M. Rebsamen pour justifier sa décision d’y mettre fin. Un Français sur trois (34,5 %) se sert des réseaux sociaux pour trouver du travail, selon l’étude Randstad Award 2015. Sans photographie, un CV en ligne est significativement moins consulté par les recruteurs.