Des chercheurs en informatique font le lien entre un nouveau programme espion et une famille d’autres logiciels, tous soupçonnés d’avoir été développés par la France. | Le Monde.fr

Identifier le contenu d’une image pour 0,01 dollar, répondre à trois questions pour 0,03 dollar, retranscrire le dialogue d’une vidéo pour 0,17 dollar… Autant de « microjobs » qu’il est possible d’effectuer sur la plate-forme Mechanical Turk. Lancée en 2005 par le site de commerce en ligne Amazon et comptant déjà près de 500 000 inscrits, cette plate-forme controversée a, depuis, fait des petits en France et à l’étranger.

Taskrabbit, Upwork, Foulefactory, 5euros.com… Sur toutes ces plateformes, des clients peuvent commander à des prestataires plus ou moins amateurs des tâches généralement modiques, contre une rémunération tout aussi modique. Du free-lance « low cost » sur le modèle Uber, en somme, sauf que les clients sont rarement des particuliers. Des entreprises, les start-up notamment, y ont recours pour trouver des prestataires à moindre coût.

Confrontés à la précarité et au chômage de masse, les jeunes Français s’y mettent aussi. L’avantage ? Pas de CV, pas d’entretien d’embauche, une connexion Internet suffit.

C’est ce qui a incité Chloé Dauplais, 26 ans, à débuter sa carrière de traductrice sur ces plates-formes : « Je n’ai aucun diplôme au-dessus du bac, explique-t-elle. Pour me faire une expérience dans la traduction, j’ai commencé sur des plates-formes de bénévolat. » Forte de ces premiers essais, Chloé finit par se mettre à son compte en 2014, en prospectant sur les sites de microtravail : « J’ai testé plusieurs plates-formes et j’ai fini par choisir Elance, l’une des plus professionnalisées. »

Concurrence de travailleurs indiens ou pakistanais

Sur cette plate-forme, Chloé est en concurrence avec des travailleurs indiens ou pakistanais. Certains prestataires proposent des tarifs très bas pour se démarquer : jusqu’à 0,01 cent le mot pour les traducteurs, soit 10 fois moins que le tarif moyen pratiqué en France. « J’ai aussi commencé très bas, mais comme j’avais de bonnes retombées clients, après trois mois j’ai pu augmenter mes tarifs », poursuit la jeune femme.

Chloé s’en sort plutôt bien : en 2015, elle déclare avoir touché entre 1 600 et 3 000 euros par mois, pour une durée de travail allant jusqu’à 50 heures par semaine. Sous statut d’autoentrepreneur, la jeune femme ne cotise à aucune mutuelle et ne possède pas d’assurance-chômage. « Ces plates-formes sont controversées car on y met en concurrence des gens du monde entier, constate Chloé. Mais on trouve aussi des clients qui cherchent la qualité et sont prêts à mettre le prix. »

Comme Chloé, de jeunes diplômés français se mettent sur ces plates-formes. Pour démarrer une activité, mais aussi pour se faire un peu d’argent. « Je me suis inscrite au début sur 5euros.com pour commander des dessins pour mes proches, explique une utilisatrice de la plate-forme, diplômée en droit et en journalisme, qui préfère rester anonyme. Ensuite je me suis dit que j’allais aussi proposer des services de blogging pour me faire un peu de sous. »

Cette activité lui a rapporté jusqu’ici environ 600 euros, un budget en plus pour ses vacances. « Pour une commande de base à 5 euros, cela me prend 15 à 20 minutes, mais si mes clients prennent beaucoup d’options, ça peut prendre deux heures », explique-t-elle.

Une centaine de plates-formes dans le monde

Selon une étude de la Banque mondiale de 2013, il y aurait plus d’une centaine de plates-formes de microtravail dans le monde, comptabilisant autour d’un million d’inscrits. En France, impossible de savoir combien d’utilisateurs sont sur ces plates-formes, ni quels revenus ils en tirent. D’autant qu’entre travail et loisirs, les contours du microtravail sont flous.

Chloé a aussi expérimenté des plates-formes qui proposent de gagner de l’argent ou des bons d’achat en répondant à des sondages en ligne, comme Mysurvey.com. En cinq ans, la jeune fille y a gagné une cinquantaine d’euros, après y avoir passé « pas mal de temps », reconnaît-elle.

Les plates-formes de microtravail réclament rarement à leurs utilisateurs d’avoir un statut, autoentrepreneur ou autre. Plus ou moins professionnalisées, elles se présentent généralement comme une manière de se faire un complément de revenus.

En pratique, beaucoup de gens tentent d’en vivre. Une étude de l’European Cooperation in Science and Technology (COST) menée en 2013 s’est intéressée au profil des microtravailleurs américains : un mix de travailleurs précaires, de femmes au foyer et de salariés qui veulent se faire un peu plus d’argent.

Droits sociaux inexistants

La majorité sont diplômés. Pour 55 % d’entre eux, le recours à ces plates-formes est plus subi que choisi, faute de trouver un job suffisamment rémunéré.

Comment réglementer l’ubérisation du travail, lorsque celle-ci n’a plus de frontières ? Fin 2014, une poignée de « turkers » ont fait campagne pour qu’un tarif minimum soit fixé sur Mechanical Turk, sans résultat.

En France, le projet de loi de la ministre du travail, Myriam El Khomri, prévoyait au départ de reconnaître des droits limités (à la grève, à la formation et de se syndiquer) aux travailleurs exerçant sur certaines plates-formes, de type Uber. Mais cette disposition a disparu du projet de loi définitif.

Dans tous les cas, pas question de reconnaître l’existence d’une quelconque forme de contrat de travail entre les travailleurs de ces plates-formes et leurs employeurs – et donc des droits sociaux pouvant s’y rattacher. Le retour au travail à la tâche du XVIIIe siècle, dans sa version mondialisée, sera-t-il l’avenir ?

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