Les quelque 6 000 procès-verbaux de l’enquête – dont Le Monde a pris connaissance – permettent de retracer avec une grande précision les préparatifs des terroristes et le déroulement des attentats. Ils permettent notamment de comprendre comment s’est passé exactement l’assaut du Bataclan.

  • 21 h 45 : « Ils sont où les Ricains ? »

Peu après 21 h 45, alors que deux bombes ont déjà explosé au Stade de France et que des dizaines de morts gisent sur les terrasses des 10e et 11e arrondissement de Paris, trois hommes – Samy Amimour, Foued Mohamed-Aggad et Ismaël Mostefaï – descendent d’une Polo et font feu devant la salle de spectacle. Trois personnes meurent aussitôt.

Les rescapés de cette première fusillade se réfugient aussitôt à l’intérieur de la salle, ignorant le cauchemar qui les attend. Deux terroristes se dirigent vers la fosse et tirent à nouveau. Un vigile ouvre une issue de secours pour laisser sortir les spectateurs, mais un troisième homme les attend dehors et mitraille, avant de rejoindre ses deux complices dans la salle.

Dans la fosse, les spectateurs pris au piège se couchent au sol, feignant d’être morts. « Celui qui bouge, je le tue, tu vas voir toi », lance un assaillant en tirant méthodiquement dans la foule : « J’avais dit de ne pas bouger ! » Certains s’amusent avec les otages : « Allez-y, levez-vous, ceux qui veulent partir, partez », lance l’un d’eux. « Bien sûr, tous ceux qui se sont levés se sont fait tirer dessus », raconte un rescapé :

« Les terroristes ont recommencé, et d’autres otages se sont levés. De nouveau, ils ont tiré. Ils s’amusaient, ça les faisait rire. »

Après les premières salves, les assaillants font une pause. « Il est où le chanteur ? Ils sont où les Ricains ?, demandent-ils. C’est un groupe américain, avec les Américains vous bombardez, donc on s’en prend aux Américains et à vous. » Divers propos censés justifier le massacre sont rapportés par des survivants :

« Vous allez voir ce que ça fait les bombardements en Irak, on fait ce que vous faites en Syrie, écoutez les gens crier, c’est ce que les gens vivent en Syrie sous les bombes, vous tuez nos femmes, nos frères et nos enfants, on fait pareil, on est là pour vous, nous on est pas en Syrie mais on agit ici. Vous nous faites ça, on vous fait ça. »
  • 22 heures : le commissaire D. arrive au Bataclan

Les premiers policiers arrivés sur place, vers 22 heures, ont été alertés par radio dix minutes plus tôt qu’une fusillade était en cours au Bataclan. Ils sont deux, un commissaire divisionnaire et un brigadier, membres de la BAC de nuit parisienne, et ne sont pas équipés pour faire face à des armes de guerre. Ils pénètrent dans la salle par l’entrée principale, une simple arme de poing à la main. Leur intervention a mis fin au massacre.

Le commissaire D. raconte ses premiers pas dans la salle :

« Nous constations la présence de plusieurs corps sans vie et percevions distinctement des hurlements entrecoupés de détonations multiples. Dans le sas d’entrée, les portes opaques s’ouvraient soudainement par l’effet de nombreuses personnes se précipitant vers nous en hurlant (…). Vu l’urgence de porter assistance aux personnes restées à l’intérieur, nous pénétrions dans la salle illuminée, des spots de scène étant dirigés vers notre position. Plusieurs centaines de personnes étaient couchées au sol, ne nous permettant pas de déterminer si elles étaient vivantes ou mortes. »
  • 22 h 07 : « Je me suis dit qu’ils étaient vraiment débiles »

A une vingtaine de mètres, sur la gauche de la scène, les deux policiers aperçoivent un des preneurs d’otages. Il s’agit de Samy Amimour. Ils font feu à six reprises. « L’individu porteur du fusil d’assaut poussait un râle avant de tomber au sol et de relever la tête légèrement, poursuit le commissaire. A cet instant, une forte explosion survenait à son niveau, nous laissant penser qu’il avait actionné un engin explosif. » Il est 22 h 07.

La tête et une jambe de Samy Amimour sont projetées sur la scène. Depuis le balcon du premier étage où ils ont pris position, ses deux complices – Ismaël Mostefaï et Foued Mohamed-Aggad – tirent sur les policiers, les contraignant à battre en retraite. Une rescapée qui se trouvait à l’étage se souvient de la réaction des terroristes au moment de la mort de Samy Amimour :

« J’ai reçu un bout de chair dans mes cheveux. Ça les a fait rire. Ils ont dit tiens il s’est fait exploser”. Ça les a fait marrer, et je me suis dit qu’ils étaient vraiment débiles. »

Après l’intervention des policiers de la BAC, Ismaël Mostefaï et Foued Mohamed-Aggad se réfugient dans un couloir en forme de « L », fermé par une porte, emmenant avec eux une dizaine de spectateurs. « Ils discutaient tous les deux à quelques mètres de nous », se souvient une survivante.

« Je crois qu’ils parlaient de nous on va les garder ça va être marrant. Ils avaient l’air contents. Leur visage satisfait m’a marqué. »

Un autre otage se rappelle qu’ils « demandaient aux gens ce qu’ils entendaient derrière la porte. Les gens disaient qu’ils entendaient des gémissements, ça les faisait rire ». Les otages passeront près de deux heures dans ce couloir de 12 mètres avec les terroristes.

  • 00 h 18 : l’assaut de la BRI

A 22 h 15, la première équipe de la BRI arrive sur place et relève les fonctionnaires de la BAC. Les hommes d’élite de la préfecture de police « nettoient » le rez-de-chaussée en contrôlant chaque survivant, dont ils redoutent qu’ils soient « piégés ». Une demi-heure plus tard, le RAID arrive sur place. Les deux colonnes de la BRI montent à l’étage. A chaque porte de toilette ouverte, des dizaines d’otages agglutinés sortent en courant. Certains descendent des faux plafonds où ils s’étaient réfugiés.

Vers 23 h 15, les policiers arrivent devant le couloir au fond duquel sont retranchés les deux terroristes. Derrière la porte, au moins une dizaine d’otages ont été disposés contre les portes et les fenêtres en guise de boucliers humains. Les terroristes font communiquer aux policiers des numéros de téléphone d’otages pour engager des négociations.

Le premier contact est établi à 23 h 27. Une survivante rapporte les revendications des terroristes :

« Je veux que vous enleviez vos armées, je veux un papier, et un papier signé qui le prouve, il est 23 h 32, si dans cinq minutes je n’ai rien, à 23 h 37 je tue un otage et je le balance par la fenêtre. »

Un cinquième contact est établi à 0 h 18 : il s’agit en réalité d’un appel de diversion qui donne le départ de l’assaut. Il va durer cinq minutes.

Protégée derrière un bouclier Ramsès, la colonne de la BRI progresse vers les assaillants, retranchés au fond du couloir derrière le coude du « L ». Les otages sont exfiltrés en rampant au sol. Aucun ne sera tué. Le Ramsès reçoit vingt-sept impacts. Touché mortellement par deux tirs, le premier terroriste, Foued Mohamed-Aggad, déclenche sa ceinture explosive, soufflant son complice, Ismaël Mostefaï, criblé de boulons. La prise d’otages du Bataclan a fait 90 victimes, et plusieurs centaines de blessés. Les trois attaques simultanées qui ont endeuillé la France cette nuit-là ont fait 130 morts.

Lire le récit complet de la préparation et du déroulement des attentats : De Molenbeek à Paris, sur les traces des terroristes du 13 novembre

A lire jeudi, la seconde partie de notre enquête sur les attentats du 13 novembre : la cavale et la traque