COLCANOPA

Ce texte n’aurait probablement pas connu la publicité actuelle sans le scandale planétaire soulevé par les « Panama papers ». Le Parlement européen s’apprête à valider définitivement un projet de directive sur le secret des affaires. Ce texte avait déjà reçu le feu vert du Conseil européen (les 28 pays membres) ; il sera débattu en séance plénière à Strasbourg, mercredi 13 avril, et très probablement voté dans la foulée à une large majorité jeudi. Les conservateurs et les sociaux-démocrates, majoritaires dans l’hémicycle, sont pour.

Initié fin 2013 par le commissaire français Michel Barnier, du temps de la commission Barroso, ce texte vise à mieux protéger les entreprises européennes réputées vulnérables face à l’espionnage économique et industriel, surtout les PME. Il existe notamment des savoir-faire industriels impossibles à breveter, donc non protégés par le droit de la propriété intellectuelle, mais qui ont pourtant une valeur économique. Un grand nombre de pays européens, à commencer par la France, ne disposent pas d’une telle armure anti-tricheurs. Au contraire des Etats-Unis, de la Chine ou du Japon.

La directive donne une définition européenne du secret des affaires : sont considérées comme secrètes, selon l’article 2, des informations qui « ne sont pas généralement connues de personnes appartenant aux milieux qui s’occupent normalement du genre d’informations en question ». Le texte vise aussi à garantir qu’en cas de vol, d’acquisition ou d’utilisation illégale des informations confidentielles, la victime pourra défendre ses droits devant les juridictions civiles de la même façon partout en Europe.

Au Parti populaire européen, qui a beaucoup porté le texte (sa rapporteuse, Constance Le Grip, est élue Les Républicains), on souligne qu’il est nécessaire pour contrer les violations de secrets des affaires, qui seraient en constante augmentation : en 2013, une entreprise européenne sur quatre a fait état d’au moins un cas de vol d’informations (contre 18 % en 2012).

Les conservateurs citent le fameux exemple de Michelin qui, en 2005, s’était fait voler un prototype de pneu lors d’un rallye au Japon. Ou celui de cette stagiaire chinoise chez l’équipementier automobile Valeo, qui avait copié sur son disque dur des documents confidentiels. Elle avait été condamnée à un an de prison dont dix mois avec sursis pour abus de confiance par le tribunal de grande instance de Versailles en décembre 2007.

Mais quid des journalistes et des lanceurs d’alerte ? Ce texte ne va t-il pas, logiquement, rendre plus ardu le travail des premiers, et plus vulnérable la situation des seconds ? « Non, assure Mme Le Grip, nous avons beaucoup retravaillé le texte issu du Conseil au Parlement pour que rien ne puisse contrarier l’exercice des médias. »

L’article 5 comporte en effet des dérogations, concernant « l’exercice du droit à la liberté d’expression et d’information établi par la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, y compris le respect de la liberté et du pluralisme des médias ». Ne pourront, théoriquement, être dénoncées des divulgations de secrets d’affaires, « si le défendeur a agi pour protéger l’intérêt public général ».

Les eurodéputés Verts, très en pointe dans le combat pour la transparence, sont montés au créneau ces derniers jours. Ils ont demandé en vain la réécriture du texte, ou du moins le report de son vote. Deux semaines à peine avant l’ouverture à Luxembourg du procès d’Antoine Deltour, lanceur d’alerte dans le scandale Luxleaks, les élus mettent en garde sur une définition trop large du secret d’affaires, et sur l’absence d’une protection spécifique pour ces vigies citoyennes.

Directive spécifique

« Si les journalistes ne peuvent être condamnés pour avoir fait leur travail, alors il faudrait que cela soit expressément écrit dans le texte, or cela ne l’est pas, souligne l’eurodéputé écologiste français Pascal Durand. En France, cela ira peut-être, mais pensez aux médias en Hongrie, en Pologne. » Comme les collègues de sa famille politique, il déplore l’influence, jugée trop grande, des lobbies des affaires, particulièrement du réseau Business Europe, qui fédère les organisations patronales européennes à Bruxelles.

Les Verts n’ayant aucune chance d’obtenir gain de cause, ils ont choisi de ferrailler sur un terrain connexe : ils réclament une directive spécifique, afin de définir un statut juridique et une vraie protection des lanceurs d’alerte, au niveau européen, sur le mode de ce que propose la France dans la loi Sapin II. Ils espèrent, « Panama papers » aidant, rallier d’autres groupes politiques, afin d’amener la commission à agir, elle seule ayant le pouvoir d’initiative en matière législative.