Le micro d'une journaliste de la chaîne de télévision Canal+ lors d'un match de football de Ligue 1, à Caen, en décembre 2015. | CHARLY TRIBALLEAU / AFP

Il y a bel et bien une menace sur le modèle Canal+. En 2015, le groupe de télévision payante, sur lequel repose notamment le financement du cinéma français, a connu une année délicate en France. Le groupe y a enregistré un recul de 405 000 abonnements, finissant l’année avec un portefeuille d’environ 8,5 millions de clients, ce qui lui a valu de subir une perte de 264 millions d’euros, selon les résultats annuels publiés par Vivendi, jeudi 18 février.

Conséquence des appels d’offres perdus sur le sport, comme celui du football anglais remporté par Altice ? « Effet Bolloré » après la reprise en main brutale de la chaîne cryptée par son nouveau président ? Ou plus simplement érosion prévisible d’un modèle d’abonnement onéreux et vieillissant, désormais « ubérisé » par les trublions BeIN Sports ou Netflix ? Quelle qu’en soit la cause, ce déclin est désormais – c’est une première – identifié comme un problème majeur par le groupe Vivendi, qui contrôle Canal+.

Certes, cette perte n’est pas indigeste pour Vivendi dans son ensemble (Canal+, Universal Music Group et Vivendi Village), dont le chiffre d’affaires a crû de 6,7 % en 2015, à 10,76 milliards d’euros, pour un résultat net ajusté de 697 millions d’euros (+ 11,3 %). Le groupe, qui se définit comme un géant mondial du divertissement, est encore assis sur une trésorerie nette de 6,4 milliards d’euros à fin 2015, dont 4 milliards vont être consacrés en dividendes aux actionnaires – parmi lesquels figure en premier lieu Vincent Bolloré.

Canal + va t-elle si mal ?
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Changement de ton

Canal+ seul, avec l’international, reste rentable : son résultat, positif de 454 millions d’euros, diminue (– 22 % sur un an) mais demeure confortable. En 2015, le chiffre d’affaires de Canal+ a progressé de 1,1 %, à 5,5 milliards d’euros, avec un développement hors France métropolitaine (+ 7,2 %) qui fait mieux que compenser la baisse en France (– 2,1 %).

Mais cette baisse de la rentabilité de Canal+ est un souci pour Vivendi, qui a changé de ton. Jusqu’ici, le déclin de l’activité de télévision payante en France était un sujet tabou dans la communication du groupe. C’est désormais l’inverse : Vivendi se dit aujourd’hui déterminé à « arrêter les pertes des chaînes Canal+ en France ». Dans un communiqué publié jeudi, le groupe présidé par M. Bolloré n’a pas hésité à dramatiser l’enjeu : « Cette situation menace l’ensemble du groupe Canal+, qui emploie 8 200 personnes et est un acteur majeur dans le financement et le développement du cinéma français (…) et international, où il investit au total près de 800 millions d’euros par an. »

Le message est clair : « Vivendi n’a pas les moyens de supporter indéfiniment les pertes des chaînes Canal+ en France », affirme le groupe. « Nous ferons ce qu’il faut pour mettre fin à cette situation », a martelé l’encadrement de Vivendi, lors d’une conférence organisée jeudi soir, face à des analystes préoccupés par la tendance en France.

Pression sur le régulateur

Dans ce contexte, Vivendi a confirmé ce que Le Monde annonçait mercredi :
« Canal+ et BeIN Sports ont engagé des discussions afin de nouer un partenariat sous la forme d’un accord de distribution exclusive » qui « porterait sur une durée de cinq ans ». Ce projet d’accord avec le groupe qatari, qui a raflé quantité de droits sportifs au nez et à la barbe de Canal+ depuis 2012, est censé stopper l’hémorragie. La plupart des analystes partagent l’idée qu’il sera bénéfique.

Mais il reste à ce jour conditionnel : « L’accord sera soumis à l’approbation des autorités compétentes, en particulier l’Autorité de la concurrence », rappelle le groupe. Celle-ci pourrait se prononcer dans un délai d’un à deux mois, après un « test de marché ». C’est donc à elle, et plus largement aux autorités publiques françaises, qu’est adressé le « discours de vérité » tenu par Vivendi.

« La situation est critique tant chez Canal+ que chez BeIN Sports », estime une source proche du dossier. Dans ces conditions, espère-t-on au sein de Vivendi, pourquoi le régulateur refuserait-il à la chaîne cryptée un accord qui peut rétablir sa santé et, à travers elle, rassurer les milieux du cinéma et de la production, qui auraient tout à redouter d’un effondrement du modèle Canal+ en France ? « Toute la difficulté pour Vincent Bolloré est d’être tenté de noircir le tableau, pour que les pouvoirs publics et les observateurs voient la situation difficile de Canal+, sans pouvoir aller trop loin non plus, pour ne pas démobiliser les équipes et les marchés », commentait en amont des résultats l’analyste Charles Bedouelle, d’Exane.

Plusieurs niveaux d’abonnement

Dans l’hypothèse d’une autorisation, il faudra que Canal+ gère avec doigté l’intégration de BeIN Sports dans ses offres. Car, au-delà de ce projet d’accord, Vivendi a également annoncé un « plan de transformation » des chaînes Canal+ en France. Celui-ci reposera notamment sur un renoncement au dogme de l’abonnement unique à prix élevé : le groupe entend développer le « segment entrée de marché », autrement dit proposer des offres d’abonnements plurielles, parmi lesquelles « une offre à BeIN Sports seule pour treize euros par mois », selon une source proche du dossier.

C’est à une véritable redéfinition de l’abonnement qu’il faut s’attendre : le groupe entend travailler sur l’« expérience client », veut développer le Web pour intégrer le top 15 français… « Ce plan doit restaurer la perception de valeur de l’offre pour l’abonné, en augmentant les investissements dans des productions originales et des contenus premium », complète Vivendi. L’objectif est de restaurer l’équilibre de Canal+ France en 2018.

Une internationalisation en marche

Si cet objectif n’est pas atteint, Canal+ pourrait miser encore davantage sur l’international, où il recrute des abonnés, en particulier en Afrique. Ses investissements dans les contenus y portent leurs fruits : le groupe compte désormais plus de 2 millions de clients dans trente pays du continent noir, sur un volume global de 11,2 millions d’abonnés, en légère progression. Sa division Vivendi Village prévoit aussi d’ouvrir dix salles de spectacle et de concerts CanalOlympia en Afrique.

De façon plus générale, Vivendi affiche le profil d’un groupe global, avec près de 60 % de son chiffre d’affaires réalisé à l’international, toutes activités confondues. Le groupe n’entend pas s’arrêter là : dans la foulée de son investissement dans Telecom Italia (21,4 %), il « explore des opportunités d’investissement dans plusieurs sociétés de production en Europe du Sud ». Cette information nouvelle illustre sa stratégie de développement de la production propre de contenus, grâce à ses moyens internes et à sa participation de 26,2 % au capital du mastodonte Banijay Zodiak. Une bataille des contenus qui se joue désormais sur un marché global, dont la France n’est qu’une partie.