La centrale nucléaire de Cattenom en Lorraine. | FRANCIS CORMON / HEMIS.FR

Laisser filer le temps. Ajourner la décision, sans renoncer formellement. C’est la stratégie adoptée par le gouvernement sur le dossier brûlant de la baisse du nucléaire, qui devait être un marqueur fort de sa politique énergétique.

Jeudi 14 avril, la ministre de l’environnement, Ségolène Royal, a précisé à l’AFP que le gouvernement publiera sa feuille de route sur le nucléaire « au plus tard le 1er juillet » et que ce document donnera « une fourchette du nombre de réacteurs à fermer, en fonction de deux scénarios d’évolution de la consommation électrique » : l’un de baisse de la demande à l’horizon 2025, l’autre de maintien de la consommation.

Toutefois, a-t-elle indiqué, cette feuille de route ne désignera pas les réacteurs à fermer. Surtout, aucun arbitrage ne sera rendu avant 2019.

La loi de transition énergétique pour la croissance verte, promulguée en août 2015, prévoit, dans son article 1er, de « réduire la part du nucléaire dans la production d’électricité à 50 % [contre 77 % en 2014] à l’horizon 2025 ». Un engagement solennel pris par François Hollande avant son élection et réitéré depuis avec constance.

Mais, au pied du mur, le gouvernement tergiverse et laisse à ses successeurs la responsabilité de trancher dans le vif, suscitant l’incompréhension et la défiance des associations environnementales, qui l’accusent de renoncer à une vraie transition énergétique. Explications.

  • Que prévoit la loi de transition énergétique ?

Avec sa loi de croissance verte, la France s’est fixé un cap ambitieux : quatre fois moins d’émissions de gaz à effet de serre en 2050 par rapport à 1990, deux fois moins d’énergie consommée au milieu du siècle, moins 30 % de fossiles en 2030 et 32 % de renouvelables à la même échéance. Le tout assorti d’une réduction d’un tiers du poids de l’atome, en 2025, dans le bouquet électrique.

Ces objectifs complémentaires doivent être mis en musique par une programmation pluriannuelle de l’énergie (PPE), dont la loi précise que, « fixée par décret, elle établit les priorités d’action des pouvoirs publics ». La première PPE doit couvrir deux périodes, 2016-2018 et 2019-2023.

Huit mois après l’adoption de cette loi, dont le chef de l’Etat avait fait l’un des « grands chantiers du quinquennat », force est de s’interroger sur les « priorités d’action » de l’exécutif. La PPE aurait normalement due être présentée fin 2015. Mais elle n’a cessé d’être repoussée. La ministre de l’environnement, Ségolène Royal, vient finalement d’annoncer que le décret créant la première PPE « sera mis en consultation formelle avant l’été ».

  • Que contiendra la programmation pluriannuelle de l’énergie ?

On ne le sait pas encore. Plus exactement, on n’en connaît qu’un premier volet. Dans un premier temps, Mme Royal a en effet demandé au Conseil supérieur de l’énergie (un organe consultatif réunissant parlementaires, représentants des ministères, élus locaux, représentants des consommateurs, industriels et syndicats de salariés) d’examiner, vendredi 15 avril, un « arrêté relatif à la programmation des capacités de production d’énergie renouvelable ».

Cet arrêté porte uniquement sur les filières renouvelables et fait donc l’impasse sur le nucléaire. « J’ai choisi de procéder en deux temps, en avançant d’abord sur les renouvelables, explique au Monde la ministre. C’est une façon de sécuriser leur développement, en le rendant indépendant du volet nucléaire, plus compliqué à traiter et conflictuel. Les filières renouvelables ont besoin de visibilité. Si leur sort était lié à celui du nucléaire, les professionnels pourraient craindre que tout soit remis en cause en cas d’alternance politique. »

En procédant de la sorte, elle va pouvoir « lancer les appels d’offres pour les différentes filières, fixer les tarifs de rachat de l’électricité et accélérer la transition énergétique ». L’éolien terrestre doit monter fortement en puissance, en passant d’une capacité installée de 9,3 gigawatts (GW), en 2014, à 22 ou 23 GW, en 2023, de même que le solaire photovoltaïque, qui doit grimper de 5,4 GW à 18 ou 22GW.

  • Pourquoi les ONG protestent-elles ?

Pour deux raisons. D’abord, parce que l’arrêté ministériel sur les renouvelables consiste en une simple révision des programmations pluriannuelles des investissements (PPI) de production d’électricité et de chaleur de 2009. Un dispositif qui, comme son nom l’indique, ne porte que sur les investissements et non pas sur l’ensemble de la politique énergétique.

La PPE, elle, doit préciser les scénarios énergétiques retenus, les prévisions de consommation, le rôle de l’efficacité énergétique... Surtout, elle doit mettre en cohérence les trajectoires d’évolution de toutes les filières, nucléaire compris.

Ensuite, passer sous silence la question du nucléaire a pour conséquence, aux yeux des ONG, de fragiliser les filières alternatives, au contraire de ce qu’avance la ministre. « On ne peut pas sécuriser les renouvelables sans garantir, dans le même temps, qu’on va leur faire de la place sur le marché et sur le réseau, analyse Cyrille Cormier, chargé des questions énergétiques à Greenpeace. La France et l’Europe sont en surcapacité de production électrique, si bien que ces filières ne pourront pas progresser sans une baisse effective du nucléaire, donc sans fermeture de réacteurs. »

  • Quelle feuille de route pour le nucléaire ?

C’est le cœur du problème. Les décisions concrètes sur l’évolution du parc nucléaire, c’est-à-dire sur les prolongations et les fermetures de réacteurs, « seront prises à partir de la deuxième période de la PPE (2019-2023), en fonction du développement constaté des énergies renouvelables et de l’évolution de la demande en électricité ».

La Cour des comptes estime, dans son dernier rapport annuel, que baisser la part de l’atome à 50 % du bouquet électrique revient à arrêter « de 17 à 20 réacteurs » sur les 58 que compte l’Hexagone. Ce qui, en bonne programmation, exigerait de planifier et d’étaler les fermetures. En différant les arbitrages, l’exécutif se défausse, de facto, sur les gouvernements futurs.

Le seul acte posé au cours du quinquennat sera un décret, « avant l’été », promet Mme Royal, abrogeant l’autorisation de fonctionnement de Fessenheim, même si la centrale alsacienne ne s’arrêtera que fin 2018. C’est-à-dire lors de la mise en service prévue de l’EPR de Flamanville (Manche), à supposer que celle-ci ne souffre pas de nouveaux retards.

  • Pourquoi le gouvernement repousse-t-il les choix sur le nucléaire ?

Parce qu’en France, le nucléaire est presqu’une une culture d’Etat. Pour Cyrille Cormier, de Greenpeace, les atermoiements de l’exécutif s’expliquent par « une difficulté à choisir entre la transition énergétique et l’exportation du nucléaire français, qui nécessite de conserver une vitrine nationale, un parc, des équipes et un savoir-faire ».

« On n’a pas encore vu de plan de réduction de la part du nucléaire en France »
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Hervé Mariton, député (Les Républicains) de la Drôme et coauteur d’un rapport sur le coût de la fermeture anticipée des réacteurs nucléaires, est plus sévère. « Depuis le début, on nage en pleine hypocrisie, avec une loi de transition énergétique perçue par beaucoup parlementaires, membres du gouvernement, industriels comme n’ayant pas vocation à être appliquée, estime-t-il. La preuve en est qu’EDF ou Areva n’intègrent pas d’évolution majeure du parc nucléaire dans leurs calculs financiers. On est dans un jeu de rôle, de feinte systématique du gouvernement. Sur le nucléaire, la transition énergétique réside dans la PPE, le reste n’est que du baratin. »

  • Quelles conséquences pour la transition énergétique ?

En tardant à présenter une PPE complète et en remettant plus tard les décisions sur le nucléaire, la France tourne le dos à l’exemplarité dont elle se prévaut en matière de transition énergétique, jugent les associations environnementales. Cela, à quelques jours de la cérémonie de signature, le 22 avril à New York, de l’accord de Paris sur le climat. « Signer cet accord de Paris sans avoir rendu publique une PPE qui transcrive les objectifs de la loi serait comme faire un chèque en bois », estime Anne Bringault, du Réseau action climat et du Réseau pour la transition énergétique.

France nature environnement exprime, elle aussi, son inquiétude : « Si la France veut tenir à l’international son rang acquis avec l’accord de Paris, cela passe nécessairement par la mise en œuvre de la loi de transition énergétique et l’exemplarité de l’Etat », prévient son président, Denis L’Hostis. Ajoutant : « Aujourd’hui, nous pouvons en douter. »