Le Cubain Julio Garcia Espinosa, chef de file du cinéma castriste, est mort à La Havane, mercredi 13 avril, à 89 ans. Influencé par le néoréalisme italien, il avait été un des fondateurs de l’Institut cubain de l’art et de l’industrie cinématographiques (ICAIC), vice-ministre de la culture de Cuba (1982-1990), réalisateur et théoricien du nouveau cinéma latino-américain.

Julio Garcia Espinosa était né à La Havane le 5 septembre 1926. Il avait fait ses études supérieures au Centre expérimental de la cinématographie, à Rome, en même temps que Tomas Gutierrez Alea (1928-1996). Ensemble, ils tournent un petit documentaire, El Mégano (1955), présenté comme « premier essai néoréaliste à Cuba », qui est censuré par la dictature de Fulgencio Batista. Garcia Espinosa militait au Parti socialiste populaire (PSP), l’ancien Parti communiste. Dès 1959, il filme des documentaires de propagande pour vanter les réformes du nouveau gouvernement de Fidel Castro.

Il avait sollicité un scénario à Cesare Zavattini, écrivain italien et pape du néoréalisme, qui deviendra le premier long-métrage produit par l’ICAIC, Cuba Baila (1960), un vaudeville sur les quinze ans d’une demoiselle, événement traditionnel dans l’île. Toujours en collaboration avec Zavattini, Garcia Espinosa enchaîne avec la réalisation de El Joven Rebelde (1961), sur l’apprentissage d’un jeune guérillero de la Sierra Maestra. Sans désavouer sa dette à l’égard du cinéma italien d’après-guerre, il prône l’exploration d’autres voies, à un moment où la modernité s’impose dans diverses cinématographies.

Expérimentation et culture populaire

Admirateur de Brecht, il est tenté à la fois par l’expérimentation et par la culture populaire, dont il est un fin connaisseur. Le récit picaresque Aventuras de Juan Quin Quin (1967) restera longtemps en tête du box-office cubain. Son texte Pour un cinéma imparfait (1969) a valeur de manifeste. Numéro deux de l’ICAIC après Alfredo Guevara (1925-2013), Garcia Espinosa épouse tous les méandres de la politique officielle, y compris la censure des films déviants par rapport aux normes. Il s’occupe tout particulièrement des documentaires et en signe certains en pleine « guerre froide tropicale ».

Toutefois, lorsque Alfredo Guevara tombe en disgrâce, en 1983, Garcia Espinosa prend la présidence de l’ICAIC, et le contre-pied. Alors que le premier prétendait que le cinéma ne s’enseigne pas, le second collabore, en 1983, à la fondation de l’Ecole internationale de cinéma et télévision à San Antonio de los Baños (province de La Havane), qu’il dirigera ensuite (2004-2007).

Garcia Espinosa décentralise les décisions au sein de l’ICAIC, en créant trois groupes de création sous l’orientation de réalisateurs prestigieux : Gutiérrez Alea, Humberto Solas (1941-2008) et Manuel Pérez (le seul des trois appartenant au parti unique). Cette restructuration permet à des jeunes et moins jeunes, qui attendaient depuis de longues années, de passer enfin à la réalisation et d’assurer ainsi la relève, en symbiose avec les nouvelles générations de créateurs.

Œuvres censurées emblématiques

Un film symbolise cette ouverture : Papeles secundarios (Seconds rôles) d’Orlando Rojas, choisi pour inaugurer la rétrospective du cinéma cubain au centre Georges-Pompidou, en 1990. Lorsque Garcia Espinosa apprit que l’ambassadeur de Cuba à Paris était sorti furieux de la projection et qu’en même temps le film avait laissé perplexes les anticastristes, il exultait : « Nous avons réussi ! »

Avec son accord, cette rétrospective embrassait le cinéma cubain depuis ses origines, contrariant ainsi un autre dogme d’Alfredo Guevara, qui le datait de la fondation de l’ICAIC. Plus important encore, Garcia Espinosa autorisait pour la première fois la présentation d’œuvres censurées aussi emblématiques que le court-métrage P. M. (1961), de Saba Cabrera Infante et Orlando Jimenez.

Quelques années plus tard, lors d’un séminaire à la cinémathèque du Luxembourg, il évoquait ses souvenirs de Guillermo Cabrera Infante, l’écrivain exilé à Londres devenu la bête noire du régime castriste. « J’ai bien connu Guillermito, depuis les années 1950, confiait-il. Son problème a toujours été qu’il ne savait pas danser. » Dans les Caraïbes, c’est un symptôme de rigidité. Et d’ajouter, d’un air malicieux : « Tout comme Fidel Castro. »

Parcours

1926 Naissance, le 5 septembre, à La Havane.

1967 Las Aventuras de Juan Quin Quin.

1983-1991 Président de l’ICAIC.

2016 Mort, le 14 avril, à La Havane.