Dans une école à Fantanele Cojasca, en Roumanie, en novembre 2014. | ©Pierre Terdjman, UNICEF France

Ce sont les plus vulnérables. Les enfants les plus démunis, loin d’être aidés ou protégés, voient leur situation se dégrader. Conditions de vie, santé, éducation, bien-être… les 10 % des enfants les plus pauvres sont de plus en plus laissés pour compte dans les pays riches, selon l’Unicef, le Fonds des Nations unies pour l’enfance. A de rares exceptions près, les progrès en vue de réduire les inégalités entre les enfants sont faibles, relève l’organisation internationale.

Tel est le constat établi par le Bilan Innocenti 13 (13e édition depuis une première sortie en 2000), un rapport rendu public, jeudi 14 avril, établi par le centre de recherche de l’organisation des Nations unies, situé à Florence (Italie), qui présente une vue d’ensemble des inégalités de bien-être entre les enfants de quarante et un pays de l’Union européenne et de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE).

Le point de vue adopté par ce bilan est original car il n’étudie pas les écarts entre les plus pauvres et les plus riches mais s’attache au fossé qui se creuse entre le bas du tableau et la moyenne. « L’approche innovante est de mesurer la situation des enfants en bas de la distribution alors que d’habitude, les organismes et instituts travaillent sur une moyenne générale et l’évolution de celle-ci », avance Sébastien Lyon, directeur général d’Unicef France, qui organise une conférence à l’occasion du lancement mondial du Bilan Innocenti 13, jeudi matin à Paris.

Entendre les voix des enfants

Autre spécificité de ce rapport, les points de vue des enfants eux-mêmes sont pris en compte, en particulier sur les questions de santé et de bien-être. « Les voix des enfants doivent être davantage entendues par les responsables politiques, car les données relatives à la satisfaction dans la vie montrent que de fortes inégalités sociales affectent clairement le bien-être subjectif des enfants », explique l’Unicef.

Enfin, le Bilan Innocenti s’attache à étudier les écarts, et leur évolution, au sein d’un même pays, car comparer la situation aux Etats-Unis, en Bulgarie, en France ou en Australie ne s’avère pas pertinent, chaque pays ayant sa propre méthode de mesure des performances.

Mais, quel que soit le pays, le bilan est alarmant. « Ce rapport, qui étudie la queue du peloton, montre que les inégalités s’accroissent et que la France est particulièrement mal placée, que ce pays est parmi les plus inégalitaires, la situation est vraiment en train de déraper », constate Olivier Thévenon, économiste à la division des politiques sociales, à l’OCDE.

Les besoins réels pas assez pris en compte en France

Sur l’ensemble des pays étudiés, la France arrive en 28e position, devant la Belgique, le Luxembourg, la Slovaquie, l’Italie, la Bulgarie, la Turquie et Israël. Une mauvaise place qui s’explique par une situation très inégalitaire prévalant dans les domaines de l’éducation, de la santé ou encore de la « satisfaction dans la vie ». Pour M. Thévenon, ce mauvais résultat de la France, qui dispose pourtant d’un système social assez complet justifiant une bonne place au chapitre des revenus, s’expliquerait par une politique systématiquement égalitaire. « La politique de non-différenciation, à l’œuvre notamment en France, où les aides et les financements profitent à l’ensemble du système, tire l’ensemble du peloton mais ne prend pas en compte les besoins réels et les différents parcours », explique encore M. Thévenon.

« Nous voulons porter un message global d’équité mais nous recommandons aux gouvernements de cibler les enfants les plus défavorisés, déclare Sébastien Lyon, directeur général de l’Unicef-France. Nous voulons aussi les alerter sur les conséquences très négatives des politiques d’austérité et de rigueur à l’œuvre dans nombre de pays. »

Au chapitre « revenus », le bilan indique que les pays scandinaves affichent les écarts les moins importants (à l’exception de la Suède). Dans la moitié des pays étudiés, un enfant appartenant aux 10 % de foyers les plus démunis dispose de moins de la moitié du revenu disponible dans la famille d’un enfant de la médiane. Cet écart dépasse même les 60 % dans l’ensemble des pays du sud de l’Europe, ainsi qu’en Israël, au Japon et au Mexique.

Collégiens à Fantanele Cojasca, en Roumanie, en novembre 2014. | ©Pierre Terdjman, UNICEF France

Les filles laissées-pour-compte

Les disparités de revenus se conjuguent la plupart du temps avec une situation inégalitaire rencontrée dans les domaines de l’éducation et de la santé. Dans ce dernier, si l’ensemble des foyers les plus défavorisés présentent un cadre de santé plus précaire pour les enfants – activité physique, habitudes alimentaires… –, la situation est encore plus préoccupante pour les jeunes filles. « Dans 34 pays examinés, les probabilités pour que les filles soient laissées-pour-compte en termes de santé sont nettement plus élevées », écrivent les auteurs du rapport. Et ces problèmes de santé, à l’adolescence, sont susceptibles de se poursuivre à l’âge adulte.

En matière de « satisfaction dans la vie », l’Unicef s’est appuyé sur les déclarations des enfants eux-mêmes. Notant de 0, « la pire vie possible », à 10, la meilleure, les enfants de la tranche « moyenne » ont estimé à 8 leur niveau de satisfaction. Loin derrière, les enfants « en bas de la distribution » dévaluent cette note de 2 à 3,5 points. Et là encore, comme dans le domaine de la santé, les disparités entre sexes sont notables. L’écart entre filles et garçons se creuse à l’âge de 15 ans et, à cet âge, les plus fortes disparités sont observées en France et en Pologne. « L’adolescence peut être une période de grande transition, où les jeunes vivent de nouvelles expériences et prennent des risques. Analyser dans quelle mesure un faible niveau de satisfaction peut coïncider avec des comportements à risque ou des troubles du comportement justifie de manière évidente la nécessité de remédier aux inégalités », insiste l’agence des Nations unies.

Contrairement aux années 1980, explique l’Unicef, ce sont désormais les jeunes, et non plus les personnes âgées, qui risquent le plus de tomber dans la pauvreté. « Les inégalités sociales entre les adultes peuvent être justifiables si elles découlent d’une concurrence loyale et surviennent dans un contexte d’égalité des chances, conclue Sébastien Lyon. Mais les enfants subissent les conditions sociales et économiques, ils n’en sont pas responsables. Aucune raison ne peut être invoquée pour justifier des inégalités qui pénalisent les plus démunis. »