Le plus dur, pour ce cycliste accompli : rester debout huit heures durant dans son magasin. | Camille Brossard

Clément Brossault est entré dans la géographie gourmande parisienne comme « le banquier devenu fromager ». Trois ans après l’ouverture de sa boutique du 11arrondissement, il précise avec un petit sourire : « En fait, je travaillais derrière un écran à la Société Générale comme contrôleur de gestion et j’ai profité du plan de licenciement consécutif à l’affaire Kerviel pour prendre le chèque et aller faire autre chose. » Il aimait le fromage, sans plus, mais avait apprécié le documentaire animé par Périco Légasse, « Ces fromages qu’on assassine », diffusé sur France 3 en décembre 2007. Alors, pourquoi pas le camembert après la banque ?

Film documentaire : Ces fromages qu'on assassine
Durée : 01:30

Et le voilà parti du canal Saint-Martin pour un tour de France particulier. A vélo – sa véritable passion –, avec une petite remorque attachée derrière, à la rencontre de ces fromages qui font la réputation de notre pays. Entre juin et août 2012, il pédale à travers la Brie, le Jura, la Suisse, en passant par la Savoie, l’Auvergne et la Bourgogne, avec comme seul guide une liste de producteurs de lait cru. « Parfois, j’allais directement toquer à la porte ; parfois, j’appelais avant et le soir c’était du style J’irai dormir chez vous, l’émission sur France 5 : est-ce que je peux planter ma tente dans votre jardin ? »

Bons et mauvais côtés du travail

Deux mois et 3 288 km plus tard, il rentre à Paris les sacoches pleines d’échantillons et conforté dans son idée d’ouvrir un commerce. Il a visité toute la filière, des alpages à l’affinage, il connaît le processus de fabrication, il ne lui reste plus qu’à apprendre le boulot. « Durant mon voyage, j’avais rencontré Pierre Gay, meilleur ouvrier de France 2011 et fromager à Annecy, qui m’a accepté en stage pour six mois. » L’occasion d’éprouver les bons et les mauvais côtés du travail. « Le plus dur pour moi, qui peux faire 100 kilomètres à vélo sans m’en rendre compte, fut de rester huit heures debout dans le magasin. »

La petite enseigne du 11e arrondissement propose 130 fromages différents. | Camille Brossard

Le jeune homme, longiligne, au profil de grimpeur plus que de sprinteur, a dû s’endurcir pour goûter au meilleur : le contact avec une clientèle curieuse et la défense des petits producteurs. « Nous sommes en effet au bout de la chaîne et il nous revient de valoriser leur travail, dont nous profitons. Sans eux, je n’existerais pas. »

Ils étaient une cinquantaine dans les rayons à l’ouverture, et ils sont cent trente trois ans plus tard, que Clément connaît presque tous personnellement. Il me les a présentés avant d’aller déjeuner au Tannat, un bistrot voisin qui ne recule pas devant la création : bouillon soubressade (charcuterie des Baléares), ratte, navet kabu, ail des ours, bonite crue (11 €) ; pastilla d’agneau confit, boulgour, dattes medjool, jus au curcuma (24 €) ; ananas rôti, gâteau aux pignons, glace lait ribot, coriandre (9 €). L’abondance des produits nuit parfois à la clarté des goûts.

Judicieux conseils

Ce n’est pas le cas du munster au lait cru fermier de la fromagerie Haxaire, à Lapoutroie (Haut-Rhin), qui affine également six mois le bargkass, rappelant le cheddar ou le vieux cantal. Pour le comté – « ma meilleure vente avec une centaine de meules par an » –, Clément fait confiance à la maison Seignemartin, un petit affineur à Nantua (Ain). Persillé de Tignes à base de lait de chèvre et de lait de vache, tome des Bauges et tome crayeuse, chevrotin des Aravis : les références savoyardes sont nombreuses, dont un reblochon remarquable des frères Paccard à Manigod (Haute-Savoie), le fief de la famille Veyrat.

Camembert de Graindorge à Livarot (Calvados), chaource de Lionel Dosne dans l’Aube, mimolette vieillie dans les caves de la citadelle d’Arras (Pas-de-Calais), boulay cendré au lait de chèvre cru produit dans la Sarthe, tome aux orties des Ardennes ne sont que quelques étapes du tour de France fromager de Clément, toujours servies à maturité parfaite. Ajoutez au plateau le fontainebleau caramel au beurre salé tous les vendredis, les jus de fruits et confitures Alain Milliat, les beurres Bordier ou le miel Hédène, il est difficile de résister aux judicieux conseils de ses associés Laurent et Camille, et de ressortir de la Fromagerie Goncourt avec le cabas qui crie famine.

jpgene.cook@gmail.com

Fromagerie Goncourt
, 1 rue Abel-Rabaud, Paris 11e. Tél. : 01-43-57-91-28. Fermé dimanche-lundi.

Restaurant Tannat, 119, avenue Parmentier, Paris 11e. Tél. : 09-53-86-38-61. Fermé samedi-dimanche.