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Quatre mois et demi après l’entrée en vigueur de la mesure généralisant la mutuelle dans les sociétés, le bilan est en demi-teinte. Les chefs d’entreprise, qui l’ont vécu comme une contrainte, s’y sont pris au dernier moment, entraînant un embouteillage chez les assureurs. Beaucoup d’ailleurs continuent à l’heure actuelle de s’équiper, en particulier les plus petites structures, souvent mal informées.

Pour mémoire, depuis le 1er janvier 2016 et la mise en œuvre de l’accord national interprofessionnel (ANI) sur la compétitivité et la sécurisation de l’emploi du 11 janvier 2013, les employeurs doivent proposer à leurs salariés une couverture santé et prendre en charge la moitié de la cotisation. Une bonne nouvelle, donc, pour les plus de 4 millions de personnes concernées, principalement dans les toutes petites entreprises (TPE) et dans certaines branches professionnelles qui n’imposaient pas cet avantage social.

A ce détail près que les garanties minimales de cette mutuelle sont très limitées, d’où la crainte pour les salariés de se retrouver finalement avec une couverture au rabais. Le pire n’est jamais sûr. Les PME ne se sont pas toutes contentées de souscrire au contrat de base. Selon les assureurs, que nous avons interrogés, la moitié des entreprises ont souscrit à des offres plus protectrices pour leurs employés.

Nombreux accords de branche

Comment expliquer une telle « générosité » ? En raison des nombreux accords de branche signés au cours des derniers mois de 2015, les partenaires sociaux ayant négocié des garanties plus élevées et surtout adapté les contrats aux corps de métiers qu’ils représentent. En fait, « les TPE ont souscrit majoritairement le socle de base, afin que cela ne pèse pas trop sur leurs marges, mais dès qu’il y a une représentation sociale, les niveaux de garantie sont plus élevés », résume Frédéric Rousseau, directeur au groupe Humanis.

« La profession ne s’attendait pas à ce qu’il y ait autant d’accords de branche. Les contrats négociés dans ce cadre sont intéressants en termes de garanties pour les entreprises et leurs salariés, tout en limitant leur coût. Ils assurent une meilleure mutualisation et favorisent l’accès à des services complémentaires, notamment en termes de prévention, explique Christophe Scherrer, directeur général adjoint de Malakoff Médéric. Sur l’ensemble de nos entreprises clientes, moins de 20 % ont choisi le panier de soin minimal. »

Un constat partagé par les autres acteurs du secteur. « C’est une vraie surprise, cela prouve non seulement que le dialogue social fonctionne, mais également que les salariés vont bénéficier de couvertures supérieures au socle de base », abonde Pierre Guillocheau, directeur des assurances collectives au Crédit agricole Assurances.

A l’arrivée, le produit sélectionné est bien plus cher que le contrat minimal imposé par la loi, d’autant que des compagnies ont fait un véritable dumping en cassant les prix. Certains contrats de base sont facturés à moins de 15 euros par mois, lorsque le point d’équilibre est plutôt autour de 24 euros. Mais finalement les employeurs s’y retrouveraient. Pourquoi ? « En moyenne, nos contrats améliorés sont facturés entre 35 et 40 euros. A ce niveau, nous avons calculé que le salarié économise 20 euros par mois par rapport à sa mutuelle précédente. Soit 240 euros sur l’année. Le chef d’entreprise permet donc de redistribuer un peu de pouvoir d’achat à ses salariés sans avoir à les augmenter, ce qui lui coûterait bien plus cher en intégrant les charges sociales », explique Philippe Dabat, directeur général délégué chez AG2R La Mondiale.

Gare aux dépassements d’honoraires

Tous les employeurs n’ont toutefois pas fait ce calcul. Que doivent alors faire les salariés dont l’entreprise s’est contentée du contrat minimal ? Déjà analyser l’étendue de cette couverture, qui offre malgré tout une protection non négligeable puisqu’elle couvre les risques les plus lourds. Le ticket modérateur (différence entre le tarif de convention de la Sécurité sociale et son remboursement effectif) est ainsi systématiquement pris en charge chez les médecins, spécialistes et laboratoires ou centres d’examens. Le risque d’hospitalisation – le plus important financièrement de tous les risques de santé – est lui aussi couvert avec cette garantie de base, puisqu’elle prend au minimum à sa charge le ticket modérateur et le forfait hospitalier. En revanche, en matière d’optique ou de prothèses dentaires, la formule est chiche : la majeure partie des dépenses reste à la charge du salarié. Pour une couronne dentaire à 600 euros, le salarié risque donc d’avoir à débourser plus de 400 euros de sa poche. Idem en cas de consultation d’un professionnel pratiquant des dépassements d’honoraires, ces derniers n’étant pas pris en compte par le contrat de base. Enfin, ce contrat couvre uniquement le salarié : ni les enfants ni le conjoint ne peuvent y prétendre.

Bien conscients de ces faiblesses pour des dépenses parfois qualifiées de « confort », ou de « consommation » – même si les soins dentaires ont un impact sur la santé générale –, les assureurs proposent aux salariés des garanties supplémentaires, ou qui permettent de couvrir d’autres membres de la famille.

Mais ici, gare aux prix. Non seulement ces options sont payées en totalité par le salarié (contrairement au contrat de base qui est financé à moitié par l’employeur), mais certains assureurs ayant cassé le prix de la complémentaire souscrite par l’entreprise pour gagner des parts de marché risquent de se rattraper sur ces « surcomplémentaires ». « La moitié des entreprises ayant souscrit un contrat de base ont adhéré à ces compléments, explique Patricia Delaux, directrice des assurances collectives chez Axa Entreprises. Leurs coûts varient très fortement, en fonction de l’étendue de la garantie de base, de l’importance des compléments, mais aussi de l’âge moyen des salariés dans l’entreprise ou dans la branche. »

Difficile, donc, de connaître le prix moyen, mais pour Bruno Chrétien, président de l’Institut de la protection sociale, « le coût pour le salarié d’un contrat de base et d’une surcomplémentaire est inférieur à celui d’un contrat individuel, en raison du caractère collectif de la surcomplémentaire ». En revanche, lorsque celle-ci est individuelle, les garanties sont calculées en fonction de l’âge et la facture peut vite grimper.

Les aides

Les personnes aux très faibles ressources (moins de 8 645 euros par an pour une personne seule, 12 967 euros pour deux personnes, etc.) peuvent bénéficier de la CMU complémentaire gratuite. Il s’agit d’une couverture correspondant à une mutuelle basique, qui prend principalement en charge le ticket modérateur et attribue des forfaits pour les soins mal remboursés, comme l’optique ou le dentaire.

Les personnes ayant des revenus supérieurs à ce niveau, mais inférieurs à 11 670 euros pour…

Quoi qu’il en soit, rien n’oblige les salariés à souscrire ces compléments. Il convient donc de s’interroger sur l’opportunité de ces formules, en fonction de leur coût et des remboursements que vous pouvez en espérer sur une longue période. Or le calcul n’est pas toujours favorable à ces « mutuelles enrichies » lorsqu’il est effectué sur plusieurs années…

Mini-révolution en marche

Par ailleurs, « des petites entreprises ou des indépendants ont souscrit des contrats qui ne répondent pas aux nouvelles obligations imposées par les branches professionnelles, car les accords sont intervenus tardivement », explique M. Rousseau. De ce fait, nombre de sociétés risquent de devoir remettre le métier sur l’ouvrage et revoir les contrats souscrits, afin de se conformer à leurs accords de branche. Une obligation pour que l’entreprise puisse déduire les cotisations versées de son résultat imposable et de l’assiette des charges sociales.

Et ce n’est pas tout, les entreprises ayant fait confiance à des mutuelles à prix cassés risquent de déchanter. « Il y aura un second tour de l’ANI. Les compagnies qui ont bradé leurs contrats et qui les vendent à perte ne pourront pas maintenir ces prix. Il faut s’attendre à une forte indexation des tarifs du contrat socle dès l’an prochain », prévient Philippe Dabat.

La mini-révolution autour de la santé dans l’entreprise n’est donc pas terminée, puisque les garanties et les tarifs pourraient encore sensiblement évoluer. Quant aux salariés les mieux lotis, qui disposent de complémentaires d’entreprise très étoffées, c’est une autre réforme qui se met en place. A partir du 1er janvier 2017, toutes les sociétés devront proposer des mutuelles répondant à la nouvelle norme dite des « contrats responsables ». Or celle-ci est moins généreuse que la plupart des contrats en place dans les grandes entreprises, l’objectif étant justement de limiter les dépenses de santé. « Nos centres d’appels sont particulièrement sollicités depuis le début de l’année par des salariés ne comprenant pas que leur couverture ait changé et rembourse moins que par le passé sur certains postes », remarque M. Guillocheau. Un sujet sur lequel gouvernement, ressources humaines et partenaires sociaux se gardent bien de communiquer.