L'emblématique Renault TN4 avec sa face en « nez de cochon ». | Collection RATP

Ce bus-là parle d’un temps que les moins de 50 ans ne peuvent pas connaître. Pourtant, on ne présente plus le fameux Renault TN. Sa longue carrière (1931-1971) lui a valu d’apparaître dans un nombre incalculable de films et de documentaires d’époque, sans compter ses apparitions, sous les vivats, lors des journées du patrimoine. Cet imposant véhicule (9,50 mètres), reconnaissable entre tous avec sa face avant dite « nez de cochon », ses énormes roues, sa livrée vert et crème, mais aussi sa fameuse plate-forme arrière, incarne l’autobus parisien par excellence.

Il fallait le voir, dans les années 1960, rempli comme un œuf, s’arracher au redémarrage dans un énorme craquement de boîte de vitesses dans la côte de l’avenue de Clichy, près de La Fourche. Ce gros bahut, dont le machiniste devait avoir des biceps d’athlète pour manipuler l’énorme volant, signalait son intention de déboîter en agitant de charmantes petites flèches rouges lumineuses. Quiconque avait l’audace de se mettre en travers de sa route était instantanément terrassé d’un coup de klaxon gargantuesque.

Apparu en 1931 à la demande de la Société des transports en commun de la région parisienne (STCRP), ancêtre de la RATP, le Renault TN4 sera le bras armé d’un basculement des transports collectifs de surface. Puissant, capable de transporter une cinquantaine de voyageurs (en se serrant bien), il va imposer le règne du bus et définitivement enterrer le tramway qui disparaîtra de la capitale en 1937.

Des voyageurs massés sur la fameuse plate-forme d'un Renault TN4H de la ligne 27, en avril 1946. | Collection RATP

A partir de 1934 le TN6, dont le moteur est un six cylindres de 67 ch, améliore encore les prestations de ce percheron mécanique que l’on attribue en priorité aux lignes caractérisées par de fortes déclivités. « Les TN sont aussi les premiers à disposer de vrais pneumatiques alors que leurs prédécesseurs se contentaient de bandes de roulement. Grâce à eux, le bus devient enfin confortable », souligne Jean-Michel Leblanc, responsable du patrimoine à la RATP.

Du monde au balcon

Legs des transports collectifs hippomobiles, la plate-forme arrière est à la fois l’entrée, la sortie et le balcon du bus parisien. Grâce à lui, les plus hardis descendent et montent en marche. Lorsque le temps est clément, il n’y a pas de lieu d’observation de Paris plus agréable. Sur cette terrasse, réservée aux seules lignes parcourant la capitale intra-muros, le receveur règne en maître. Sur sa poitrine flotte la « moulinette », la petite machine qui oblitère (à l’époque, on ne parlait pas de composter) les tickets des voyageurs en émettant un petit bruit sec.

Lorsque tout le monde est à bord, il actionne avec autorité la chaînette qui déclenche le signal du départ, une clochette au son mat, à l’intention du machiniste. Presque invisible car relégué à l’extérieur, sous la « casquette » formée par l’avancée du toit, il transpire l’été et grelotte l’hiver. Il faudra attendre 1949, date à laquelle les TN furent « vestibulés », pour qu’il ne soit plus exposé aux intempéries.

Au début de la seconde guerre mondiale, presque tous les bus parisiens sont réquisitionnés pour les transports de troupes. Pas plus de 470 seront récupérés après-guerre par les transports parisiens qui, pendant l’Occupation, devront faire fonctionner les bus au gaz voire au charbon de bois. Dotés de moteurs diesel Panhard ou Hispano-Suiza, les indestructibles bus Renault poursuivront vaillamment leur carrière. La version TN4H, en activité de 1936 à 1971, détient toujours le record de longévité de la RATP. La régie parisienne a conservé dans ses ateliers une petite dizaine de ces bus historiques auxquels elle fait régulièrement prendre l’air.

Des bus affectés au retour de prisonniers, déportés et réfugiés, le 20 juin 1945, à l'issue de la seconde guerre mondiale. | Collection RATP