La jambe de Francisco Ventoso après sa blessure sur Paris-Roubaix. | Francisco Ventoso / Facebook

Le tibia gauche de Francisco Ventoso est, depuis dimanche, le plus célèbre du peloton cycliste. L’expérimenté sprinteur espagnol, membre de l’équipe Movistar, s’est fait proprement charcuter le haut du tibia par, dit-il, un frein à disque.

Ces freins très performants, qui ont fait leur apparition sur les vélos de route depuis le début de la décennie, ont la particularité d’être particulièrement tranchants. Introduits progressivement dans les courses professionnelles, ils auraient donc fait sur Paris-Roubaix leur première victime. Qui l’a fait savoir et a – provisoirement – eu leur peau, à défaut de sauver la sienne.

« Les freins à disque sont, dans l’état d’aujourd’hui, des couteaux géants, des machettes lorsqu’on chute contre eux à une certaine vitesse », a écrit Francisco Ventoso sur sa page Facebook, accompagnant sa démonstration de photos peu ragoûtantes de sa jambe en charpie.

« J’ai eu de la chance : ma jambe n’a pas été coupée en deux, j’ai juste perdu un peu de muscle et de la peau. Mais qu’en aurait-il été si le disque avait coupé la jugulaire ou l’artère fémorale ? Je ne préfère pas l’imaginer. »

Inconvénients

Au lendemain de la publication de cette lettre ouverte, largement relayée par les coureurs sur les réseaux sociaux, l’Union cycliste internationale (UCI) a annoncé jeudi dans un communiqué la suspension de l’autorisation des freins à disque dans le peloton. Elle répond à une demande formelle faite par l’Association Internationale des groupes cyclistes professionnels (AIGCP), le groupement des équipes, et est soutenue par le syndicat des coureurs (CPA, Cyclistes professionnels associés). Le CPA affirme demander depuis des mois l’interdiction des freins à disque.

La décision de l’UCI arrive à la fois un peu tard et suffisamment tôt. Les freins à disque auraient en effet pu provoquer des blessures encore plus graves lors de chutes massives, estime une grande partie du peloton. Sur Paris-Roubaix, seules deux équipes, soient 16 coureurs, étaient équipées de freins à disque. Si l’ensemble des équipes les adoptaient, 396 trancheuses se baladeraient dans le peloton sur le Tour de France (22 équipes de 9 neuf coureurs ayant chacun 2 freins), s’alarme Francisco Ventoso.

L’avantage des freins à disque est leur fiabilité, quelle que soit la météo, et leur vitesse de freinage. Les inconvénients sont au nombre de trois : leur dangerosité en cas de chute ; la cohabitation de patins de freins et de freins à disque, aux points de freinage différents, peut provoquer davantage de chutes ; le dépannage neutre est compliqué, puisque les motos de dépannage seraient forcées de trimballer deux types de roues et même davantage, puisque les freins à disque ne sont pas standardisés. De manière générale, le changement de roue prend plus de temps.

L’UCI sous la pression des industriels

Pourtant, les freins à disque ont été intégrés à marche forcée, alors que peu d’équipes étaient intéressées. Selon une source proche de l’UCI, l’organisation faîtière du cyclisme mondial a cédé aux exigences des industriels du cycle.

« Brian Cookson [après son élection en septembre 2013] avait tout intérêt à se mettre les constructeurs dans la poche. Shimano, qui développe des freins à disque, a mis une grosse pression. Or, Shimano est l’un des premiers sponsors de l’UCI. »

Pour les fabricants de vélo, les freins à disque sont une innovation susceptible de soutenir la vente de cycles. La plupart des vélos vendus aujourd’hui au grand public ont leur version avec freins traditionnels ou freins à disque, ces derniers étant toujours un peu plus chers. Le fait que les champions les utilisent est un argument de vente supplémentaire.

Quelques mois après l’élection de Brian Cookson, en 2014, la WFGI, Fédération mondiale de l’industrie du sport, est passée à l’offensive sous l’impulsion de son secrétaire général, le Belge Robbert De Kock. Dès l’été 2015, les freins à disque étaient testés par certaines équipes dans le peloton. Dans un questionnaire soumis aux coureurs après ces expérimentations, il n’était question que de la qualité du freinage, forcément jugée positivement, et pas des questions de sécurité.

Les coureurs globalement contre

Dans l’affaire, les exigences des coureurs se heurtent aux objectifs des industriels. Dans certains contrats liant les fabricants aux équipes, ces dernières sont obligées d’utiliser les innovations autorisées par l’UCI. En pratique, elles se heurtent à l’opposition de leurs coureurs. Ainsi, les équipes utilisant les freins à disque sont en grande minorité.

La réaction des coureurs sur les réseaux sociaux était quasiment unanime après la blessure de Ventoso. « On avait vraiment besoin d’un accident pour décider que c’était une mauvaise idée ? Combien de coureurs voulaient des freins à disque ? Quasiment aucun ! », a écrit l’Australien Rory Sutherland, coéquipier de Ventoso.

« Je pense comme ça depuis le début ! Ça n’aurait jamais dû arriver ! #PrioritéSécurité #pasnécessaire », a renchéri le Canadien Ryder Hesjedal.

Pour le Namibien Dan Craven, la généralisation des freins à disque est inéluctable mais nécessite des protections sur les disques et leur standardisation, afin de faciliter les dépannages.

L’UCI indique qu’elle « va maintenant poursuivre ses vastes consultations à ce sujet dans le cadre de sa commission matériel, au sein de laquelle sont représentés les équipes, les coureurs, les mécaniciens, les fans, les commissaires et l’industrie du cycle – via la Fédération mondiale de l’industrie du sport (WFSGI) –, tout en réaffirmant que la sécurité des coureurs a toujours été et demeurera toujours sa priorité absolue ».

Un point qui n’a pas sauté aux yeux du peloton dans la gestion du passage aux freins à disque.