Quinze lycéennes, enlevées par Boko Haram le 14 avril 2014 à Chibok (Nigeria), apparaissent sur une vidéo diffusée par CNN. | CNN INTERNATIONAL

La chaîne américaine CNN a rapporté mercredi 13 avril une vidéo montrant une quinzaine de jeunes filles recouvertes d’un hijab noir, qui ont toutes été identifiées comme appartenant au groupe de Chibok.

Le Nigeria prêt à négocier avec Boko Haram
Durée : 00:39

Tournée le 25 décembre, cette vidéo, qui permet d’établir que certaines des jeunes filles enlevées sont toujours en vie, est la première depuis celle diffusée par Boko Haram en mai 2014. Selon les informations dont dispose l’AFP, des islamistes auraient pris contact mi-janvier avec le gouvernement pour négocier un possible échange de prisonniers. Le gouvernement ayant demandé une « preuve de vie », il aurait d’abord reçu cinq photos de certaines des otages puis cette vidéo.

Mais il n’y a rien de plus, pour l’instant. Les parents des 219 lycéennes encore disparues - 57 sont parvenues à s’enfuir - doivent tenir une réunion de prière aujourd’hui devant l’école de Chibok. Retour sur deux ans de recherche.

  • Ce qui s’est passé le 14 avril 2014

Au soir d’une journée d’examens, 276 lycéennes sont tirées de leur sommeil dans un dortoir de l’école secondaire de Chibok, au nord-est du Nigeria. Il est 23 h 30 et beaucoup d’entre elles croient qu’il s’agit de soldats de l’armée. « Ils disaient que c’était pour notre sécurité, a raconté au Monde Deborah Issayah, qui est parvenue à s’évader. Quand ils se sont mis à crier Allah Akhbar, j’ai compris qui ils étaient. »

Les islamistes ordonnent aux filles de préparer un bagage léger puis ils dérobent de la nourriture dans la cantine de l’école. Ce seront leurs vivres pour les jours suivants.

Après un long trajet en zigzag, les insurgés débarquent les lycéennes dans un camp. Les plus chanceuses, au nombre de 57, parviennent à s’évader pendant le transfert en sautant des pick-up qui les emmenaient ou en s’accrochant à des branches d’arbres lorsque le camion tombait en panne.

  • La revendication de Boko Haram

L’enlèvement est revendiqué quelques jours après par le groupe « Jama’atu ahlis sunna lidda’awati wal jihad » qui se traduit par « groupe engagé dans la propagation des enseignements du Prophète et du djihad » et que l’on désigne plus simplement par Boko Haram (l’éducation occidentale non inspirée du Coran est proscrite).

Lundi 5 mai, les déclarations d’Aboubakar Shekau, chef de Boko Haram, sont très inquiétantes. Méprisant, provoquant, flanqué de combattants au visage masqué, le chef islamiste revendique le rapt. « J’ai enlevé vos filles. Je vais les vendre sur le marché au nom d’Allah », clame-t-il dans un enregistrement vidéo de cinquante-sept minutes transmis à l’AFP. Puis il précise qu’il en gardera certaines « comme esclaves ». « J’ai dit que l’éducation occidentale devait cesser. Les filles, vous devez quitter l’école et vous marier… Une fille de 12 ans, je la donnerais en mariage, même une fille de 9 ans je le ferais », ajoute le chef de ce mouvement, qui a basculé dans un fanatisme aussi violent qu’absurde.

  • Mobilisation internationale

Même si ce n’est pas la première fois que le groupe djihadiste, qui a fait allégeance à l’Etat islamique, mène une action violente contre une école - en juin 2013, 22 étudiants avaient été assassinés à Mamudo et en février 2014, 59 garçons avaient été tués à Buni Yadi -, le rapt de Chibok suscite un émoi sans précédent.

Des manifestations se tiennent quotidiennement au Nigeria mais aussi dans le reste du monde pour demander le retour des filles et dénoncer l’incurie du pouvoir. Sur les réseaux sociaux, la campagne Bring Back Our Girls (« ramenez nos filles ») connaît un immense succès avec de plus de 850 000 tweets, dont ceux de Michele Obama et Malala Yousafzaï, militante pakistanaise pour le droit des femmes et prix Nobel de la paix 2014.

  • Une enquête qui stagne

Les insurgés de Boko Haram sont localisés à proximité de Chibok. Une dizaine d’entre eux sont même abattus par des milices locales, le 16 juin 2014. Mais ensuite, plus rien ne bouge. Le gouvernement nigérian semble en réalité plus occupé à faire taire les familles qui dénoncent la corruption qui ravage l’armée et la police.

« Les soldats, ils sont aux barrages routiers à prendre de l’argent au lieu de chercher nos filles, racontait au Monde en juin 2014 le père d’une fille enlevée. Alors nous sommes allés nous-mêmes dans la forêt de Sambisa. On avait des renseignements, nous sommes arrivés tout près de leur camp. Nous avons vu la poussière des véhicules de Boko Haram. Un chef local nous a dit : « N’allez pas plus loin, ils vous tueront. » Nous sommes rentrés et avons imploré les militaires de nous escorter. Pas un n’a voulu se hasarder dans la forêt. »

  • Des conséquences politiques

Le 2 avril 2015, Muhammadu Buhari, qui s’est posé en rassembleur du peuple nigérian, gagne l’élection présidentielle avec 53,95 % des scrutins contre Goodluck Jonathan. Il fait de la lutte contre Boko Haram la priorité de son mandat. « Je peux vous assurer que Boko Haram va vite mesurer la force de notre volonté collective et de notre engagement à débarrasser la nation de la terreur et pour ramener la paix », assure le général retraité de 72 ans.

« Aucun effort ne sera épargné pour vaincre le terrorisme » du groupe qui mène attaques, attentats-suicides et enlèvements dans le nord-est du pays, faisant plus de 20 000 morts depuis 2009.

Les annonces sont suivies par des faits. Fin avril 2015, plusieurs attaques de l’armée nigériane sont menées dans la forêt de Sambisa et le succès semble au rendez-vous. « Les troupes ont pris et détruit cet après-midi trois camps de terroristes », se félicite Chris Olukolade, porte-parole de l’armée, qui affirme avoir libéré 200 filles et 93 femmes. Mais celles-ci n’appartiennent pas au groupe de Chibok.

Selon les ONG qui militent pour les droits de l’Homme, plusieurs milliers de femmes et de jeunes filles ont été enlevées depuis le début du conflit. Boko Haram en fait des esclaves sexuelles ou des bombes humaines, tandis que les garçons et les hommes sont enrôlés de force pour combattre et instaurer un Etat islamique dans le nord-est du Nigeria.