Certains l’appellent déjà « tigre africain ». Avec une croissance moyenne de 9 % par an depuis 2012, la Côte d’Ivoire attire les investisseurs. En perte de vitesse comparé à leurs homologues marocains et chinois, les entrepreneurs français et le Mouvement des entreprises de France (Medef) se sont rendus à Abidjan du lundi 25 au jeudi 28 avril pour reconquérir des parts de marché. Une série de rencontres avec les autorités ivoiriennes et une thématique récurrente : les opportunités d’affaires offertes par la Côte d’Ivoire et son libéralisme économique.

Mais sur cette terre de business parmi les plus prometteuses au monde, la population continue de s’appauvrir. Selon la Banque mondiale, depuis 2008, près de 935 500 Ivoiriens ont basculé dans la pauvreté, dépensant moins de 737 francs CFA par jour (1,1 euro). Pour l’économiste Germain Kramo, chercheur au Centre ivoirien de recherches économiques et sociales (Cires), le modèle de croissance ivoirien laisse planer le risque d’une future Côte d’Ivoire à deux vitesses.

Les estimations prédisent une augmentation du PIB aux alentours de 8 % en 2016 et 2017. Pourtant, la population s’appauvrit. Pourquoi ?

La croissance ivoirienne n’est pas assez inclusive. Aujourd’hui, près de la moitié de la population est en situation de pauvreté, c’est quasiment cinq fois plus qu’en 1985. Depuis 2012, la pauvreté baisse d’à peine 0,3 % pour chaque point de croissance gagné. C’est trop faible ! Tant que les fruits de la croissance ne seront pas partagés, les pauvres continueront à rester pauvres.

D’autre part, le taux de chômage est élevé, autour de 25 %. Les projections montrent que 350 000 nouveaux travailleurs vont arriver sur le marché de l’emploi chaque année. A ce rythme, la population active atteindra les 22 millions en 2025. C’est 40 % de plus qu’aujourd’hui.

L’Etat ivoirien a lancé un vaste programme de construction d’infrastructures. Le taux de chômage va donc baisser…

A court terme, oui. Mais ces emplois ne sont pas durables. Lorsque les projets seront terminés, ces travailleurs temporaires vont redevenir chômeurs. La pauvreté ne baissera pas dans ces conditions. Le principal défi de la Côte d’Ivoire est d’assurer un emploi de qualité pour tous.

Comment ?

Il faut créer les conditions pour que le secteur agro-industriel soit plus compétitif, aller vers une transformation plus active des matières premières. Nous ne transformons qu’un tiers de notre cacao. S’il y avait davantage d’unités de production, elles emploieraient des jeunes et permettraient de réduire le chômage durablement.

Ce sont eux les plus touchés, surtout les jeunes diplômés car ils ont tendance à aller chercher un emploi salarié pour pouvoir bénéficier d’une protection sociale. Mais vu le taux de chômage, les secteurs public et privé ne peuvent pas tous les absorber.

Il faut revaloriser le secteur de l’artisanat, y intégrer une protection sociale pour inciter les jeunes à s’insérer dans cette branche. Ce secteur peut vraiment contribuer à la résorption du chômage. C’est là où l’entrepreneuriat est le plus facile.

Ces problèmes structurels amènent à relativiser le miracle économique ivoirien. La croissance de la Côte d’Ivoire n’est-elle pas qu’un effet de rattrapage suite à la crise politique de 2010-2011 ?

Pendant la crise, l’investissement s’est arrêté et la croissance a chuté [-4,4 % en 2011]. Cet énorme écart explique en partie pourquoi la croissance a tant augmenté. Mais il faut dire que le gouvernement fait aussi beaucoup d’efforts pour améliorer l’image du pays et attirer les investisseurs. La volonté politique est là, il faut maintenant la transformer en actions concrètes. C’est la période 2016-2020 qui nous permettra de dire si la croissance ivoirienne est réellement solide.

2020, c’est loin. Face à une pauvreté qui augmente, les Ivoiriens sont-ils disposés à patienter autant pour récolter les fruits de la croissance ?

Le gouvernement s’est fait prendre à son propre piège. Il a beaucoup communiqué sur les taux de croissance élevés du pays. La population s’attendait à pouvoir profiter assez vite des retombées de cette croissance. Aujourd’hui, beaucoup ne comprennent pas pourquoi ils ne les sentent pas.

La cherté de la vie a entraîné plusieurs appels à la grève. La grogne sociale commence-t-elle à monter ?

Il y a eu une forte hausse des dernières factures d’électricité, début avril. Certaines ont plus que doublé. Pour nombre d’Ivoiriens, ça n’est pas justifié. Beaucoup ont appelé à manifester sur les réseaux sociaux. Mais le président Alassane Ouattara a pris les devants. Il essaie de désamorcer la bombe.