Si le millésime 2016 est amputé, le danger est de voir les prix continuer à s’orienter à la hausse avec le risque de perdre des clients et des marchés. | JACKY NAEGELEN / Reuters

L’inquiétude est palpable dans le vignoble bourguignon. La nuit du mardi 26 au mercredi 27 avril restera-t-elle dans les mémoires comme une date sombre de gelée blanche ? Depuis ce jour fatidique, chacun tente d’évaluer les dégâts. Pour l’instant, Michel Aubinel, président de la Confédération des appellations et des vignerons de Bourgogne (CAVB), estime que « 8 000 à 9 000 hectares de vigne pourraient être touchés sur les 28 000 que compte le vignoble ». Soit près d’un tiers des surfaces. Toutefois, ajoute-t-il : « Toutes les parcelles ne sont pas affectées de la même manière. Certaines le sont à 5 %, d’autres à 100 %. »

Alors que les gelées de printemps touchaient la Bourgogne depuis quelques jours, les températures négatives généralisées durant cette nuit-là, combinées à un temps clair le matin et à une humidité emmagasinée après les pluies de la veille, ont malmené les vignes. L’ampleur du phénomène a surpris. « Les vignobles de chablis, du grand-auxerrois, de la côte-de-nuits, de la côte-de-beaune et de la côte chalonnaise, sont concernés, ce qui est relativement rare », explique M. Aubinel. De même que la répartition des attaques du gel. Il a frappé des parcelles souvent moins exposées d’ordinaire à ces brusques chutes de température printanière. Il s’est aussi attaqué à des ceps qui n’étaient pas au même stade végétatif. « Le chardonnay, plus précoce, avait déjà trois ou quatre feuilles étalées, quand le pinot noir en était encore à l’état de pointe rouge », explique M. Aubinel.

Evaluer l’impact sur le niveau de production

Même s’il se refuse à tout catastrophisme et attend une évaluation plus précise de la situation, il concède que « le moral est en berne ». Si ses 27 hectares de vigne du Domaine de la Pierre-des-Dames à Prissé (Saône-et-Loire) ont été quasi épargnés par la morsure du gel, M. Aubinel a subi un autre aléa climatique, un violent orage de grêle qui s’est abattu sur une vaste zone du vignoble mâconnais, le 13 avril après-midi. « Entre 20 % et 25 % de mes vignes ont été touchées », estime le vigneron.

Le constat des zones touchées par les aléas météorologiques est une chose. Une autre est d’évaluer l’impact sur le niveau de production. Tout dépendra de la manière dont les ceps de vigne vont réagir à cette attaque. L’espoir repose beaucoup sur la pousse d’un contre-bourgeon pour remplacer celui qui a été détruit. Mais les craintes d’une production atrophiée sont d’autant plus fortes en Bourgogne que ce prestigieux vignoble a déjà connu deux récoltes maigrelettes en 2012 et 2013.

En 2015, le niveau des cuves est revenu quasiment à la normale à la suite d’une vendange de 1,5 million d’hectolitres. Mais le manque de disponibilité dans les caves a fait monter les prix. Si le millésime 2016 est amputé, le danger est de voir les prix continuer à s’orienter à la hausse avec le risque de perdre des clients et des marchés.

Quelques parades : l’usage de « bougies » ou de « chaufferettes »

Toutefois, la Bourgogne n’est pas la seule région viticole française touchée par ces intempéries printanières. Au cœur du Val de Loire, le thermomètre a affiché jusqu’à – 6°C à certains endroits, dans cette fameuse nuit du 26 au 27 avril. Parmi les zones les plus affectées, on peut citer Bourgueil, Montlouis, Saint-Nicolas-de-Bourgueil, Azay-le-Rideau, Noble-Joué et Chinon.

La Champagne a aussi été piquée au vif par le gel. Même la Provence n’a pas été épargnée. La vague de froid a atteint les coteaux varois vendredi 29 avril au matin. Les attaques de gel ont touché des communes comme Saint-Maximin ou Seillons-Source-d’Argens. Tous les vignerons et les appellations concernés vont évaluer plus précisément les dommages. Les discussions avec l’Etat sur les mesures d’aide pour faire face à cette calamité agricole s’ensuivront.

Avec les prévisions météo, les viticulteurs savaient que la période était à risque. Et pour se protéger du gel, certains ont usé de quelques parades. Comme l’usage de « bougies » ou de « chaufferettes » pour réchauffer les ceps. Ou encore des systèmes d’aspersion d’eau : une brume d’eau vient former une coque de glace qui, paradoxalement, va protéger le bourgeon ainsi encapsulé. Mais ces systèmes sont soit coûteux en main-d’œuvre soit onéreux en termes d’investissement. Leur usage est donc limité. De même, des filets antigrêle sont expérimentés. Chacun fait son calcul. Et met dans la balance la rentabilité de l’exploitation, le coût de la protection et la probabilité d’un aléa climatique. Une équation délicate.