A Cayenne, en Guyane, un membre des équipes de démoustication détruit des larves lors d'une opération contre le virus Zika, le 19 février 2016. | JODY AMIET / AFP

La vérité vient du moustique. Afin de mieux comprendre les proportions inédites prises par l’épidémie en cours dans la région Amérique latine et Caraïbes (touchant au total 52 pays et territoires), une équipe franco-brésilienne dirigée par l’entomologiste Anna-Bella Failloux (directrice de l’unité arbovirus et insectes vectoriels à l’Institut Pasteur, à Paris) a étudié les populations de moustiques vecteurs de l’infection par la souche asiatique du virus Zika, celle en cause.

Publié jeudi 3 mars dans la revue en ligne PLoS Neglected Tropical Diseases, leur travail met en évidence la faible efficacité des deux espèces en cause pour transmettre à l’homme ce virus, comparé à ce qu’elle est pour celui du Chikungunya. L’ampleur de l’épidémie actuelle, détectée en mai 2015 au Brésil, serait attribuable à la grande taille de la population n’ayant aucune immunité contre le virus Zika et très exposée aux piqûres des moustiques vivant dans leur proche environnement.

Epidémie Zika : ce que l’on sait du virus
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« Le virus Zika n’avait jamais circulé en Amérique latine et aux Caraïbes et nous n’avions aucune idée de la compétence des moustiques Aedes aegypti et Aedes albopictus à y jouer le rôle de vecteur », explique Anna-Bella Failloux. Etaient-ils de très bons vecteurs, transmettant facilement l’infection, ou au contraire de piètres intermédiaires ? Pour le savoir, les chercheurs se sont appuyés sur le Réseau international des Instituts Pasteur et sur l’Institut Oswaldo Cruz, au Brésil. Ils ont recueilli en Guadeloupe, en Guyane française, à la Martinique, au Brésil et aux Etats-Unis des échantillons de sept populations de moustiques appartenant aux deux espèces, qui ont été rapportés au laboratoire P3 parisien de l’Institut Pasteur.

« Nous avons élevé des moustiques femelles et les avons infectées par voie orale lorsqu’elles ont eu 7 jours avec la souche asiatique du virus Zika, isolée en 2014 chez un patient en Nouvelle-Calédonie, raconte Anna-Bella Faouilloux. Leur capacité vectorielle a été étudiée au cours de trois étapes : l’infection du moustique au cours d’un repas de sang contenant le virus, la dissémination du virus dans son organisme après avoir franchi la barrière de l’estomac, et la transmission du virus à partir des glandes salivaires lors d’une piqûre. »

« 14 jours après un repas de sang »

Dans l’étude, le taux d’infection était défini comme la proportion de moustiques ayant du virus dans le thorax et l’abdomen parmi ceux testés. Le taux de dissémination de l’infection correspondait à la proportion de moustiques infectés dans la tête desquels on retrouvait également le virus. Enfin, le taux de transmission se référait au nombre de moustiques ayant du virus dans leur salive parmi ceux ayant une infection disséminée.

Principaux vecteurs dans l’épidémie en Amérique latine et aux Caraïbes, les moustiques Aedes aegypti vivent très près de l’homme, tandis que les Aedes albopictus sont plus polyvalents, présents également en forêt, piquant les animaux et s’adaptant à l’homme. Les deux espèces, qui coexistent à Rio de Janeiro et en Floride, se sont montrées facilement infectables, mais moins promptes à la dissémination du virus et dotées de taux de transmission par piqûre bas. « Ce n’est que 14 jours après un repas de sang que la transmission du virus est possible, un temps nettement plus long que dans le cas du virus du Chikungunya, où le délai n’est que de deux ou trois jours », indique Anna-Bella Failloux.

Donc, sachant qu’un moustique vit entre deux semaines et deux mois, et qu’une fois infecté il le demeure à vie, une femelle Ae. aegypti ou Ae. albopictus infectera plus d’humains au cours de sa vie avec le virus du Chikungunya qu’avec le virus Zika. La co-infection des moustiques par les virus de la dengue, du Chikungunya et Zika et la co-transmission aux humains sont possibles.

« Destruction ciblée très efficace »

Comment expliquer la rapidité et les proportions prises par l’actuelle épidémie de maladie à virus Zika en Amérique centrale et du Sud, et dans les Caraïbes (Cuba a annoncé à son tour son premier cas le 2 mars) ? Les auteurs de l’article en énumèrent les raisons : la mondialisation du commerce et des voyages, bien sûr, mais aussi la capacité des deux espèces à disséminer puis à transmettre la souche asiatique du virus Zika. Or, l’étude conclut que toutes deux « n’apparaissent pas être des vecteurs très efficaces pour ce virus ».

« Cette faible compétence vectorielle est contrebalancée par la présence d’une population humaine importante, sans immunité vis-à-vis du virus Zika faute d’y avoir précédemment été exposée, vivant au contact de grosses populations de moustiques », précise Anna-Bella Faouilloux. Pour l’entomologiste, la découverte qu’il faut quatorze jours pour qu’une femelle Ae. aegypti ou Ae. albopictus puisse infecter un humain, est une constation qui a d’importantes implications pour la lutte antivectorielle : « Cela signifie que dans le cas de l’infection par le virus Zika, la destruction ciblée des moustiques là où des cas apparaissent peut être très efficace pour empêcher la propagation de l’épidémie. »

Les signes cliniques apparaissent chez l’homme quelques jours après l’infection, et les moustiques qui piqueraient un sujet infecté ne seraient pas aptes à transmettre le virus avant deux semaines. « Néanmoins, la désinsectisation est un métier. Elle ne consiste pas simplement à mettre un peu d’insecticide dans les pots de fleurs. Ae. aegypti pond dans de petits gîtes larvaires qu’il faut soigneusement repérer, nettoyer et traiter avec le bon insecticide », met en garde Anna-Bella Faouilloux.